Dans certaines œuvres de science-fiction de type space opera, il n’est rare de croiser des planètes détenues par des firmes privées ou des clans, jalonnant des empires interstellaires. Ce n’est cependant pas près de devenir réalité. Aucune exoplanète n’est facilement habitable ni accessible par l’être humain. Malgré tout, dans l’actualité de cet été 2021, un tweet de la chanteuse Grimes a annoncé que le rappeur Lil Uzi Vert aurait « acquis » la planète WASP 127-b, en ayant quasiment rempli tous les papiers administratifs (?) pour ce faire. Selon Grimes, le rappeur serait alors « le premier humain à être légalement propriétaire d’une planète ».
C’est faux et absurde, comme l’explique à Numerama Michelle Hanlon, avocate spécialisée en droit spatial : « Il n’est pas du tout possible ‘légalement’ d’acheter une planète. Un point c’est tout ».
« Il n’existe aucune autorité terrestre reconnue »
L’exoplanète WASP 127-b est située à 870 années-lumière de notre Soleil. Elle se situe bien loin de tout territoire sur lequel un pays ou une entité morale aurait la moindre souveraineté. Pour « acheter » la propriété d’une planète, en tant que territoire, il manque la réponse à une question essentielle : qui a l’autorité pour transférer la propriété des lieux ? « Il n’existe aucune autorité terrestre reconnue pour transmettre ou enregistrer un tel transfert », nous répond Michelle Hanlon.
Qui plus est, un autre obstacle juridique se pose : le traité de l’espace, ou « traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes ». Ratifié en 1967, ce traité international indique qu’aucun État au monde ne peut revendiquer un territoire dans l’espace extra-atmosphérique. Il n’est pas possible, aujourd’hui, et pour quiconque, de proclamer une souveraineté sur un corps céleste.
Le Space Act, adopté en 2015 exclusivement par et pour les États-Unis, rompt unilatéralement une partie du traité de l’espace en autorisant les entreprises américaines privées à explorer et exploiter les ressources spatiales, notamment minières. En clair, il serait théoriquement légal dans le droit américain, pour une entreprise basée sur le sol états-unien, de miner un astéroïde pour y récupérer de l’eau, des minéraux. Cependant, même cette loi ne permet pas d’acquérir une planète : « Le Congrès estime que les États-Unis n’affirment pas, par la promulgation de cette loi, leur souveraineté ou leurs droits souverains ou exclusifs ou leur juridiction sur tout corps céleste ou leur propriété », est-il indiqué dans la loi.
On en revient donc toujours à ce même principe juridique : on ne peut posséder un territoire pour lequel il n’existe aucune autorité reconnue pour conférer cette propriété, et le qualificatif « reconnue » est ici essentiel. « Depuis longtemps, des gens ‘vendent’ des parcelles sur la Lune et d’autres corps célestes. En général, ces parcelles sont accompagnées d’un certificat de propriété ou d’un ‘acte’ quelconque. Encore une fois, ce document n’aura que la force de l’autorité qui le délivre », ajoute Michelle Hanlon.
Cela signifie que si l’on vous vend une parcelle d’une lune ou bien une planète, vous aurez dépensé des milliers de dollars et obtenu divers certificats, mais vous n’en serez pas réellement propriétaire, car l’acte de propriété n’aura aucune valeur admise par des entités autres que vous et celle qui vous l’a vendu. Cela a des impacts très pratico-pratiques : « La première et principale question est celle de l’applicabilité. Si vous ‘achetez »‘une planète, comment allez-vous empêcher quelqu’un d’autre d’y aller ? ». Les « documents » auxquels fait référence Grimes existent donc peut-être, mais n’ont aucune valeur.
Le droit de l’espace sera amené à évoluer
Si acheter une planète n’est de fait pas possible à l’heure actuelle, cette actualité rappelle que c’est un enjeu de l’odyssée spatiale. « Le fait est qu’il existe des ressources précieuses dans l’espace et que la Déclaration universelle des droits de l’Homme indique que tout être humain a le droit de posséder des biens », rappelle Michelle Hanlon. Or, le droit international s’applique à l’espace, puisqu’un traité aborde concrètement cette zone extra-atmosphérique. « La communauté internationale doit donc décider comment transférer le concept de propriété à d’autres corps célestes » pour résoudre ce vide juridique.
Michelle Hanlon estime qu’il faudrait même envisager de revoir les termes que nous utilisons, dès lors que l’on dépasse l’atmosphère terrestre. « J’utilise le terme de propriété parce qu’il est commode. Mais nous devons penser à redéfinir ce concept à mesure que nous nous déplaçons dans l’espace. » La notion de propriété pose en effet plusieurs questions éthiques : il vaut veiller à empêcher toute appropriation de l’espace. « L’univers est vaste, mais les humains ne peuvent pas présupposer qu’il est là pour nous. Nous pouvons l’utiliser et l’exploiter sans en abuser. »
Et il n’est pas question ici, exclusivement, de futurologie : Michelle Hanlon affirme que nous devons y penser dès maintenant, pour poser au plus tôt des bases juridiquement saines. « Ce que nous devons faire, et ce que nous pouvons faire maintenant, c’est convenir de principes et de lignes directrices pour garantir que chacun explore l’espace de manière responsable, ce qui inclut le concept de protection planétaire (qui, à mon avis, devrait être élargi pour inclure plus que la protection des processus biologiques). »
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