Alors que les voitures ou les consoles de jeu subissent de plein fouet une pénurie de composants due à la crise sanitaire, le secteur spatial, plus discret, souffre aussi.

« Pour l’instant, on arrive à faire avec, mais ça risque de ne pas durer. » Thomas Torloting, chef de service qualité composants au CNES, est inquiet face à la crise que traverse le secteur spatial actuellement.

Comme les autres agences spatiales dans le monde, le Centre national d’études spatiales subit quelques petits soucis d’approvisionnement pour la construction de ses futurs satellites.

Des délais multipliés par quatre

La pandémie de Covid-19 a accentué une crise chez les fabricants de matériaux, déjà à l’œuvre depuis quelques années. Le besoin toujours plus grand en matériel informatique demande davantage de matières premières, notamment de la céramique utilisée pour les condensateurs, ou du silicium présent dans les puces électroniques. Une difficulté connue depuis longtemps, avec des hauts et des bas, mais qui connaît un pic vertigineux alors que tous les télétravailleurs confinés se ruent sur le matériel informatique. « Depuis 2018 déjà il y avait des problèmes d’approvisionnement, confie Thomas Torloting, notamment sur les condensateurs, mais ça s’accentue. »

Concrètement, les professionnels du secteur font appel à des fournisseurs qui les approvisionnent en produits de ce type, des matériaux très spécialisés, qui sont construits bien souvent exprès pour ces technologies. Dans le spatial, il faut par exemple que les pièces résistent aux changements de température, de pression, aux conditions hostiles du vide spatial, et qu’elles survivent assez longtemps pour fonctionner correctement tout au long de la mission.

Ce sont ces spécificités qui entraînent des délais souvent assez longs, de l’ordre de trois à quatre mois. Ces délais ont explosé avec la pénurie : maintenant le CNES doit parfois attendre plus d’un an avant d’être livré. Résultat, ces longueurs supplémentaires sont intégrées aux planning qui sont revus, comme celui de JUICE, la mission de l’ESA à destination de Jupiter et de ses satellites.

Vue d'artiste de la mission JUICE. // Source : ESA/ATG Medialab, 2017

Vue d'artiste de la mission JUICE.

Source : ESA/ATG Medialab, 2017

Autant dire que dans un secteur où les délais de conception sont déjà assez longs, la situation actuelle est d’autant plus pesante. Mais en plus, le spatial est confronté à un autre problème : il est trop petit. Pour Thomas Torloting : « Nous passons après le secteur automobile, la téléphonie ou les consoles de jeu, car nous ne commandons pas en assez grosse quantité. Notre cadence de production n’est pas du tout la même et les gros clients bénéficient de passe-droits. » Concrètement, lorsqu’il s’agit d’aller acheter des matériaux, les plus grosses productions ont déjà tout réservé et le peu de composants électroniques que les fournisseurs ont réussi à réunir part pour leurs produits. Il ne reste plus rien pour fabriquer des satellites !

Trouver des alternatives

Alors, comment font les agences spatiales et les entreprises pour pallier ce manque de composants ? Une première solution serait de stocker. Comme les premiers signes de la pénurie étaient visibles depuis quelques années, il serait logique de penser que les professionnels auraient mis de côté en attendant des jours meilleurs. Or, c’est plus facile à dire qu’à faire. Stocker de grandes quantités de matériel demande toute une ingénierie que ne possèdent pas forcément ces sociétés : des locaux adaptés, mais aussi un système de maintenance, sans oublier le risque que les composants deviennent obsolètes et dépassés — ce qui est toujours problématique quand il s’agit d’envoyer des missions scientifiques à la pointe de la technologie.

Détail d'un « wafer », une plaque de matériau semi-conducteur qui sert à la fabrication de composants de microélectronique.  // Source : Intel

Détail d'un « wafer », une plaque de matériau semi-conducteur qui sert à la fabrication de composants de microélectronique.

Source : Intel

Autre solution : les marchés alternatifs. Pas question de mafia ici, mais uniquement de changer de fournisseurs. Comme les premiers touchés sont les fournisseurs asiatiques, il est encore temps de se diriger vers les américains et les européens pour l’instant à peu près épargnés. Le problème, ici, est que ces produits sont plus chers, mais qu’en plus tout n’est pas disponible. Pour certaines missions, ce sont des composants extrêmement spécifiques qui sont demandés.

«Chez nous, ce sont avant tout les semi-conducteurs qui manquent, raconte Bastien Baticle de chez Venture Orbital. Nous cherchons au maximum à trouver d’autres catalogues où les produits sont encore disponibles, mais forcément ça bouleverse nos manières de concevoir.» Cette entreprise bretonne développe notamment un nano-lanceur destiné aux CubeSats, mais se trouve obligée de s’adapter aussi face à la situation. «Notre avantage, précise Bastien Baticle, c’est que nous n’avons pas une cadence très élevée contrairement à l’industrie automobile, par exemple. Alors les délais rallongés sont intégrés dans les plannings. » De quoi poursuivre le travail de fond et la phase de conception malgré les contraintes.

« Pour l’instant, nous pouvons encore trouver des alternatives, faire des concessions, précise Thomas Torloting. Mais ça demande toute une organisation. » Une organisation de plus en plus difficile à trouver, puisque la situation reste très fragile et ne montre aucun signe d’amélioration. Les composants sont appelés à devenir plus coûteux et plus difficiles à dénicher.

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