C’est une petite bombe qu’a lâchée Alain Fisher, professeur d’immunologie et président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, dans le JDD du 16 août. La vision que l’on peut avoir de l’immunité collective est, selon lui, différente de celle que l’on pouvait avoir il y a encore six mois. Ce qui l’amène à préciser : « Si l’immunité de groupe peut-être atteinte ou non, je ne sais pas. (..) C’est devenu un challenge très ambitieux que je ne trancherai pas. »
Cette phrase fait largement écho aux propos moins mesurés tenus par l’épidémiologiste islandais Þórólfur Guðnason le 8 août dernier — «Obtenir l’immunité collective par la vaccination générale est hors d’atteinte » — et à ceux d’Andrew Pollard, chef du Oxford Vaccine Group qui, le 10 août, a qualifié de « mythe » l’objectif d’une immunité collective avec le variant Delta.
Que l’on soit dans la réserve d’un Fischer ou dans le franc-parler d’un Pollard, le fait est qu’aujourd’hui viser l’immunité de groupe semble illusoire. Pour autant, cela ne remet en aucun cas en doute l’importance de la vaccination, quoiqu’en déduisent abusivement les vaccino-sceptiques. On vous explique.
Ce qu’est l’immunité collective
Revenons d’abord sur ce qu’est l’immunité collective. Aussi appelée « immunité grégaire » ou « immunité de groupe », elle est définie par l’Institut Pasteur comme le « pourcentage d’une population donnée qui est immunisée/protégée contre une infection à partir duquel un sujet infecté introduit dans cette population va transmettre le pathogène à moins d’une personne en moyenne, amenant de fait l’épidémie à l’extinction, car le pathogène rencontre trop de sujets protégés ». Normalement, cette immunité de groupe est atteinte par la vaccination et par l’infection naturelle.
L’infection ne garantit pas toujours une immunité durable, surtout en matière de Covid-19. Compter sur la maladie pour obtenir une immunité dessus relève plus de la roulette russe. C’est pourquoi, en se focalisant sur la vaccination, on peut dire que l’immunité collective est le taux de vaccination à atteindre pour passer sous le seuil épidémique, c’est-à-dire pour atteindre un Re (taux de reproduction effectif) inférieur à 1 sans aucune intervention non pharmaceutique (masque, gestes barrières, etc.). Pour ce qui est du covid, arriver à ce seuil aurait dû permettre, en somme, de reprendre une vie « normale » ou du moins une vie telle que nous la menions encore en janvier 2020.
Mathématiquement impossible
Pour calculer le pourcentage de sujets immunisés nécessaire pour obtenir l’immunité collective, il existe une formule simple : Immunité collective = 1 – 1/R0.
R0 correspond au taux de reproduction intrinsèque du virus. Par exemple, avec un virus qui a un R0 de 2 comme la grippe saisonnière, il faut 50 % de personnes immunisées. En juin dernier, nous avions indiqué ici qu’il fallait vacciner près de 85 % de la population contre le covid pour arriver à l’immunité collective. C’était sans compter sur l’arrivée du variant Delta, aujourd’hui majoritaire et dominant, qui vient totalement changer la donne par sa contagiosité et sa virulence accrues.
Claude-Alexandre Gustave, biologiste médical, ancien assistant hospitalo-universitaire en microbiologie et ancien assistant spécialiste en immunologie a fait les calculs pour nous : « Le variant Delta a un R0 de 8. Pour atteindre l’immunité collective, il faudrait vacciner 92 % de la population avec un vaccin efficace à 97 % contre la transmission. » Or, les vaccins contre le Covid-19 ne réduisent la contagiosité du Delta « que » de 6 à 8 fois. De plus, cette formule ne prend pas en compte la diminution de l’immunité dans le temps, l’émergence de nouveaux variants ou encore le fait que les enfants ne peuvent pas être vaccinés pour le moment. « Autant dire qu’atteindre l’immunité collective est mathématiquement impossible », affirme Claude-Alexandre Gustave.
Retour au modèle de l’emmental
Affirmer aujourd’hui que l’immunité collective par la seule vaccination est un objectif inatteignable est politiquement difficile : cela force à revoir toute la communication qui a été faite autour des vaccins comme moyen de vivre « comme avant ». De plus, cette assertion pourrait être perçue par certaines personnes comme une remise en question de l’efficacité de la vaccination. Cette lecture serait absolument erronée. En effet, si la situation a changé et que la vaccination en elle-même ne suffit plus, elle reste éminemment efficace contre les formes graves et évite décès, hospitalisations et séquelles lourdes. C’est une très bonne nouvelle pour soi et pour la collectivité.
« La vaccination permet de diminuer considérablement la pression hospitalière », explique Éric Billy, chercheur en immuno-oncologie à Strasbourg, membre fondateur du collectif Du côté de la science. « Se faisant, elle permet de manière indirecte d’éviter des déprogrammations de soins et de pouvoir continuer à prendre en charge le plus grand nombre. Ainsi, elle permet également d’éviter de nouveaux reconfinements avec les conséquences économiques et sociales que l’on connait », précise-t-il. Et d’insister : « Sans les vaccins, la situation sanitaire serait aujourd’hui absolument dramatique. »
La vaccination diminue par ailleurs la transmission car elle réduit le volume et le temps d’excrétion virale des personnes contaminées. En ce sens, elle protège les autres. Imparfaitement, mais sensiblement.
« Avec une large couverture vaccinale, on pourra mettre en place des adaptations peu contraignantes et peu liberticides », précise Claude-Alexandre Gustave. Pour Éric Billy, la vaccination reste une des tranches essentielles dans le modèle emmental. Parmi les autres couches de protection, les deux experts insistent sur :
- le port du masque en lieu clos — que l’on soit vacciné ou non
- l’aération/ventilation de ces lieux clos
- l’équipement des restaurants et bars de ventilations mécaniques contrôlées (VMC) avec extracteur
- les tests virologiques
- l’isolement des personnes contaminées
- le contact tracing
- la mise en place d’un réseau de surveillance/sentinelles
« Il faut avoir une communication globale et exposer les bénéfices et les limites de chacune des mesures », explique le chercheur en immuno-oncologie Éric Billy. Le retour à une vie « normale » n’est pas pour tout de suite, note Claude-Alexandre Gustave, « mais plus tôt nous mettrons en place cette conjonction d’interventions plus tôt elle sera efficace. »
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