Dans un communiqué publié fin août 2021, l’entreprise suédoise SSAB affirme avoir « produit le premier acier sans ressource fossile au monde » dans son usine-pilote Hybrit, puis l’avoir déjà livré à un client, Volvo. Ce premier essai est une « étape importante sur la voie d’une chaîne totalement exempte de fossile pour la fabrication du fer et de l’acier », affirme l’entreprise.
L’usage de l’expression très vendeuse « green steel », soit « acier vert », démontre combien SSAB souhaite faire un effet d’annonce. D’autant que l’entreprise a fait appel à une artiste pour réaliser… un bougeoir modelé à partir de cet acier propre. Tout en gardant cette communication à l’esprit, le potentiel de ce nouveau type d’acier reste ceci dit bien réel.
À quel point la chaîne de production du fer et de l’acier peut-elle vraiment être « propre », c’est-à-dire décarbonée ? Une telle décarbonisation relève des priorités écologiques majeures de cette décennie.
Une industrie originellement à base de charbon
L’industrie sidérurgique repose essentiellement sur une matière première et un combustible, le charbon, dont l’utilisation est polluante. De fait, les entreprises produisant de l’acier font partie de celles qui émettent le plus de gaz à effet de serre au monde — environ 7,6 % de toutes les émissions du globe (4 % des émissions en France). Or, le rapport du GIEC publié il y a quelques semaines le rappelle bien : toutes les émissions doivent drastiquement baisser dès maintenant, pour devenir nulles au plus tôt.
Mais comment décarboner une industrie basée sur… le charbon ?
Certaines entreprises, comme le rapportait Le Monde en 2019, tentent d’appliquer une économie circulaire où tout doit être récupéré et recyclé. « En faisant entrer plus d’acier usagé dans la fabrication de notre acier, nous faisons baisser la part de fonte nécessaire, et donc le niveau d’émissions de CO2 », affirmait le chef d’un de ces établissements à Dunkerque. Sauf que « faire baisser » le niveau d’émissions n’est en aucun cas suffisant. Pour parvenir à décarboner cette production, il faut que toute la chaîne soit axée en ce sens. Et que le charbon ne soit plus qu’un lointain souvenir de A à Z : il ne doit plus être utilisé comme combustible ni comme matière première.
L’usine pilote Hybrit, de son côté, résulte justement d’un partenariat entre plusieurs entités suédoises : la compagnie minière LKAB, dédiée à l’extraction du minerai de fer, l’aciériste SSAB et le fournisseur d’électricité Vattenfall. À l’origine, dans le processus de fabrication de l’acier, on utilise de hauts fourneaux qui fonctionnent par la combustion du charbon, afin de réduire le minerai de fer en éponges de fer. Mais une solution est de remplacer le charbon par de l’hydrogène.
À ce stade, il y a un premier obstacle : pour que ce remplacement soit réellement propre, il faut que l’hydrogène ne soit pas fossile, mais produit à partir d’énergie renouvelable. D’ailleurs, l’Union européenne mise énormément sur l’hydrogène propre pour atteindre l’objectif d’une neutralité carbone d’ici 2050. Pour utiliser de l’hydrogène propre, encore faut-il y avoir accès, et que ce gaz soit donc produit à proximité des usines. C’est là qu’intervient Vattenfall : l’entreprise fournit à LKAB et SSAB une source locale l’hydroélectricité, une énergie renouvelable qui permet ici d’obtenir de l’hydrogène.
En juin 2021, SSAB avait réussi à produire la première éponge de fer fabriquée à partir de ce processus. Ensuite, il y a la conversion de cette éponge en acier. Une solution « propre » est qu’elle soit convertie dans les fours d’une aciérie fonctionnant à l’électricité et aux ferrailles recyclées, plutôt que dans des fours basés sur la fonte du minerai de fer.
Lorsque tous ces critères sont remplis, ce qui est le cas ici, alors de bout en bout de la chaîne ne sont utilisées que des matières premières non fossiles et de l’énergie non fossile.
La première livraison d’acier utilisant l’intégralité de ce processus a été remise à l’entreprise suédoise Volvo, qui compte l’utiliser pour des prototypes de véhicules.
Une décarbonisation jusqu’où ?
Étant donné l’impact actuel très élevé de SSAB sur les émissions de la Suède, l’entreprise estime pouvoir réduire les émissions totales du pays de 10 % en utilisant ce processus. Or, le total de la contribution de SSAB aux émissions suédoises est évalué à 10 %. L’entreprise entend donc, en théorie, mettre fin à l’intégralité de sa contribution carbone par ce biais.
Mais le processus est, aujourd’hui, exclusivement cantonné à cette usine pilote. Quelque 100 tonnes d’éponges de fer « propres » ont été produites, quand SSAB produit 8,8 millions de tonnes d’acier par an. Toutefois, SSAB se projette en annonçant convertir ses usines, à une échelle industrielle, d’ici 2026. Cette entreprise n’est d’ailleurs pas la seule à faire de telles annonces dans le nord de l’Europe : une autre compagnie sidérurgique suédoise, H2 Green Steel, prévoit de construire une usine d’acier sans combustible fossile dans le nord du pays, avec une installation d’hydrogène renouvelable directement intégrée à l’usine, d’ici 2024.
La bonne nouvelle dans ces informations, c’est la proximité de ces dates, toutes situées avant 2030. L’autre nouvelle positive, c’est que le communiqué de SSAB, en amenant une réalisation complète et tangible d’une livraison d’acier propre, démontre que ces projets ne sont pas utopiques. Un tel communiqué peut pousser les entreprises concurrentes à se lancer dans la même dynamique.
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