Qu’est-ce qui détermine où est la bande noire, et où est la bande blanche d’un zèbre ? Dans The Conversation, le Doctorant en Morphogenèse Pierre Galipot explore d’où viennent les rayures et les autres motifs des animaux.

Les rayures du poisson-zèbre, les ocelles des léopards et les pois de certaines fleurs, comme les Mimulus, sont autant d’exemples de motifs de couleurs formés d’une multitude de répétitions.

Quand on remonte la vie de l’organisme pour regarder la formation de ces tissus biologiques colorés, on trouve un moment où les couleurs ne sont pas encore produites. Cela ne veut pas pour autant dire que le tissu ne soit pas déjà préparé à être organisé en futures rayures, taches ou pois, car celles-ci peuvent être déjà codées sous une autre forme de signal, non coloré, génétique ou épigénétique par exemple.

En revanche, si vous remontez encore le temps développemental, il arrivera un moment où vous ne pourrez plus dire si telle zone sera dans une rayure noire ou dans une rayure blanche, pour prendre l’exemple du zèbre. La raison est simple : cela n’a pas encore été codé, ou plutôt « déterminé » en langage de biologiste. Le tissu est encore homogène.

Passer d’un tissu homogène à un tissu organisé en deux ou plusieurs types de territoires, qui donneront ici in fine les couleurs, ne va pas de soi pour un système physico-chimique et par extension pour des systèmes biologiques. On appelle cela une « brisure de symétrie », et cela nécessite la mise en place de mécanismes bien particuliers, car beaucoup de phénomènes naturels ont au contraire plutôt tendance à homogénéiser les systèmes, comme la diffusion par exemple.

Pour briser les symétries, deux grands types de stratégies sont apparues au cours de l’évolution.

L’asymétrie déclenchée par le lieu d’arrivée d’un spermatozoïde

La première est d’utiliser une asymétrie préexistante, pour en quelque sorte la copier et briser sa propre symétrie. En effet, les brisures de symétries peuvent facilement être transférées, et en entraîner d’autres en cascade.

Par exemple, chez l’œuf de Xénope, un amphibien utilisé depuis très longtemps en biologie du développement, si les futures régions de la tête et de la queue sont déjà déterminées (c’est l’axe antéro-postérieur), il est en revanche impossible de différencier le ventre du dos (et même de prédire leurs positions). Ce qu’on appelle l’« axe ventro-dorsal » n’est pas encore déterminé.

Ce qui va déclencher la brisure de symétrie et cette détermination est un signal « extérieur », en l’occurrence l’arrivée du spermatozoïde. Au moment de ce qui est appelé la piqûre spermatique, l’endroit précis du contact entre les deux gamètes déterminera la future face ventrale de l’embryon. Mais ce spermatozoïde aurait très bien pu arriver de n’importe quel côté de l’œuf. Et d’ailleurs, s’il était arrivé sur le côté opposé, c’est celui-ci qui serait devenu le futur ventre de l’embryon. On a donc bien une asymétrie extérieure (ici le point d’arrivée du spermatozoïde) qui déclenche la brisure de symétrie de l’œuf de xénope. La nature regorge de ces exemples de transferts d’asymétrie.

Des « microasymétries » amplifiées par le système

Le second type de stratégie va puiser dans les toutes petites variations naturelles du tissu, qui sont aléatoires et de faible ampleur, pour les amplifier. Si le tissu paraît homogène à l’échelle macroscopique, il ne l’est pas à l’échelle microscopique, de la même manière qu’un mur peut paraître blanc et parfaitement lisse vu de loin, alors que l’on en apercevra les imperfections en y regardant de plus près.

Fleur de Mimulus. // Source : Pixabay (photo recadrée)

Fleur de Mimulus.

Source : Pixabay (photo recadrée)

Ces irrégularités (le plus souvent dans la concentration de molécules biochimiques) sont autant de « microasymétries » qui vont servir de base et être amplifiées par le système. Une fois le système lancé, il s’autoentretient et s’affranchit de ce bruit aléatoire pour créer l’asymétrie finale, donc pour ce qui nous intéresse ici les zones de coloration. Ce phénomène, générant de l’asymétrie en puisant dans ses propres microvariations et non dépendant de l’extérieur, est appelé « auto-organisation ».

L’article fondateur d’Alan Turing

La première personne à avoir proposé les bases mathématiques et physico-chimiques d’un tel système biologique auto-organisé est le mathématicien et cryptologue britannique Alan Turing. Dans un article publié deux ans avant sa mort tragique en 1954, il propose un système dit « de réaction/diffusion » comme étant une source potentielle de structures répétées dans la nature. Ce système consiste en deux molécules diffusibles et interagissant, que Turing nomme morphogènes. Le premier morphogène, appelé activateur, favorise sa propre production ainsi que celle du second, appelé l’inhibiteur. Ce dernier inhibe quant à lui la production de l’activateur. De plus, l’inhibiteur diffuse plus rapidement que l’activateur. Sous ces conditions, le système est capable de générer de l’asymétrie à partir d’irrégularités dans les concentrations initiales des deux morphogènes, et donnera après auto-organisation des motifs répétés et alternés, tels que des bandes ou des taches.

En plus de créer des motifs répétés sur un tissu initialement homogène, les motifs répétés que le système génère sont périodiques, autrement dit leur taille et leur espacement sont fixes.

Si la proposition de Turing a mis du temps à être mise en évidence chez un être vivant – le poisson-zèbre dans les années 90, depuis une vingtaine d’années de nombreux exemples sont décrits régulièrement. En vrac, les rides de votre palais, la formation de vos doigts, les rayures du poisson-zèbre ou les pois de la fleur de Mimulus, les motifs des vaisseaux racinaires des plantes sont tous des exemples de structures produites par des « systèmes de Turing ».

On soupçonne en fait cette famille de systèmes d’être apparue des centaines de fois au cours de l’évolution, et d’intervenir dans toutes sortes de processus biologiques.

Briser les symétries pour créer des motifs de couleurs répétés

Les systèmes de Turing sont-ils les seuls moyens retenus au cours de l’évolution pour peindre les espèces vivantes ? Cela serait surprenant, car certains motifs répétés ne correspondent pas tout à fait aux caractéristiques de ceux produits par Turing, en particulier concernant la périodicité ou la géométrie des motifs.

Prenez un pelage de dalmatien par exemple, les taches sont tout sauf périodiques. Leur répartition et donc leurs espacements semblent globalement aléatoires, ce qui suggère un autre type de mécanisme. Si ce type de mécanisme constitue une deuxième famille aux côtés des systèmes de Turing, en existe-t-il d’autres et, si oui, combien ?

Afin de commencer à répondre à cette question, nous nous sommes attachés à faire l’inventaire de tous les mécanismes de production de motifs de couleur répétés découverts par les scientifiques. Il existe des dizaines d’exemples mis à jour chez autant d’espèces. Nous les avons triés, comparés et regroupés en sept grandes familles. La nature en recèle vraisemblablement d’autres, pas encore décrites à ce jour. Pour faciliter la découverte de nouvelles familles, nous avons suggéré quelques voies qui semblent prometteuses, comme les mécanismes d’induction mécanochimiques, où des forces mécaniques génèrent la brisure de symétrie et les motifs, en jouant le même rôle que les morphogènes du modèle initial de Turing.The Conversation

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Pierre Galipot, Doctorant en Morphogenèse, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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