Le James Webb Space Telescope est à bien des égards un événement historique dans l’histoire spatiale, mais le successeur de Hubble traîne aussi un poids avec lui : James Webb en personne. L’ancien administrateur de la Nasa décédé en 1992, à qui l’agence spatiale américaine a voulu rendre hommage, aurait également été profondément homophobe. Des astronomes demandent donc à ce que l’engin, dont le lancement doit avoir lieu dans quelques mois, soit rebaptisé.
L’affaire avait été rendue publique en mars 2021, à la suite d’une tribune publiée dans Scientific American, mais elle a obtenu davantage d’écho cet été après avoir été relayée par la revue Nature le 23 juillet. Des chercheurs accusent James Webb d’avoir favorisé une politique d’exclusion des personnes LGBTQI+ au sein de la Nasa. L’agence a examiné le cas avec une armada d’historiens pour voir si un changement de nom s’imposait ou non : finalement, la Nasa a fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention de renommer le JWST.
Les accusations relayées contre James Webb sont graves. Elles semblent s’inscrire dans la politique américaine et l’état d’esprit qui était celui des dirigeants dans les années 1960. À l’époque, l’homophobie est bien installée. Écarter des homosexuels de postes à responsabilité est une pratique assez courante, y compris au sein de la Nasa, alors en plein essor lors de l’arrivée de Webb au poste d’administrateur en 1961 pour le programme Apollo.
Les auteurs de la tribune précisent : « James Webb était en partie responsable de l’application de la politique fédérale de l’époque : la purge des personnes LGBT. Quand il a pris des responsabilités, cette politique a été renforcée par les personnes qui travaillaient pour lui. »
Le maître d’orchestre du programme Apollo n’aurait donc non seulement rien fait pour enrayer la persécution contre les personnes LGBTQI+, mais en plus, il l’aurait renforcée activement. Les auteurs ajoutent : « Les archives montrent clairement que Webb a organisé et a participé à des meetings où il aurait transmis des consignes homophobes. Il n’y a aucune trace de lui faisant le choix de se lever pour ceux qui sont persécutés. »
Une fébrilité chez les astronomes
Ces accusations ne font tout de même pas l’unanimité chez les historiens. Le débat est très agité alors qu’aujourd’hui encore, des discriminations contre les minorités dans le milieu de l’astronomie sont pointées du doigt. C’est le cas des inégalités de genre. L’année dernière, le chercheur français Olivier Berné signait une étude dans Nature Astronomy à ce sujet. Il raconte à Numerama : « Pour la question des femmes, il y a de nombreuses données très claires sur leur sous-représentation, ou sur leurs témoignages plus nombreux déplorant les difficultés à lier vie familiale et vie professionnelle. Mais même malgré ça, notre étude a été remise en question par certains collègues. Et ce alors que les responsables des jurys d’admissions ont, eux, décidé d’agir pour limiter ces biais. Il y a une vraie fébrilité autour de ce sujet dans la communauté. »
Une fébrilité, mais aussi un manque cruel de données sur les discriminations, notamment envers les personnes LGBTQI+. « Être homosexuel aujourd’hui, c’est subir une discrimination très spécifique, précise Faustine Cantalloube, astrophysicienne à Marseille. On peut être rejeté par ses amis, sa famille… C’est quelque chose dont on ne parle pas toujours, donc les préjudices sont moins visibles, plus sournois. »
D’après la chercheuse, la France est tout particulièrement concernée par cette invisibilisation : « D’autres pays s’engagent davantage pour l’inclusivité, que ce soit dans les discours ou dans des dispositifs spécifiques, comme les toilettes non binaires par exemple. Chez nous c’est encore très tabou. »
«Un mauvais signal envoyé à la communauté»
Dans ce contexte où les voix des personnes discriminées sont encore peu entendues, le nom du JWST cristallise les tensions. Selon Faustine Cantalloube, c’est une occasion en or pour l’agence : « Le choix de James Webb était déjà problématique, car ce n’est pas un scientifique, et en plus la mission inclut aussi l’Europe et le Canada, alors qu’il n’a travaillé qu’à la Nasa. Il est donc encore temps de redresser la barre et de choisir quelqu’un de plus adapté. »
Alors qu’il est à la tête d’un projet d’observation d’Orion avec le JWST, Olivier Berné trouve ce débat nécessaire : « C’est un combat important. Et si les accusations sont confirmées par les historiens et que la Nasa choisit de conserver ce nom, ce serait une erreur à mon sens. Avec une mission importante, on aurait pu avoir un meilleur hommage, le nom d’une femme scientifique par exemple. »
Si tous sont d’accord pour dire que le nom de James Webb n’est peut-être pas le plus adapté, tout le monde n’est pas sur la même ligne à propos de la méthode utilisée pour le changer. Selon Franck Marchis, astronome franco-américain gay et militant pour les droits des personnes LGBTQI+, cette polémique est une erreur : « Dans nos cercles, nous n’avons absolument pas été prévenus de l’alerte lancée. Au final, cela ne sert qu’à attirer l’attention alors que la vraie discrimination qu’il faut combattre, c’est celle que l’on vit aujourd’hui, pas celle d’il y a 50 ans. »
Le chercheur aurait préféré que l’argent et l’énergie dépensés par la Nasa dans ce débat soient utilisés ailleurs : « Il faut créer des systèmes d’accompagnements pour les minorités, des comités, des programmes d’inclusion, des recherches… Nous savons aujourd’hui à quel point nous sommes mis de côté. Alors, se concentrer sur le nom d’un satellite, ce n’est pas la chose la plus urgente à faire maintenant. » Il détaille sa position dans un thread sur Twitter.
D’autres astronomes LGBTQI+ ne sont pas d’accord avec cette position. C’est le cas de Jorge Andrés Villa Vélez, qui travaille à l’observatoire de Marseille : « L’idée n’est pas de juger le passé avec les yeux d’aujourd’hui. Mais plutôt d’éviter de déifier une personnalité comme celle de James Webb si les faits sont avérés. C’est un très mauvais signal envoyé à la communauté. Comme si la Nasa nous disait : on sait qu’il est homophobe, mais on s’en fout ! »
Même discours chez Yana Khusanova, astronome non binaire au Max Planck Institute en Allemagne, qui nuance tout de même : « Je soutiendrai le changement de nom, mais cela ne doit pas être la seule mesure. L’important, avant tout, c’est d’accompagner les personnes LGBT dans leur environnement professionnel. »
Donner le nom d’une femme scientifique ?
La Nasa souhaite visiblement conserver le nom de James Webb : que faire ? Les scientifiques devront-ils boycotter le télescope pour leurs travaux ? La solution semble délicate, tant les avancées scientifiques attendues avec cet engin s’annoncent gigantesques. Les astronomes auteurs de la tribune demandent à inclure les personnes LGBTQI+ dans les remerciements des études. « Mettre un tel message serait une bonne idée, considère Jorg Andrés Villa Vélez. Ce serait une manière d’attirer l’attention sur ces problèmes. » « À titre personnel, je ne sais pas encore ce que je ferai, confie Faustine Cantalloube. Mais il ne faut pas faire comme si rien ne s’était passé, on ne doit pas tomber dans le syndrome Roman Polanski et vouloir séparer la science du scientifique ! James Webb a pu faire avancer le programme Apollo, mais il y a plein d’autres personnalités qui méritent sans doute plus que lui de voir leur nom sur le télescope. »
Les candidats, et surtout les candidates, ne manquent pas. Les auteurs de la tribune proposent notamment Harriet Tubman, qui a guidé des esclaves qu’elle libérait, en pleine guerre de Sécession, en se servant de l’étoile Polaire. Ils justifient : « Cela pourrait rappeler que le ciel nocturne est un héritage partagé qui nous appartient à tous. » Le nom de Katherine Johnson circule aussi, cette femme racisée américaine qui a aidé à faire décoller les fusées du programme Apollo. Mais la Nasa ne compte vraisemblablement pas se lancer dans une telle procédure à quelques mois à peine du lancement.
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