L’atmosphère est une baignoire : tous les gaz à effet de serre qui s’y logent s’y accumulent pour longtemps, notamment le CO2 qui peut y rester des milliers d’années. Le problème est que la baignoire est quasi pleine. Et que plus elle « débordera », plus les conséquences sur la planète et l’humanité seront graves (multiplication des sécheresses et des tempêtes, montée des eaux, etc.).
Ne plus émettre de gaz à effet de serre est donc vital. Mais de plus en plus de scientifiques, d’États et d’entreprises se penchent aussi sur la possibilité d’aspirer le CO2 émis afin de l’empêcher d’atteindre l’atmosphère, ou de l’en retirer lorsqu’il y est déjà. Est-ce efficace ? Qui le fait ? Voilà tout ce qu’il faut savoir sur ce qu’on appelle les technologies de capture carbone.
Peut-on capturer le CO2 avant qu’il atteigne l’atmosphère ?
Oui, il existe à l’heure actuelle diverses technologies permettant de capturer le CO2 qui nous pose tant de problèmes. « Certaines visent à éviter les émissions supplémentaires », nous explique Sofia Kabbej, chercheuse au sein du programme Climat, Énergie et Sécurité de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). L’idée, dans ce scénario, est de capturer le CO2 à la source, au niveau des cheminées des industries qui en émettent par exemple.
Une autre catégorie de technologies vise, à l’inverse, à éliminer le CO2 déjà émis. Un vaste site de ce type, conçu par l’entreprise Climework, a ainsi ouvert ses portes le 8 septembre, en Islande. Baptisé Orca, il pratique ce qu’on appelle en anglais du « direct air capture » (DAC) c’est-à-dire qu’il aspire l’air ambiant dans d’immenses ventilateurs qui filtrent le CO2 qu’il contient.
Une autre technique d’élimination du carbone connue dans le secteur est la capture carbone lors de la production d’énergie (souvent désignée, en anglais, par le sigle BECCS). « L’idée, ici, est de cultiver des végétaux qui vont absorber du carbone en poussant. Cette biomasse est ensuite brûlée afin de produire de l’énergie, et la part de CO2 relâché pendant ce processus est capturée », explique Sofia Kabbej à Numerama. La chercheuse souligne toutefois que cette dernière option peut poser problème : utiliser des champs pour cultiver cette biomasse réduit la place disponible pour les cultures alimentaires.
Toutes ces approches peuvent s’appuyer sur un catalogue varié de techniques de capture du carbone. « Les plus avancées et utilisées sont des techniques reposant sur l’absorption chimique ou la séparation physique, mais d’autres s’appuient sur des membranes ou des boucles chimiques », explique sur son site l’Agence internationale de l’énergie (IEA).
Que fait-on de ce CO2, une fois capturé ?
Deux options existent : stocker ce CO2 loin (très loin) de l’atmosphère ou le réutiliser. Dans tous les cas, cela nécessite souvent de compresser le CO2, puis de le transporter via des pipelines ou par bateaux, vers sa destination.
Où peut-on stocker le CO2 ?
Bonne nouvelle, ce n’est pas l’espace qui manque. Le CO2 peut être stocké dans « des formations géologiques profondes de roches poreuses, surmontées de couches imperméables qui empêchent le CO2 de remonter », explique sur son site l’Agence internationale de l’énergie (IEA). Et ce type de sites existent un peu partout dans le monde, sur terre ou sous les océans.
Il s’agit souvent de formations salines profondes ou d’anciennes réserves de pétrole ou de gaz, ayant stocké ces énergies fossiles pendant des millions d’années. « En général, le CO2 va être compressé, afin d’augmenter sa densité, puis être stocké a minima à plus de 800 mètres de profondeur. De cette manière, il conservera un état dense proche de l’état liquide », explique le site de l’IEA.
Il est crucial, avec des projets de ce type, de prévenir tout risque de fuite du CO2 capturé. Comme le soulignent nos confrères du Monde, si le CO2 stocké s’échappe, cela pourrait menacer la faune et la flore de la zone affectée. Tout risque de pollution des eaux souterraines doit également être écarté avant de donner le feu vert à ce type de projet. L’Agence Internationale de l’Énergie note cependant, dans une publication sur le sujet, que « la nature et les mécanismes permettant de piéger, de manière efficace et sûre, le CO2 dans ces réservoirs sont désormais bien connus ».
Les entreprises petrogazières injectent en effet, depuis longtemps, du CO2 sous terre, afin de récupérer plus facilement le pétrole et le gaz situés en sous-sol. Ces connaissances peuvent donc être réutilisées, afin de stocker du carbone de façon pérenne. « L’espace potentiel de stockage de CO2 dans le monde dépasse largement les besoins en la matière », précise par ailleurs l’IEA sur son site.
Peut-on utiliser le CO2 capturé ?
Oui, le dioxyde de carbone capturé peut-être utilisé de diverses manières. À l’heure actuelle, 230 millions de tonnes de CO2 sont utilisées, chaque année, par des entreprises de divers secteurs. La plupart (125 millions de tonnes) servent à fabriquer des engrais. Entre 70 et 80 millions de tonnes sont aussi utilisées lors de l’extraction pétrolière, comme vu plus haut. Mais il existe d’autres usages.
Créée par Suez et Fermentalg, la société CarbonWorks s’est par exemple spécialisée dans la capture carbone sur des sites émettant des flux de CO2 très concentrés (méthaniseurs, incinérateurs d’ordures, etc.) qu’elle utilise pour produire des microalgues. « Ces microalgues se développent en se nourrissant de CO2 », explique Jérôme Arnaudis, Directeur de la Division Air de Suez. Elles peuvent ensuite servir à produire des biopesticides par exemple, ou des aliments (pour les animaux ou les humains).
D’autres entreprises se servent du CO2 pour produire des polymères, des matériaux, voire des produits alimentaires (les boissons gazeuses par exemple). « Le volume de CO2 capturé qui pourra être réutilisé est toutefois bien inférieur au volume de CO2 qu’il est possible de stocker », précise à Numerama, Sofia Kabbej, chercheuse au sein du programme Climat, Énergie et Sécurité de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Capturer le CO2 coûte-t-il cher ?
Le coût de la capture carbone varie beaucoup selon où elle se fait. Si le CO2 émis est très concentré (c’est le cas, par exemple, sur des sites de production d’éthanol ou de traitement du gaz naturel), le coût de sa capture varie entre 13 et 21 € la tonne de CO2, souligne l’IEA. Lorsque le CO2 est plus diffus (centrales énergétiques, cimentiers, etc.), il se situe plutôt entre 34 et 100 € la tonne de CO2.
Capturer le carbone directement dans l’air ambiant (le « DAC ») est ce qui coûte le plus cher : de 113 à 300 € la tonne de CO2. Le stockage du CO2 est, quant à lui, relativement abordable. Aux États-Unis, par exemple, le coût de la moitié des sites de stockage sous terre est inférieur à 8,5 € la tonne de CO2.
Le problème est que pour le moment, si disperser du CO2 dans l’air a des effets dévastateurs sur le climat, cela ne coûte pas cher. Émettre du carbone est donc moins onéreux pour le moment que de le capturer. C’est en grande partie pour cette raison que la capture carbone n’est pas très développée.
À mesure que le prix du carbone émis par les entreprises augmente, ces technologies intéressent cependant de plus en plus. Le coût de la capture devrait par ailleurs baisser à mesure que la filière se développe, et peut ainsi réaliser des économies d’échelle. Comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie, le prix de la tonne de CO2 capturé a déjà significativement chuté ces dernières années. Si en 2014, la capture sur le site de la centrale à charbon américaine de Boundary Dam, coûtait 93 € /tonne; en 2017, sur le site de Petra Nova, elle ne coutait plus que 55 €/tonne. L’IEA estime que, sur les projets prévus entre 2025 et 2027, le coût moyen de la capture d’une tonne de CO2 devrait tomber à 38 euros.
Est-ce efficace de capturer du CO2 ?
Pour l’heure les quantités de CO2 capturés peuvent sembler dérisoires comparées à celles émises. En 2020, nous avons capturé 40 millions tonnes de CO2. Le chiffre peut impressionner, mais ce n’est rien comparé aux 40 milliards de tonnes de CO2 que nous émettons chaque année.
La capture de CO2 pourrait toutefois fournir un levier utile, dans l’arsenal vers le zéro carbone. Il faut bien comprendre que l’objectif de cette technologie n’est pas — et ne sera jamais — de piéger une grande partie des immenses quantités de CO2 que l’humanité génère chaque année. « Ce ne serait techniquement et financièrement pas du tout possible », explique Sofia Kabbej à Numerama
L’étape préalable, et absolument incontournable, vers le zéro carbone est donc de supprimer la quasi-totalité de nos émissions grâce aux divers leviers dont nous disposons notamment :
- Verdir la production d’électricité, en développant les énergies renouvelables ;
- Électrifier au maximum nos activités, notamment les transports ;
- Modifier notre régime alimentaire, car les ruminants émettent d’énormes quantités de méthane, un gaz à effet de serre extrêmement puissant.
De telles actions nous permettront de supprimer la majorité de nos émissions de gaz à effet de serre. Avec les technologies actuelles, certaines industries risquent cependant de ne pas pouvoir les supprimer totalement. Les cimentiers, par exemple émettent énormément de CO2, car la production de ciment requiert de décomposer du calcaire en le chauffant. Cela permet de récupérer l’oxyde de calcium (la chaux) dont ils ont besoin, mais cela produit dans le même temps du CO2. Et pour l’heure, il n’existe, hélas, pas vraiment d’autres moyens de fabriquer tout le ciment dont nous avons besoin pour construire nos habitations et nos infrastructures. C’est dans ce type de cas que la capture carbone peut avoir un rôle à jouer.
De manière générale, les technologies de capture carbone sont plutôt efficaces. Interrogé par Numerama, Thomas Le Bonhomme, consultant senior Énergie et Ingénierie au sein du cabinet Wavestone souligne que « le taux de captage du CO2 en sortie d’usine est estimé entre 80 à 95 % ». Ce taux dépend toutefois du site industriel, des fumées associées et du procédé de captation mis en place, souligne l’expert. « Par exemple, l’usine Shell Pearl gas to liquids au Qatar a mis en service, en 2006, un procédé d’oxy-combustion qui permet d’attendre un taux captage de CO2 de 95 % voire 99 %. Pour une centrale à charbon, le taux de captage envisagé est généralement de 90 % », précise Thomas Le Bonhomme.
Quels pays font de la capture carbone dans le monde ?
Même si la capture carbone est loin d’être utilisée à grande échelle, il existe tout de même divers sites dans le monde qui utilisent cette technologie. À l’heure actuelle, on en recense une vingtaine. « Les États-Unis sont leader dans ce domaine », souligne Sofia Kabbej, chercheuse à l’IRIS. C’est là-bas que se trouvent près de la moitié des sites en activité pour le moment. Cela s’explique en partie par les investissements de l’État sur le sujet, mais aussi parce que les US disposent d’un réseau de pipelines pour le CO2, et que plusieurs groupes pétroliers s’en servent dans le cadre de leurs opérations d’extractions.
Ces dernières années, d’autres sites ont fait leur apparition en Chine, en Australie, en Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unis, au Brésil et au Canada. Le développement des sites de capture et de stockage ou d’utilisation carbone (en anglais, CCUS) reste cependant encore timide. L’IEA tablait sur l’apparition d’une centaine de sites entre 2010 et 2020 avec le stockage de 300 millions de tonnes de ON2 par an. On se situe donc pour le moment à peine à 15 % de ces prévisions.
L’intérêt s’est cependant accentué récemment. Une trentaine de nouveaux projets ont été lancés ces dernières années, notamment en Europe. La Norvège a par exemple, annoncé fin 2020 investir beaucoup sur le sujet, notamment via un grand projet de capture et de stockage du CO2 baptisé Longship.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Vous voulez tout savoir sur la mobilité de demain, des voitures électriques aux VAE ? Abonnez-vous dès maintenant à notre newsletter Watt Else !