Depuis que la vaccination contre le coronavirus a démarré, de nombreux témoignages de personnes menstruées ont suggéré un impact possible sur le cycle menstruel — en particulier des règles retardées ou avancées, mais aussi des saignements vaginaux hors période des règles. Les témoignages n’ont certes pas valeur scientifique, car seule une étude scientifique peut établir un lien de causalité. Jusqu’ici, il n’y a donc que des « corrélations ». Mais ces rapports, en quantité tout de même élevée, doivent susciter l’intérêt du monde médical et scientifique. Au Royaume-Uni, par exemple, 30 000 effets de ce type ont été signalés sur la totalité des vaccinations depuis le début. En France, en août, on comptait 261 cas de troubles menstruels en août, 229 en juillet.
À l’heure actuelle, cet effet n’est pas listé parmi les effets secondaires habituels et non graves (migraine, mal au bras, fatigue…) des vaccins contre le covid. En France, l’Agence des médicaments estime qu’à ce jour, il n’y a pas de preuve d’un lien, et que « l’évolution est spontanément favorable en quelques jours pour la grande majorité des cas » (un constat similaire à celui des autres effets secondaires). Mais cela relève d’un « signal potentiel ».
Dans une lettre publiée dans la revue scientifique de référence The BMJ, Victoria Male, spécialiste en immunologie de la reproduction, estime que le lien entre ces vaccins et ces effets sur les menstruations est suffisamment plausible pour être, a minima, pris au sérieux. Elle appelle à ce qu’il y ait enfin de vraies investigations, et donc des études, pour confirmer ou exclure le lien.
Comment s’expliquerait une telle perturbation ?
Victoria Male rappelle que ces signalements proviennent des différents types de vaccins contre le coronavirus, qu’ils soient basés sur l’ARN messager (Pfizer, Moderna) ou bien sur le vecteur à adénovirus (AstraZeneca). De fait, cela exclut la possibilité qu’une telle réaction provienne d’un composant en particulier. S’il y a bien un lien, alors celui-ci proviendrait de la réaction immunitaire elle-même.
Et en effet, une étude a montré que, parmi les personnes réglées ayant été infectées au covid, un quart a connu une perturbation du cycle menstruel ( 19 % d’entre elles ont eu un cycle prolongé ; 20 % un flux moins abondant).
Victoria Male avance des explications possibles. La stimulation immunitaire, qui est générée par le vaccin tout comme par l’infection, a potentiellement « une influence immunologique sur les hormones qui régissent le cycle menstruel ». Autre possibilité, parallèle ou complémentaire : l’activation des cellules immunitaires (lymphocytes) situées au niveau de la muqueuse utérine, cellules qui sont impliquées dans l’accumulation ou la dégradation cyclique.
À ce jour, aucune étude clinique sur le lien entre vaccin et perturbation menstruelle ne vient éclaircir ces pistes d’explication.
Pourquoi il faut y porter de l’attention
Cette problématique ne doit pas être récupérée par une rhétorique anti-vaccination, mais elle ne doit clairement pas être invisibilisée non plus. Pour Victoria Male, c’est même tout l’inverse : « L’hésitation à se faire vacciner chez les jeunes femmes est largement motivée par les fausses allégations selon lesquelles les vaccins covid-19 pourraient nuire à leurs chances de grossesse future. Le fait de ne pas enquêter de manière approfondie sur les rapports faisant état de changements menstruels après la vaccination risque d’alimenter ces craintes. »
Car il semblerait que ces effets secondaires ne soient pas graves sur le long terme. Tous les signalements relevés jusqu’alors montrent que les perturbations sont de « courte durée ». Les vaccins contre le covid ne posent par ailleurs aucun risque majeur pour la santé, et ils ne posent pas non plus le moindre risque pour la fertilité. Mais l’absence de gravité ne signifie pas que ces effets ne sont pas gênants, inquiétants, ni douloureux, pour les personnes concernées. « Si un lien entre la vaccination et les changements menstruels est confirmé, cette information permettra aux gens de planifier des cycles potentiellement modifiés », signale Victoria Male. « Des informations claires et fiables sont particulièrement importantes pour les personnes qui comptent sur la capacité à prévoir leurs cycles menstruels pour éviter ou parvenir à une grossesse. »
L’immunologue tient donc à rappeler que la pharmacovigilance doit s’accentuer sur ce sujet. Elle écrit que tous les cliniciens et médecins devraient être encouragés à signaler tout changement dans les règles ou tout saignement vaginal inattendu. « Cela fournira des données plus complètes pour faciliter la recherche d’un éventuel lien, et indiquera aux patients que leurs préoccupations concernant la sécurité du vaccin sont prises au sérieux, ce qui renforcera la confiance. »
Mais le besoin d’une investigation sérieuse sur le sujet met aussi en lumière l’invisibilisation des troubles menstruels dans la recherche médicale. Sauf exception, l’impact d’un vaccin ou d’un médicament sur les règles n’est pas ou peu surveillé lors des études cliniques. « Les effets des interventions médicales sur les menstruations ne devraient pas être une réflexion après coup dans les recherches futures », écrit Victoria Male, car les essais cliniques sont justement le moment où ce type de lien peut être établi.
Sauf que s’il n’est jamais demandé aux personnes menstruées de signaler une perturbation de leur cycle, alors, en règle générale, elles ne le signaleront pas. Si cette question avait été posée lors des essais dédiés aux vaccins contre la maladie Covid-19, le flou serait peut-être dissipé depuis. « Les informations sur les cycles menstruels et autres saignements vaginaux devraient être activement sollicitées dans les futurs essais cliniques, y compris les essais de vaccins contre le covid », conclut Victoria Male dans son éditorial.
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