Créé par Bill Gates, Breakthrough Energy Catalyst a collecté un milliard de dollars pour financer les énergies propres. L’entité s’intéresse spécifiquement à quatre technologies qui n’ont pas encore fait la preuve de leur viabilité. L’objectif est de les aider à passer plus rapidement à l’échelle supérieure.

Un milliard de dollars. Voilà ce que Bill Gates a collecté pour financer les énergies propres, selon un communiqué daté du 20 septembre. Une somme conséquente, qui peut effectivement doper la recherche dans le domaine. Mais quelles sont concrètement les innovations sur lesquelles le cofondateur de Microsoft a décidé de parier, et surtout, dans quelle mesure peuvent-elles aider à lutter contre la crise climatique ?

«  Beaucoup d’innovations dans le domaine de l’énergie verte (…) sont désormais plus compétitives que celles, plus polluantes, qu’elles visaient à remplacer (…) Mais nous ne pouvons pas attendre des décennies pour que la génération d’énergies propres suivante devienne, elle aussi, plus compétitive que ses concurrentes fossiles », fait valoir Breakthrough Energy Catalyst, l’entité dédiée aux énergies vertes créée par Bill Gates, qui a collecté un milliard de dollars, dans le but d’accélérer le mouvement sur ce sujet. Celle-ci se concentre en pratique sur quatre domaines.

La capture directe de CO2 dans l’air

Ce domaine a fait les gros titres il y a peu, avec l’ouverture de la plus grande usine de capture directe de C02 dans l’air, en Islande. L’objectif de cette technologie est enthousiasmant sur le papier : il s’agit de piéger le C02 de l’air, en l’aspirant dans de grands ventilateurs équipés de filtres spéciaux. Une fois le C02 piégé, il peut être au choix utilisé ou stocké profondément sous terre. Dans le dernier cas de figure, il est très important de garantir qu’il n’y a aucun risque de fuite (le C02 pourrait sinon affecter la faune et la flore environnante, ou polluer des eaux souterraines).

L’Agence Internationale de l’Énergie souligne cependant que « la nature et les mécanismes permettant de piéger, de manière efficace et sûre, le C02 dans ces réservoirs (ndlr : géologiques) sont désormais bien connus ». Autre point encourageant : l’espace disponible pour stocker le C02 sous terre excède largement le volume dont nous avons besoin.

Climeworks est une autre entreprise qui propose la capture de CO2 directement dans l'air ambiant. // Source : Climeworks

Climeworks capture le CO2 directement dans l'air ambiant.

Source : Climeworks

Il est toutefois important de comprendre que cette technologie n’a pas du tout vocation à éliminer une grande partie de nos émissions de gaz à effet actuelles. Nous émettons, pour le moment, entre 40 et 50 milliards de tonnes de C02, chaque année. Il serait techniquement et financièrement impossible d’en capturer une grande partie. Réduire quasiment à zéro nos émissions est donc une étape préalable absolument incontournable. On sait cependant que toutes les industries ne pourront pas éliminer parfaitement et à 100 % leurs émissions. C’est là que la capture carbone pourrait avoir un rôle utile.

La principale limite de la technologie de capture directe du carbone dans l’air est toutefois son prix. Il faut dépenser actuellement  113 à 300 € pour capture une tonne de C02 par ce biais. Un coût vraiment prohibitif que Bill Gates espère visiblement pouvoir faire baisser. Reste à voir dans quelle mesure il y parviendra.

L’hydrogène vert

L’hydrogène est un gaz utilisé dans divers secteurs industriels (chimie, pétrochimie, métallurgie, etc.). Il n’émet pas de C02 lorsqu’il est utilisé, mais la manière dont il est habituellement fabriqué, elle, en génère beaucoup. Des procédés tels que la décomposition de l’eau permettent cependant de fabriquer de l’hydrogène sans émettre de gaz à effet de serre, c’est cela qu’on appelle l’hydrogène vert.

Ce dernier est une piste étudiée pour lutter contre le changement climatique. Beaucoup d’énergies renouvelables sont intermittentes (l’éolien britannique a par exemple beaucoup souffert de la météo calme, des premières semaines de septembre). Or, l’énergie qu’elles produisent ne se conserve pas facilement. L’hydrogène vert, lui, peut aisément se stocker et se transporter sous forme gazeuse ou liquide. Son potentiel est donc analysé, afin de déterminer s’il pourrait constituer une source d’énergie adaptée, pour les industries qui ne parviendraient pas à réduire toutes leurs émissions par d’autres biais. Beaucoup de pays s’y intéressent, notamment la Chine et les États-Unis. La France a également annoncé en 2020, 7 milliards d’euros d’investissements dans ce domaine.

L’hydrogène vert est toutefois loin d’avoir prouvé sa viabilité. Son coût notamment est, pour l’heure, très élevé. Selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), alors que le coût de l’hydrogène gris (l’hydrogène « standard » dont la fabrication émet de gaz à effet) est d’environ 1,5 euro par kilo dans l’UE, celui de l’hydrogène vert se situe entre 2,5 à 5,5 euros par kilo. L’Agence Internationale de l’Énergie suggère cependant qu’il serait possible de réduire les coûts de l’hydrogène vert grâce à la massificaiton de sa production, et à la baisse du coût des énergies renouvelables (utilisés dans son processus de fabrication). L’enjeu sera donc de voir quels progrès peuvent être faits dans ce domaine. Si la technologie s’avère pertinente, elle pourrait constituer une solution d’appoint, lorsque les émissions ne peuvent pas être réduites par d’autres voies plus classiques.

Avion Boeing 737 MAX

Avion Boeing 737 MAX.

Source : Liam Allport

Les carburants aériens durables

L’aérien est un des secteurs où la transition verte est la plus complexe. Si l’on voit se développer des alternatives vertes solides sur la route (voitures électriques, camions électriques, etc.), l’avion électrique, lui, n’est pour l’heure pas du tout à la hauteur des besoins.

Le problème qui se pose, ici, est celui de la densité énergétique des batteries, largement inférieure à celle du carburant. Un A320 qui utilise 30 tonnes de kérosène aurait par exemple besoin de 300 tonnes de batteries électriques pour décoller… alors qu’il ne peut pas en transporter plus de 70. Tout cela explique l’intérêt de l’entité de Bill Gates, Breakthrough Energy Catalyst, et de bien d’autres, pour les carburants aériens durables aussi appelés biocarburants.

Leur impact environnemental dépend beaucoup de leur nature. Les biocarburants dits de première génération, produit à partir de ressources alimentaires (blé, colza, maïs, etc.) posent problème, car ils peuvent entraîner des hausses de prix sur ces produits. Ils ont d’ailleurs été régulés par l’UE depuis. Les biocarburants de 2e génération sont plus prometteurs, car ils sont produits à partir de déchets (pailles et autres résidus de culture, huiles de cuisson usagées, etc.). Il est cependant crucial de bien contrôler leur provenance. Vu les prix de ces biocarburants, il peut être rentable, pour certains pays, de vendre des huiles, même si elles n’ont pas déjà été utilisées. Dans le cas de telles fraudes, se posent donc les mêmes problèmes de concurrence des sols qu’avec la première génération.

Les carburants durables se heurtent, du reste, à plusieurs autres limites de taille dans l’aérien. En mai dernier, Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué des Transports, avait salué le décollage d’un avion alimenté avec ce type de carburants qui effectuait un vol Paris – Montréal. Il indiquait sur Twitter, qu’il était techniquement possible d’utiliser 50 %, voire davantage de biocarburants, pour un vol. Mais pour l’heure, les avions en utilisent généralement beaucoup moins. Le fameux vol Paris – Montréal n’en avait que 16 %.

Même si l’on parvient un jour à réaliser des trajets avec 100 % de biocarburants, il semble par ailleurs impossible de déployer cette solution à très grande échelle, tant les volumes de production sont faibles. « La production mondiale de biokérosène ne devrait représenter que 1 à 3 milliards de litres d’ici 2025  », note un rapport de l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques. C’est à peine 1 % de ce que consomme le secteur aérien dans le monde. « Et l’aérien n’est pas le seul à s’intéresser aux biocarburants, le secteur routier compte également en utiliser  », nous expliquait Agathe Bounfour de Réseau Action Climat, en mai 2021.

Le stockage d’énergie longue durée

Le stockage d’énergie est le nerf de la guerre, dans la transition climatique. On l’a rappelé plus haut, le principal défi que posent les énergies renouvelables est que beaucoup sont intermittentes (le soleil ne brille pas toujours, le vent ne souffle pas en permanence). Il est donc fréquent que leur production soit inférieure à nos besoins à l’instant T.

C’est particulièrement rageant, car elles peuvent, à l’inverse, excéder nos besoins à d’autres moments. Parvenir à stocker — à un coût raisonnable — cette énergie verte excédentaire serait une avancée énorme dans la lutte contre le changement climatique. « Cela signifie pouvoir utiliser, la nuit, l’énergie accumulée le jour, ou la conserver d’une semaine à l’autre, voire d’une saison à l’autre », met en évidence l’équipe StorageX de l’université de Stanford.

Pour résoudre les défis du stockage longue durée, l’entité Breakthrough Energy de Bill Gates étudie le potentiel de l’hydrogène vert. La transformation permettant de produire de l’hydrogène vert grâce à de l’eau et de l’électricité est en effet réversible. Il peut donc servir à stocker de l’électricité qu’il sera possible de récupérer ensuite, grâce à des piles à combustible. Breakthrough Energy (BE) regarde aussi de près les batteries à flux. Form Energy, une startup qu’elle soutient, travaille par exemple sur une batterie fer-air censée pouvoir tenir des centaines d’heures, et coûter beaucoup moins cher qu’une batterie lithium-ion.

BE scrute également avec intérêt les approches inspirées du traditionnel stockage hydraulique très répandu en France : l’énergie excédentaire, produite à un instant T, est utilisée pour pomper de l’eau, et la faire remonter dans un bassin en hauteur. Lorsque la demande est de nouveau là, l’eau est relâchée et produit de l’électricité en actionnant des turbines.

Les barrages permettent de produire de l'électricité bas carbone. // Source : John Gibbons / Unsplash

Les barrages permettent de produire de l'électricité bas carbone.

Source : John Gibbons / Unsplash

Selon BE, ce mécanisme de pompage-turbinage peut cependant être amélioré. L’entité s’intéresse aussi à plusieurs mécanismes différents, mais inspirés du stockage hydraulique, comme celui d’Energy Vault où l’eau est « remplacée » par des blocs de béton. Concrètement, lorsque l’énergie verte dépasse les besoins, elle est utilisée pour alimenter une grue qui hisse des blocs de 35 tonnes. Quand la demande est de nouveau là, ces blocs très lourds sont redescendus, ce qui alimente un alternateur.

Qu’il s’agisse du stockage longue durée, de l’hydrogène vert, de la capture directe de carbone ou biocarburants, Breathrough Energy Catalyst, souligne dans son communiqué, qu’il s’agit d’innovations vertes qui ont « prouvé leur potentiel à petite échelle », mais pas encore sur un périmètre plus large. Tout l’enjeu de cet investissement sera justement de déterminer si elles méritent un développement plus conséquent.

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