Pour comprendre comment a émergé le coronavirus SARS-CoV-2, il est nécessaire d’identifier plus exactement son lignage génétique. Il faut réussir à le placer le plus précisément possible dans un arbre généalogique des coronavirus existant déjà dans la nature. Lorsque le SARS-CoV-2 a été découvert, il apparaissait relativement nouveau. Même si la famille des coronavirus est bien connue en tant que telle, il avait des caractéristiques à part entière : la protéine Spike, qui lui permet d’infecter notre organisme, n’a pas d’équivalent.
Qui plus est, si l’on sait de quelles espèces animales proviennent les autres coronavirus, le réservoir animal du SARS-CoV-2 n’a pas été identifié avec certitude. On trouve un certain nombre d’études confirmées relevant la présence de séquences génétiques très similaires chez les chauves-souris — et d’autres études évoquent l’implication du pangolin comme intermédiaire potentiel ayant provoqué une mutation de l’agent infectieux. Mais si des virus de chauve-souris génétiquement proches du SARS-CoV-2 ont bel et bien été trouvés, ceux « capables de pénétrer dans les cellules humaines par la voie des récepteurs ACE2 n’ont pas encore été identifiés, alors qu’ils seraient essentiels pour comprendre l’origine de l’épidémie.»
C’est ce qui a motivé une équipe de chercheurs, de l’Institut Pasteur et de l’Université nationale du Laos, à partir explorer la nature en quête des coronavirus similaires. Ils ont publié leurs trouvailles sur le serveur de pré-publication Research Square en septembre 2021, ce qui signifie que ce n’est pas encore un travail validé par dans une revue scientifique après relecture par un comité indépendant.
Des séquences génétiques proches du SARS-CoV-2 « existent dans la nature »
« Nous montrons ici que de tels virus circulent effectivement chez les chauves-souris cavernicoles vivant dans les terrains karstiques calcaires au nord du Laos, au sein de la péninsule indochinoise », expliquent les chercheurs à l’origine de ce papier de recherche. En clair, ils ont réussi à identifier, dans la nature, chez des chauves-souris, des coronavirus très proches du coronavirus SARS-CoV-2.
Pour mener à bien leur recherche, cette équipe a capturé 645 chauves-souris de la famille Rhinolophidae habitant dans les grottes calcaires du nord du Laos. Puis, pour chaque virus trouvé, ils ont comparé les séquences génétiques à celles du coronavirus SARS-CoV-2. Trois virus ont été identifiés (baptisés par les auteurs BANAL-52, BANAL-103 et BANAL-236) comme très proches. Ces derniers partagent plus de 95 % de leur génome avec le SARS-CoV-2. Le virus BANAL-52 partage même 96,3 % de son code génétique avec le SARS-CoV-2, soit encore davantage que RaTG13, un proche cousin lui aussi, partageant 96 % de sa séquence génétique, et qui circulait il y a 10 ans au Cambodge.
Ce n’est pas la première fois que des cousins du SARS-CoV-2 sont découverts dans la nature. Le 9 février 2021, dans une étude publiée dans Nature, des chercheurs apportaient des preuves moléculaires et sérologiques de la circulation active de coronavirus apparentés chez les chauves-souris en Asie du Sud-Est — famille Rhinolophidae. En août 2021, une équipe publiait dans Cell la découverte de quatre coronavirus également très proches du SARS-CoV-2, à nouveau chez des chauves-souris de type Rhinolophidae. Des virus de chauve-souris partageant 92,6 % du code génétique du SARS-CoV-2 ont aussi été trouvés au Cambodge. La nouvelle étude, bien que non confirmée aujourd’hui, s’inscrit donc dans une certaine continuité : l’Asie du Sud-Est semble contenir un important réservoir animal de coronavirus génétiquement cousins de celui-ci ayant provoqué le covid.
Des proximités encore jamais vues avec le SARS-CoV-2
Toutefois, la nouvelle étude menée par l’Institut Pasteur et l’université du Laos montre que les trois virus mis au jour dans leurs recherches contiennent des proximités encore jamais vues avec le SARS-CoV-2. Cela concerne une section déterminante de l’agent infectieux : le fameux domaine de liaison au récepteur. Lors d’une expérience en laboratoire, les auteurs ont découvert que BANAL-52, BANAL-103 ainsi que BANAL-236 peuvent s’attacher aux récepteurs cellulaires humains ACE2, tout comme la protéine Spike du coronavirus SARS-CoV-2. Et ce avec une efficacité proche des toutes premières souches du virus, lors de sa découverte à Wuhan, en Chine, au début de la pandémie. Ils semblent donc avoir « le même potentiel d’infection humaine que les premières souches du SARS-CoV-2 », écrivent les auteurs.
L’équipe de recherche en arrive à deux conclusions potentielles :
- Ces résultats peuvent contribuer à la compréhension de l’origine du SARS-CoV-2, car ils montrent que des séquences génétiques très proches de celles des premières souches du SARS-CoV-2 « existent dans la nature » et sont « présentes chez plusieurs espèces de chauves-souris Rhinolophus », comme le montraient déjà d’autres études sus-citées et d’autres.
- Ensuite, cela vient rappeler les enjeux sanitaires d’une prévention accrue : « Les personnes qui travaillent dans les grottes, comme les collecteurs de guano [excréments qui peuvent servir de fertilisant], ou certaines communautés religieuses ascétiques qui passent du temps dans les grottes ou très près d’elles, ainsi que les touristes qui visitent les grottes, sont particulièrement susceptibles d’être exposés. » Des études complémentaires sont « nécessaires » sur ce point, afin de déterminer « si ces populations exposées ont été infectées par l’un de ces virus, si ces infections sont associées à des symptômes et si elles pourraient conférer une protection contre des infections ultérieures par le SARS-CoV-2. »
Même si elle s’inscrit dans un certain continuum, cette étude est loin de répondre à toutes les interrogations. Les trois virus découverts ne correspondent pas entièrement aux caractéristiques du SARS-CoV-2, ce qui signifie qu’il demeure le chaînon manquant, toujours non identifié, de la mutation originelle en la souche qui a déclenché la pandémie.
La question d’un animal intermédiaire (tel que le pangolin), réservoir où aurait eu lieu cette mutation déterminante, reste en suspens et aussi bien plus complexe à adresser. Mais cette étude rappelle justement que les recherches de terrain peuvent aider peu à peu à reconstituer le puzzle.
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