Cela faisait près de cinquante ans qu’aucune roche lunaire n’avait été ramenée jusque dans les laboratoires terrestres. Et l’attente valait le coup. La mission chinoise Chang’e 5 a rapporté quelques kilos d’échantillons aujourd’hui analysés en détail. Ils confirment, s’il en était besoin, que notre satellite a encore beaucoup de choses à nous apprendre. Cette dernière livraison révèle ainsi, selon une étude parue dans Science le 7 octobre 2021, que la lave ancienne est beaucoup plus récente que ce qui était attendu. En d’autres termes : les volcans de la Lune sont restés actifs plus longtemps que prévu.
L’auteur principal, Xiaochao Che, précise dans l’étude : « Le site d’atterrissage a été choisi car nous pensions bien y trouver les laves les plus jeunes à la surface de la Lune, afin de définir une chronologie globale de l’astre. » En effet, Oceanus Procellarum (ou l’Océan des tempêtes), où s’est posée la sonde chinoise, est une mer lunaire de 2 500 kilomètres de long qui se serait formée après une inondation de basalte, c’est-à-dire une gigantesque éruption volcanique. Cette lave produirait énormément de chaleur et aurait donc mis du temps avant de refroidir et de se solidifier, ce qui en ferait le témoignage le moins ancien du volcanisme lunaire. La zone était déjà particulièrement scrutée puisque d’autres missions comme Apollo 12 s’étaient posées dans la même région.
Du magma jeune de deux milliards d’années
D’autres échantillons de roches volcaniques avaient déjà été ramenés, mais ceux-ci sont issus de magma qui a été éjecté il y a deux milliards d’années à peine. Une époque où la Lune aurait dû, selon la théorie, être déjà beaucoup plus calme. « Expliquer le volcanisme récent sur un corps aussi petit que la Lune est compliqué, reconnaît Xiaochao Che. L’évolution thermale de la Lune ne prévoit pas de chaleur pendant un temps très long. »
La théorie générale veut que la Lune ait stoppé toute activité interne peu de temps après sa formation. Elle serait donc rapidement devenue géologiquement morte, c’est-à-dire sans aucun processus interne qui modifierait sa surface. Une surface seulement perturbée par des impacts d’astéroïdes formant de nouveaux cratères, mais pas de mouvements de plaques tectoniques, ni de volcanisme. Si le volcanisme a duré plus longtemps, cela peut être dû à la présence de certains éléments qui créent de la chaleur et font fondre le magma. Mais ces derniers éléments indiquent que ce processus a duré 2,5 milliards d’années après la formation du satellite, ce qui est extrêmement long et donc difficile à justifier.
Les chercheurs se sont donc intéressés à deux morceaux en particulier, pour essayer de comprendre comment ils ont réussi à rester chauds aussi longtemps. Ils ont bien vu que les échantillons étaient produits un milliard d’années après ceux récoltés par les missions Apollo, mais n’ont pas trouvé d’uranium, de potassium ou de thorium en quantité suffisante pour expliquer un réchauffement si tardif. « D’autres explications restent à trouver, avouent les auteurs. Il semble exister une corrélation entre la présence de basalte jeune et celle d’éléments qui produisent de la chaleur, mais tout cela reste assez peu clair et n’explique pas tout. »
En tout cas, cette étude réfute de nombreuses autres parues ces dernières années, dont celle de Stuart Robbins, chercheur de l’Université du Colorado, qui avait voulu établir une nouvelle calibration de l’âge des cratères lunaires dans une étude parue en 2014. « Nous avions établi à l’époque que l’âge des cratères était très incertain, raconte-t-il à Numerama, surtout ceux qui avaient moins de 3 milliards d’années. » En cause : le manque d’échantillons, puisque seules les missions Apollo et Lunar, qui avaient donc ramené des roches plus vieilles, avaient pu être prises en compte. « Pour le reste, précise Stuart Robbins, nous nous basons beaucoup sur de l’interprétation, et les roches récupérées par Chang’e 5 prouvent que nous avions tort. »
Comment la Lune a-t-elle pu rester chaude ?
Ces échantillons montrent que les autres études tentant de prouver l’âge des cratères ne sont pas forcément justes, et donc, que le nombre d’impacts a pu être davantage étalé dans le temps. Tous n’ont pas eu lieu il y a 3 milliards d’années. «Obtenir les âges absolus des cratères, c’est la clé ! affirme Stuart Robbins. C’est la meilleure manière d’avancer pour mieux comprendre la Lune et je suis heureux de voir que de nouvelles mesures peuvent améliorer notre connaissance de sa chronologie. »
Mais si l’histoire de la Lune devient un peu mieux connue, elle soulève encore davantage de questions : comment un astre si petit, sans mouvements internes a priori, a-t-il pu entretenir de la chaleur et du magma pendant plus de 2 milliards d’années ? Dans son étude, Xiaochao Che propose quelques idées, comme l’effet de marée. L’idée est que la gravité exercée par la Terre déformerait le satellite. Les couches souterraines de la Lune seraient ainsi agitées et créeraient de la chaleur.
Une autre piste serait d’imaginer des minéraux qui fondraient à des températures plus froides à l’intérieur du manteau. Quoi qu’il en soit, les échantillons de cette mission chinoise ont sans doute encore beaucoup à nous apprendre selon Stuart Robbins. «La Lune n’est pas homogène. Il nous faut du matériel venant de différentes époques, de différentes zones, pour avoir plus d’informations. Nous allons certainement découvrir de nombreuses choses dans les années qui viennent.»
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