« De nombreux pays dans le monde sous-représentent leurs émissions de gaz à effet de serre dans leurs rapports aux Nations Unies », introduit une enquête menée par le Washington Post et que le journal américain publie ce 8 novembre 2021. « La stratégie pour sauver le monde des pires effets du changement climatique repose sur des données. Mais les données sur lesquelles se base le monde sont fausses », affirme le journal.
L’enquête intervient alors que des décideurs et décideuses du monde entier sont réunis à Glasgow depuis le 31 octobre 2021 dans le cadre de la COP26 — le vingt-sixième sommet annuel sur les changements climatiques. Cet événement, très attendu, est d’ores et déjà décevant, ne menant toujours pas, à l’heure actuelle, à des décisions suffisamment contraignantes.
Un écart de 8,5 à 13,3 milliards de tonnes
Le journal explique baser son enquête sur de l’analyse de données : les data journalistes ont mis en relation les chiffres transmis par les pays aux Nations unies avec des modèles statistiques des émissions probables de chaque pays en 2019, ainsi qu’avec d’autres jeux de données scientifiques mesurant les gaz à effet de serre.
C’est ainsi qu’ils ont découvert un écart suffisamment significatif entre les déclarations officielles et les autres sources de suivi indépendantes (le Global Carbon Project ; une étude de Minx et al. ; l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ; l’Organisation météorologique mondiale).
Le Washington Post relève que l’écart peut aller de 8,5 milliards de tonnes d’émissions jusqu’à 13,3 milliards de tonnes… par an. Les milliards de tonnes d’émissions, qui passent en partie inaperçues puisqu’elles ne sont pas déclarées, représentent 23 % des émissions totales de l’humanité sur une année. Le dioxyde de carbone (CO2), le méthane et certains gaz synthétiques en font partie.
À ce stade du changement climatique, et comme le précise le dernier rapport du GIEC, chaque émission pèse dans la balance. Donc à l’échelle des milliards de tonnes concernés ici, l’écart est susceptible de faire pencher la balance du réchauffement.
« Une feuille de route défectueuse »
Si le journal décide de publier cette enquête maintenant, c’est bien en raison de la COP26. Les auteurs de l’article affirment que les chiffres utilisés lors du sommet pour guider la prise de décision sur la réduction des gaz à effet de serre « constituent une feuille de route défectueuse », car « le défi est encore plus grand que ce que les dirigeants mondiaux ont reconnu ».
Contactée par le Washington Post, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques reconnaît cet écart et répond qu’il est attribuable à « l’application de différents formats de rapport et à l’incohérence dans la portée et l’opportunité des rapports (par exemple entre les pays développés et en développement, ou entre les pays en développement) ». Le porte-parole Alexander Saier précise ensuite chercher à « faire davantage » pour améliorer ce suivi, et notamment pour « fournir un soutien aux pays en développement pour améliorer leurs capacités institutionnelles et techniques. »
Mais le Washington Post rappelle que le problème vient aussi des règles officielles dans le calcul des émissions, qui permettent des largesses. Des pays tels que les États-Unis, la Chine, la Russie soustraient un demi-milliard de tonnes chaque année en prétendant qu’une part du carbone issu de la combustion fossile « est absorbé par les terres ». Et s’il est vrai que certains écosystèmes, forestiers notamment, sont des « puits à carbone », leur rôle semble très surestimé, a fortiori car des pratiques de déforestation viennent réduire la surface de ces puits et même les vider dans l’atmosphère. Mais cette stratégie comptable pourrait permettre à l’avenir « à ces pays et à d’autres de continuer à rejeter des émissions importantes tout en prétendant être ‘net zéro’ », dénonce le Washington Post.
Un pays comme l’Australie ne rapporte pas les émissions de dioxyde de carbone provenant des feux de forêt, qui ont pourtant récemment émis énormément de CO2 dans l’atmosphère. Certains pays ne relaient tout bonnement pas leurs émissions depuis des années, comme l’Algérie. À l’écart de 8,5 à 13,3 milliards de tonnes, s’ajoutent aussi plus d’un milliard de tonnes d’émissions provenant des voyages et transports internationaux, desquels aucun pays ne souhaite prendre la responsabilité.
L’enquête du Washington Post est importante, car, au-delà de son constat, elle vient rappeler que l’enjeu climatique relève également d’un enjeu de transparence : il faut se mettre d’accord sur les règles et les respecter. À ce titre, il faut rappeler que l’Accord de Paris comprenait un volet appelé « Cadre d’action et de soutien pour une transparence renforcée ». Ce cahier des charges visant l’amélioration des rapports, justement, impliquait des objectifs pour décembre 2022 pour les pays développés, décembre 2024 pour les pays en développement.
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