Autour de la Terre, orbitent quelques milliers de satellites artificiels mais un seul naturel, la Lune. Seulement, si on dézoome un peu l’image, on peut trouver des objets qui s’approchent de la planète, voire qui semblent tourner autour. Ces derniers sont surnommés des quasi-satellites, et l’un d’eux intrigue une équipe de chercheurs américains qui a publié une étude à son sujet, dans la revue Nature Communications Earth & Environment.
«C’est un astéroïde qui s’appelle Kamo’oalewa, raconte à Numerama le principal auteur Ben Sharkey de l’Université d’Arizona. Nous avons découvert qu’il était très différent de la plupart des astéroïdes connus. En fait, il ressemble plus aux échantillons lunaires étudiés depuis les missions Apollo.»
Kamo’oalewa est un quasi-satellite
Mais avant de rentrer dans le détail de cette étude, quelle différence y a-t-il entre un quasi-satellite, et un simple astéroïde ? À dire vrai, la frontière est mince. Un quasi satellite orbite autour du Soleil, mais sur la même longitude moyenne que la planète. Ce qui veut dire que lorsqu’on se place du point de vue de la planète, l’objet semble tourner autour, et reste visible à des intervalles réguliers. Mais contrairement à ce que son nom laisse entendre, ce n’est pas du tout un satellite de la planète, il n’orbite pas autour. Kamo’oalewa, découvert en 2016, est un compagnon régulier qui passe parfois à « seulement » 14 millions de kilomètres de nous. Il mesure quelques dizaines de mètres à peine et son orbite semble stable pour au moins quelques siècles selon les simulations.
Des reflets rouges qui intriguent
Si c’est lui qui intrigue les astronomes, c’est avant tout car c’est celui qui est le plus facile à observer. Il reste près de la Terre pendant une période assez longue, contrairement à ses congénères. C’est ce qui a poussé l’équipe de Ben Sharkey à tourner deux télescopes de l’Arizona vers lui, d’abord en avril 2017 pour déterminer sa couleur et sa période de rotation. Puis en mars 2021 pour affiner les mesures et prendre quelques images en proche-infrarouge.
Et c’est là que certaines caractéristiques ont sauté aux yeux de Ben Sharkey : «Kamo’oalewa reflète la lumière du Soleil d’une manière typique des minéraux trouvés sur la Lune, ce qui est très rare sur les astéroïdes les plus communs. Ceci, plus le fait qu’il reste près de la Terre pousse à croire qu’il est originaire de la Lune.»
Au départ, tout semblait normal : une composition de silicate comme les astéroïdes ordinaires, une rotation similaire également. Mais c’est l’imagerie en proche-infrarouge qui a révélé ces reflets tirant vers le rouge beaucoup plus inhabituels. Cette couleur dans cette longueur d’ondes peut-être expliquée par trois facteurs :
- L’angle d’observation. Mais ici, même en prenant en compte des imprécisions, un spectre qui tire autant vers le rouge n’est pas explicable.
- La présence de petits grains de roches à la surface. Plus ils sont petits, plus le reflet de la lumière apparaît rouge. Là non plus, même de très petits grains ne suffisent pas à expliquer cette couleur.
- La présence de métal fait aussi tirer sur le rouge, mais les seuls astéroïdes connus pouvant approcher celui-ci sont essentiellement faits de métal, pas de silicate, donc ça ne fonctionne pas.
Alors comment expliquer ce rouge ? Il reste un dernier critère : l’érosion telle qu’elle existe sur la Lune. Des études ont montré qu’elle faisait diminuer l’albédo des roches et les rendait plus rouges. Ce qui a pu être observé sur les échantillons recueillis lors des missions Apollo. Au final, c’est parmi ces échantillons que les chercheurs ont trouvé des roches qui ressemblaient le plus à Kamo’oalewa.
Un sérieux manque de données
Une autre hypothèse serait celle des astéroïdes troyens. Ces astres qui vont prochainement être étudiés par la sonde Lucy de la NASA sont encore mal connus. Mais les données sur eux sont tellement rares que l’idée est difficile à étayer. Le plus probable reste donc une origine lunaire, ce qui soulève beaucoup de questions, notamment sur la formation de l’astéroïde. Il pourrait être né lors d’une collision géante sur la Lune, mais quand et dans quelles circonstances ? Mystère.
Le principal obstacle pour les chercheurs est le manque de données. Les observations de Kamo’oalewa sont peu nombreuses, mais celles des autres quasi-satellites connues sont encore plus rares. Il n’y a donc pas de point de comparaison pertinent, mais les auteurs ne baissent pas les bras : «Nous espérons bientôt avoir des images dans l’infrarouge, déclare Ben Sharkey. Dans ces longueurs d’ondes, il y a davantage d’empreintes vraiment uniques qui ressortent, ce qui pourrait lever les incertitudes.»
Si la découverte est confirmée, cela relancerait les recherches autour de la formation du couple Terre-Lune. L’histoire de ce système est racontée en partie par les morceaux de Lune qui sont tombés sur Terre sous forme de météorites, mais nous savons assez mal comment le matériel a navigué d’un astre à l’autre. «Déterminer l’événement qui a créé Kamo’oalewa nous apporterait de précieuses informations sur le processus, assure Ben Sharkey. Continuer à l’étudier, c’est s’attendre à de grandes découvertes.»
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