La Russie est accusée d’avoir mené mi-novembre un test militaire pour évaluer sa capacité de destruction des satellites avec un missile. Le tir a ciblé un ancien satellite soviétique et a provoqué un champ de débris, qui a été photographié. La France, comme d’autres pays dans le monde, suit désormais de près la trajectoire de ces éclats. Plusieurs questions émergent à l’issue de cet essai très décrié pour ses conséquences néfastes.
C’est quoi, un tir de missile anti-satellite ?
Un tir anti-satellite consiste essentiellement à déployer un missile pour détruire un satellite en orbite autour de la Terre. La plupart du temps, les missiles — qui sont donc constitués d’une charge explosive, d’une propulsion et d’un système de guidage — sont dirigés contre des cibles sur terre, en mer ou dans les airs. La particularité d’un tir anti-satellite est qu’il se termine dans l’espace, au-dessus des 100 km d’altitude.
Mettre en œuvre un armement anti-satellite est complexe, car il faut tenir compte à la fois de la vitesse de déplacement de la cible, de sa trajectoire ainsi que de son altitude. C’est très différent par exemple d’une frappe au sol, qui est relativement plus « simple » si la cible est statique. Cela étant, il faut alors tenir compte d’une éventuelle défense anti-missile, nécessitant des manœuvres d’évitement.
Ce développement a suivi de près l’émergence des satellites. Ce sont les États-Unis qui ont ouvert cette ère d’ailleurs, quand ils ont appris le lancement du premier satellite soviétique en 1957, avec Spoutnik 1. Washington s’est senti vulnérable avec ce satellite — cet épisode est surnommé « moment Spoutnik » — pouvant survoler leur territoire, l’espionner et, peut-être, délivrer de l’armement, notamment nucléaire.
Que s’est-il passé ?
Les informations en circulation mettent en cause la Russie. Moscou est accusé d’avoir généré un nouveau champ de débris à très haute altitude, en procédant à un tir de missile contre un satellite. La France et les États-Unis, notamment, ont publiquement attribué à la Russie la responsabilité de ces évènements, en témoignent un tweet de l’État-major des armées et un communiqué du département d’État.
C’est un ancien satellite soviétique qui a été pris pour cible. Le tir organisé par la Russie est de type DA-ASAT (direct-ascent anti-satellite missile), c’est-à-dire que c’est un missile qui est parti depuis la Terre — les détails autour du tir restent flous : on ne sait pas si l’engin est parti depuis la terre ou la mer, depuis quelle plateforme ni son type. Ce pourrait être le système antibalistique russe A-235 Nudol, en développement.
L’ancien satellite soviétique pris pour cible est Tselina-D, aussi appelé Kosmos-1408. Cet engin servait autrefois à du renseignement électromagnétique. Il a été lancé en 1982 et sa durée de vie a été extrêmement brève — six mois. Le satellite était inerte depuis. Des détections récentes ont montré que là où se trouvait Kosmos-1408, il y a maintenant un champ de débris.
La destruction de Kosmos-1408 a généré un nuage de détritus en orbite qui s’est avéré menaçant pour la Station spatiale internationale et, en conséquence, pour l’équipage. Celui-ci a d’ailleurs dû se réfugier momentanément dans des capsules d’évacuation, au cas où. La menace est passée pour l’instant. Les débris se trouvent entre 440 et 520 km d’altitude, soit juste au-dessus de l’ISS qui évolue vers les 400 km.
Quels autres types d’attaques peuvent viser les satellites ?
Les satellites peuvent être détruits par des missiles tirés depuis le sol, mais ils pourraient aussi l’être si des armements similaires étaient déployés dans l’espace — on pourrait imaginer la présence de satellites armés, avec des missiles à bord, prêts à faire feu en cas de conflit. Mais il n’y a pas que la destruction physique qui peut être envisagée contre des satellites.
En fonction de la cible, d’autres techniques existent. On peut, par exemple, aveugler les capteurs d’un satellite spécialisé dans l’imagerie au moyen d’un laser. Les USA ont accusé la Chine en 2006 d’avoir braqué un tel faisceau contre l’un de leurs satellites. On peut aussi chercher à le pirater, en brouillant ses communications pour l’empêcher de relayer des informations.
Une autre éventualité, encore plus difficile, est le désorbitage forcé d’un satellite, pour le précipiter dans l’atmosphère afin qu’il se consume sans générer de débris. L’approche est toutefois coûteuse et complexe, car il faut préalablement déployer un engin adapté dans l’espace, le rapprocher de sa cible et se préparer éventuellement à le perdre lors de la chute vers la Terre.
Pourquoi ce tir de missile anti-satellite pose problème ?
L’incident avec l’ISS montre bien le problème que pose la destruction physique de satellites. Elle génère des débris qui menacent tout ce qui se trouve en orbite : les astronautes, la Station spatiale internationale, les satellites, les fusées, les capsules de ravitaillement, et ainsi de suite. Ces débris sont de tailles très diverses et filent à des vitesses folles : les collisions peuvent être dramatiques.
Hasard de l’actualité, ce qu’il s’est passé mi-novembre est le point de départ du film Gravity, d’Alfonso Cuarón. Dans ce long-métrage mettant en scène Sandra Bullock et George Clooney, on assiste à la destruction de l’ISS par les restes d’un tir de missile contre un satellite russe. Plus exactement, les débris du satellite ont détruit une navette américaine, générant ainsi encore plus de débris, jusqu’à atteindre l’ISS.
De nombreuses activités reposent désormais sur l’espace. Un encombrement trop important de l’orbite par des déchets représente donc une menace majeure. Il faut se souvenir que les prédictions météorologiques reposent sur des satellites. La géolocalisation aussi. Et on ne parle pas des télécommunications (accès à Internet, télévision, téléphonie), de l’astronomie, de l’observation de la Terre, et ainsi de suite.
La multiplication d’éclats incontrôlables en orbite pourrait, dans un scénario noir, finir par rendre l’orbite terrestre inexploitable pendant des années. En effet, à force de se percuter les uns les autres, les objets spatiaux génèrent de plus en plus de projectiles dans toutes les directions et sur plusieurs orbites, ce qui peut former un nuage de gravas autour de la Terre. C’est ce qu’on appelle le syndrome de Kessler.
Quels pays ont déjà effectué un tir de missile anti-satellite ?
La Russie n’est pas le seul pays à avoir procédé à ce genre de destruction. En 2019, l’Inde a rejoint le cercle très fermé des nations ayant démontré une telle capacité. Cette initiative avait été jugée catastrophique par la Nasa, pour les raisons évoquées ci-dessus (la Nasa n’a pas non plus mâché ses mots à l’égard du récent tir russe). Des débris sont restés en orbite pendant des années.
Outre la Russie et l’Inde, deux autres pays ont de telles capacités : les États-Unis, dès la fin des années 50, et la Chine, en 2007. Les tests les plus récents de ces deux pays remontent à 2008 pour les USA, au motif qu’un de leurs satellites espions était en perdition et qu’il contenait un produit très toxique, et 2007 pour la Chine, contre un satellite météo. D’autres tests ultérieurs existent, mais sans destruction de satellite.
D’autres pays ont la compétence technique pour développer ce type d’armement. C’est le cas des nations qui ont une expertise dans les missiles, mais aussi dans les fusées — ces deux domaines étant assez poreux. La France, le Royaume-Uni ou Israël ont le niveau pour y parvenir. À terme, des nations comme la Corée du Nord le pourraient aussi.
La Russie avait-elle le droit de procéder à un tel test ?
La question est complexe et a plusieurs décennies. Le traité de l’espace de 1967 ne s’intéresse qu’aux armes nucléaires et aux armes de destruction massive — il n’est pas évoqué le cas des armes conventionnelles, comme les missiles. Globalement, le traité mentionne l’exploration et de l’utilisation de l’espace à des fins pacifiques, mais cela ne rentre pas forcément en contradiction avec ce tir.
Comme le rapporte le magazine Air Force en octobre, des experts ont signé en septembre une lettre ouverte appelant à la conclusion d’un traité à portée limitée pour interdire les essais d’armes cinétiques antisatellites similaires aux essais effectués par les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde — signe qu’il n’existe aucun traité international actuellement en vigueur qui interdit ce genre de tir.
Autre subtilité à prendre en compte : le tir n’a pas eu lieu depuis l’espace, mais depuis la Terre. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une arsenalisation de la zone extra-atmosphérique (c’est-à-dire le placement d’une arme en orbite en attendant son actionnement), qui pourrait soulever des problématiques spécifiques, mais d’un tir standard, si ce n’est son altitude.
Interdire l’emploi d’armes cinétiques contre les satellites peut sembler justifié vu les problématiques, mais cela soulève aussi des dilemmes : faudrait-il par exemple se priver de la possibilité d’abattre un satellite ou même une station spatiale en perdition, s’il s’avère que sa trajectoire menace la population ? On pourrait inclure une exception à un traité, mais la brèche pourrait finir par servir à maquiller des tests.
Par ailleurs, l’existence d’un traité ne garantit en aucun cas qu’il sera respecté à la lettre — cela se saurait, sinon, dans l’histoire de la politique internationale. En cas de montée des tensions entre des nations ayant ce genre de capacité, il est par ailleurs peu probable que les pays se privent de la possibilité de détruire les satellites adverses, pour entraver l’efficacité ennemie sur le champ de bataille.
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