Depuis trois ans, quasiment jour pour jour, l’humanité possède un point de vue bien particulier sur Mars : celui d’InSight. Ni un satellite, ni un rover, l’atterrisseur plonge sous la surface pour étudier les ondes sismiques sur la planète rouge et en déduire ce qui se cache profondément dans le sol.
Une étude parue ce 23 novembre 2021 dans la revue Nature Communications offre ainsi une image assez détaillée des 200 premiers mètres de profondeur, sous le sol d’Elysium Planitia, la zone où s’est posé l’engin de la Nasa sur Mars. Cédric Schmelzbach, un des auteurs de l’étude, issu de l’ETH Zurich, détaille pour Numerama : « Nous avons utilisé une technique sismologique classique pour interpréter les vibrations, et pour déterminer pour la première fois le sous-sol proche de Mars. »
Obtenir de tels résultats était loin d’être acquis dès le départ, puisque lors de son arrivée, la Nasa a réalisé que la mission d’InSight allait être plus difficile que prévu : la faute à la faible intensité et à la rareté des séismes martiens. Le but d’InSight est « d’entendre » les ondes se propager sous la croûte. Non seulement elles rebondissent dès qu’il y a un changement d’interface (par exemple, si elles passent dans une zone plus ou moins dense), mais en plus elles changent de vitesse selon la pression et la température.
Avec ces indications, les chercheurs qui scrutent les données récoltées par InSight, et tout particulièrement son sismomètre SEIS construit par le Cnes en France, peuvent déterminer à quelle profondeur la planète change de nature, mais aussi en quoi consiste ce changement. Le comportement des ondes est un indicateur du type de milieu traversé.
Sans séisme, InSight est aveugle
Mais pour y parvenir, il faut des séismes qui sont malheureusement bien moins présents et moins forts que sur Terre. Malgré tout, l’engin a réussi à capter le comportement de quelques ondes sous la surface et à obtenir quelques précieuses informations. En juillet dernier, plusieurs études avaient ainsi conclu à la présence d’un noyau d’environ 1 800 kilomètres de rayon, ainsi que de plusieurs strates directement sous la sonde — révélant une planète Mars « chaude et gluante » à l’intérieur.
À l’époque, les chercheurs avaient déjà mis en avant certaines limites de leur méthode. Normalement, pour ce genre d’analyse basée sur les ondes sismiques, il faut plusieurs stations pour pouvoir retracer tout le parcours des ondes sous la terre, et ensuite en déduire quel type d’environnement elles traversent. Leur vitesse de propagation peut être modifiée par la présence d’eau ou de matériaux solides plus ou moins denses. Mais sur Mars, il n’y a qu’un seul témoin : InSight. Il a donc fallu se reposer sur les modèles en place qui établissaient un portrait grossier de la structure interne de la planète.
Cette fois-ci, les auteurs ont essayé de savoir plus précisément de quoi étaient constituées ces strates proches. « Les premières études donnaient une image globale de la planète, précise Cédric Schmelzbach. Ici, le but était d’avoir quelque chose de plus détaillé à une plus petite échelle. »
Un « sandwich de lave »
Alors, à quoi ressemble ce sous-sol ? Pour commencer, le régolithe présent à la surface, c’est-à-dire les petits bouts de roches semblables à du sable, s’étend jusqu’à 3 mètres de profondeur. Juste en dessous, se trouve une nouvelle couche d’environ 15 mètres d’épaisseur, avec des blocs de roches plus gros éjectés après un impact de météorite.
En descendant encore sous cette première couche superficielle, InSight a pu certifier la présence de lave, sur environ 150 mètres, ce qui correspond en grande partie aux prévisions basées sur les observations orbitales et les différentes analyses au sol. La lave s’étend encore bien plus profondément, mais elle est comme coupée en deux par une couche de sédiments de quelques dizaines de mètres de profondeur, prise en sandwich de part et d’autre par de la lave.
«Nous ne nous attendions pas à trouver cette couche sédimentaire, précise Cédric Schmelzbach. Elle nous raconte une histoire : il y a eu une période durant laquelle des rivières passaient sur le site d’atterrissage.» Comme sur Terre, plus on descend profond dans les entrailles de la planète, plus on remonte le temps. Et comme les grands âges de Mars sont à peu près connus grâce aux cratères, une chronologie commence à se dessiner.
Les auteurs ont ainsi pu déduire que les flots de lave plus profonds datent de l’Hespérien, et ont donc environ 3,6 milliards d’années. Ensuite, cette lave a été recouverte par la fameuse couche de sédiments, avant de voir une nouvelle lave plus jeune datant cette fois de l’Amazonien, soit environ 1,7 milliard d’années.
Ces découvertes ne révolutionnent pas nos connaissances sur Mars. Des simulations, issues de plusieurs décennies de données collectées, donnaient déjà un tableau, semble-t-il, assez fidèle, de ce qui se cache sous la surface de notre voisine. Mais leur intérêt est ailleurs : elles permettent justement de réduire l’incertitude et d’affiner les modèles en place grâce à des données directes beaucoup plus sûres. « Nous allons chercher à trouver d’autres preuves de ce qu’il y a sous la surface, assure Cédric Schmelzbach. Ces données serviront aussi à planifier les futures missions. »
Connaître la structure interne de Mars donne des informations sur son histoire, mais aussi sur les sources de chaleur qui l’animent, ainsi que sur la présence ou non d’eau. D’autant plus que la mission d’InSight n’est pas encore terminée : l’atterrisseur a eu ses panneaux solaires nettoyés et compte bien poursuivre sa surveillance des ondes sismiques. En espérant un séisme un peu plus fort que les autres pour avoir une image encore plus nette que ce qui se trame en dessous.
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