Voici ce que dit la décision de la chambre disciplinaire sur les propos et pratiques de Didier Raoult concernant l’hydroxychloroquine.

« Compte tenu de la gravité des violations des règles déontologiques commises par le Pr Raoult, il sera fait une juste appréciation en lui infligeant comme sanction, un blâme. » C’est ainsi que se termine la décision rendue fin 2021 par la Chambre disciplinaire de 1ère instance de Nouvelle-Aquitaine de l’ordre des médecins.

Cette instance a infligé un blâme à Didier Raoult pour son comportement et sa méthode dans la promotion de l’hydroxychloroquine, vantant les mérites de ce traitement contre le covid alors que celui-ci n’a jamais fait ses preuves. Que dit exactement la décision ? Nous avons pu la consulter, voici ce qu’il faut en retenir.

La décision // Source : Chambre disciplinaire de 1ère instance  de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des médecins

La décision

Source : Chambre disciplinaire de 1ère instance de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des médecins

Il faut noter au préalable qu’il s’agit d’une chambre de première instance : la décision est encore susceptible d’être contestée en appel et pourrait donc évoluer.

Les 4 articles du code de déontologie méconnus par Didier Raoult

La chambre disciplinaire de première instance justifie sa décision par la méconnaissance, de la part de Didier Raoult, de quatre articles du Code de la santé publique (dans la section « code de déontologie »).

L’article R. 4127-13

Cet article indique que « lorsque le médecin participe à une action d’information du public à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il ne fait état que de données confirmées, fait preuve de prudence et a le souci des répercussions de ses propos auprès du public ».

Selon la chambre disciplinaire, cet article n’a pas été respecté par Didier Raoult, car celui-ci à, via divers médias dont sa chaîne YouTube, « donné des informations qui ne s’appuyaient sur aucune donnée confirmée, sans faire preuve de la prudence nécessaire, alors qu’ont existé très rapidement de profondes incertitudes sur les traitements appropriés au Covid-19 ».

La chambre lui reproche aussi de ne pas avoir eu « le souci des répercussions de ses propos et de ses prises de positions tranchées auprès du public touché par les médias alors qu’il savait le crédit qu’une frange de la population lui accordait, notamment, à cause de sa notoriété grandissante ».

L’article R. 4127-14

Dans une optique un peu similaire au précédent, cet article dispose que « les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical ».

La décision indique que Didier Raoult n’a pas respecté cet article « en divulguant dans les milieux médicaux un procédé nouveau de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner sa communication des réserves qui s’imposaient d’autant plus que l’apparition de ce nouveau virus a laissé la communauté médicale sans réponse certaine et que de nombreuses controverses connues sont rapidement nées ».

La chambre ajoute que Didier Raoult a participé à la diffusion auprès du grand public de l’information sur ce traitement en affirmant sa validité, alors que cette validité « ne pouvait pas seulement reposer sur une étude observationnelle personnelle et sur quelques études étrangères, alors que la communauté scientifique internationale s’interrogeait sur la pertinence des conclusions, rarement définitives, des abondants travaux de recherche effectués ou en cours ».

Les articles R. 4127-31 et R. 4127-56

La décision de la chambre disciplinaire rassemble les manquements aux articles R. 4127-31 et R. 4127-56 du code de santé publique :

  • R. 4127-31 dispose que « tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ».
  • R. 4127-56 dispose que « les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité. Un médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l’intermédiaire du conseil départemental de l’ordre. Les médecins se doivent assistance dans l’adversité ».

La chambre constate un manquement à ces deux articles : « (…) les propos du Pr Raoult qui s’est s’exprimé à plusieurs reprises dans plusieurs médias de manière peu correcte, discourtoise, voire agressive, à l’encontre de médecins et d’autres personnes n’ayant pas cette qualité, sont de nature à déconsidérer la profession de médecin ». La chambre rappelle que « ni sa qualité de professeur des universités ni celle de chercheur » ne lui permettent de s’affranchir « de ces dispositions qui concernent tous les médecins ».

Concernant l’article R. 4127-56 plus spécifiquement, la chambre estime que les propos de Didier Raoult ont créé des différends entre médecins « ou ont contribué à leur aggravation ». La chambre constate aussi que Didier Raoult, pour cette audience, « n’a pas recherché une conciliation, ne serait-ce par l’intermédiaire de l’ordre comme il a été invité à le faire ». Donc c’est aussi « en s’abstenant d’une telle recherche et même en l’écartant expressément » qu’il a méconnu cet article.

Copie d'écran de la dernière page. // Source : Chambre disciplinaire de 1ère instance  de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des médecins

Copie d'écran de la dernière page.

Source : Chambre disciplinaire de 1ère instance de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des médecins

Les motifs exclus par la chambre

La chambre disciplinaire a par ailleurs rejeté certains motifs de la plainte, estimant que Didier Raoult n’a pas manqué aux articles R.4127- 8 (liberté de prescription et ses limites), article R.4127-12 (concours apporté à la protection de la santé), R.4127-32 (qualité de soin), R. 4127-35 (information du patient), R. 4127-35 (interdiction du charlatanisme), R. 4127-40 (risque injustifié).

Certains de ces rejets peuvent paraître étonnants. Le rejet d’un manquement de l’article R. 4127-35, par exemple, est expliqué ainsi : « Il ne ressort pas davantage des éléments produits que celui-ci n’aurait pas donné une information loyale, claire et appropriée au patient tant sur son état que sur les investigations et soins proposés. » Qui plus est, l’instance estime qu’« il n’a fait courir à ses patients aucun risque injustifié en prescrivant l’hydroxychloroquine aux doses habituellement préconisées pour les traitements pour lesquels elle est régulièrement utilisée depuis plusieurs années pour traiter d’autres pathologies ».

Les manquements retenus — aux articles R. 4127-13 & 14 — attestent pourtant bel et bien de la diffusion par Didier Raoult d’une information auprès du grand public d’un traitement non prouvé, relevant d’un grave manque de prudence. L’information ne semble donc pas « appropriée ». Les réserves qui s’imposent, comme demandé dans le code de déontologie, sont aussi là pour éviter les risques. Il est aussi apparu dans certains rapports qu’un usage hors contexte habituel de l’hydroxychloroquine, c’est-à-dire hors des cas classiquement traités avec ce médicament depuis des années, pouvait comporter certains risques.

Quoi qu’il en soit, un appel est encore possible — mais pas du côté de Didier Raoult qui se satisfait de cette décision. Quant à la force de la décision, celle-ci est intermédiaire. Elle est inscrite au dossier du médecin, mais ne l’empêche pas d’exercer.

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