Dans un mailing envoyé le 31 décembre 2021 au personnel soignant de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris), la direction invite les personnes positives au covid, mais asymptomatiques, à venir travailler si nécessaire. « Vous êtes positif au Covid-19 et asymptomatique et vous vous sentez capable de travailler. En raison de la situation épidémique particulièrement grave et de la difficulté de nos équipes à faire face, il est possible de tenir votre poste à la demande de votre cadre de santé ou de votre chef de service », indique le mail que nous avons consulté.
Certaines règles strictes sont imposées : port d’un masque et respect des mesures barrières en permanence ; éviter les moments sans masque « en présence d’autres collègues (pause-café et repas) » ; garder une distance avec les collègues « si vous ne pouvez éviter ces moments » ; ouvrir les fenêtres « dans la mesure du possible ».
L’AP-HP applique une consigne nationale de la Direction générale de la Santé. Dans un DGS-urgent (document envoyé aux professionnels), du 2 janvier 2022, on peut lire qu’il s’agit là d’une « dérogation exceptionnelle à l’isolement pour les activités essentielles dans le secteur sanitaire et médico-social ». Cela se limite aux cas asymptomatiques, ou paucisymptomatiques (symptômes très faibles), avec schéma vaccinal complet.
Cette décision peut surprendre, car il s’agit d’un type de mesure qui ne semble s’appliquer qu’en cas de tension exceptionnelle. C’est là que doit intervenir la prise de conscience. Car, justement, cette consigne est à l’image de ce qu’il se passe dans les hôpitaux.
Une tension « incroyable » dans les hôpitaux
« Cela illustre complètement la tension incroyable dans des hôpitaux actuellement », nous décrit l’infectiologue Nathan Peiffer-Smadja, chef de clinique à l’hôpital Bichat. Pour lui, il s’agit d’une mesure « nécessaire » afin d’« éviter plus de dégâts chez les patients », ajoutant qu’« il faut tenir l’hôpital pour les patients, coûte que coûte ».
Le discours du moment, consistant à évoquer une vague d’infections, mais modérée dans les hospitalisations, ne reflète pas très bien le terrain. Le variant Omicron est certes moins virulent, mais plus contagieux, ce qui le rend statistiquement dangereux dans les risques d’états critiques.
Résultat, à ce jour, des déprogrammations de soins et de chirurgies ont bien lieu, et elles augmentent. « Il ne faut pas se leurrer : on reporte déjà énormément, y compris des choses qui ne peuvent pas être reportées. Donc si on reportait encore davantage, il y aurait plus de morts. »
Alors, oui, dans les hôpitaux, la décision de mobiliser du personnel positif (ou de réquisitionner celui d’autres services où ont lieu les déprogrammations) n’est pas rejetée par le personnel, loin de là. « Le fait qu’on baisse progressivement les consignes d’isolement est en train de créer un bordel pas possible. Mais, en même temps, je ne vois pas comment on pourrait y arriver autrement », confie une infirmière, auprès de Numerama, dans un CHU de grande ville, qui n’a pas encore fait appel aux soignants asymptomatiques, mais qui l’envisage.
Nathan Peiffer-Smadja, de son côté, appuie aussi sur cette nécessité, mais regrette une énième mesure se faisant « aux dépens des soignants, comme d’habitude ». D’autant plus que cela accroît les risques sur le terrain : avec certains soignants positifs au covid, le respect des mesures doit être absolument parfait, ne doit pas souffrir de la moindre erreur.
Il ne faut ni infecter des collègues, ni des patients, ce qui pourrait aggraver la situation. Avec une telle consigne — « on le fait, mais c’est grave de le faire » précise l’infectiologue — les soignants marchent sur des œufs, ce qui ne fait qu’accroître leur charge.
Sous-effectif, moral à plat : une « hémorragie du personnel »
Mais comment en arrive-t-on donc là, adoptant une mesure risquée, mais nécessaire ? Nathan Peiffer-Smadja alerte sur une « hémorragie de personnel ». La fermeture des lits n’est que l’arbre qui cache la forêt : le problème est qu’il n’y a plus assez de personnel. Les effectifs se réduisent, et recruter est de plus en plus difficile, ceci lors d’un vague épidémique historiquement au plus haut des contaminations.
L’inquiétude monte dans le personnel soignant, nous relate Nathan Peiffer-Smadja, car tous et toutes ont ce questionnement : en l’absence de soignants, les lits fermés pourront-ils rouvrir, et quand ?
Être en sous-effectif, dans un contexte où la situation tendue des hôpitaux n’est pas suffisamment prise en compte par le gouvernement ni assez expliquée au public, mine le moral du personnel soignant. Ne plus pouvoir prendre en charge des patients représente « le premier pourvoyeur de burnout », nous explique Nathan Peiffer-Smadja, qui dépeint une situation « horrible ».
« Tous les soignants vous diront que c’est ce qui casse le mental des équipes. Parce que les soignants sont en première ligne. C’est nous qui disons aux patients ‘on ne peut pas vous prendre’, c’est nous qui prenons la colère, la tristesse. »
C’est là un aspect de la pandémie, et de cette 5e vague, qu’il conviendrait de rappeler bien plus couramment. Les mesures de freinage sont là en réponse à ces risques de tension qui, aujourd’hui, ne sont plus des risques, mais un état de fait. Les objectifs publics et les comportements collectifs doivent être orientés autour des hôpitaux — car c’est là que les vies sont sauvées.
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