Pendant cette crise du coronavirus, la tendance est à la circulation d’informations dont les données ne sont pas encore consolidées. Loin de contribuer à plus de clarté, cette tendance vient surtout créer des situations anxiogènes qui ne reposent pas sur grand-chose. Sans compter que cela biaise le tableau réel de la situation. Le 8 janvier 2022, un nouvel exemple de ce type a émergé : il y aurait, en ce début d’année, un nouveau variant appelé Deltacron.
Ce variant serait le résultat d’une fusion entre le variant Delta et le variant Omicron. C’est un laboratoire de Chypre qui a alerté sur ce qui serait la découverte d’une telle mutation. Interviewé par le magazine Bloomberg, le professeur Leondios Kostrikis affirme qu’il « existe actuellement des co-infections omicron et delta et nous avons trouvé cette souche qui est une combinaison des deux ». Il s’agit d’un phénomène appelé recombinaison, et qui existe bel et bien en soi.
Mais cette découverte est-elle vraiment une ? À ce stade des connaissances, les preuves ne sont pas là : en ce début 2022, non, il n’y a pas de nouveau variant relevant d’une fusion entre Delta et Omicron. Attention à ce type d’informations qui, en réalité, n’en sont pas vraiment puisqu’elles sont étayées par rien ou si peu. Voici ce qu’on sait vraiment de ces séquences génétiques.
Le manque de preuves fait consensus : « Delmicron » n’est qu’une contamination en laboratoire
En toute probabilité, le résultat obtenu par le laboratoire basé à Chypre n’est pas une combinaison réelle d’Omicron et de Delta, mais tout bonnement une contamination en laboratoire. Les deux variants font l’objet d’une propagation intense, en ce moment, ce qui signifie que les deux souches peuvent être fortement présentes dans les échantillons testés. Une « contamination » signifie, dans ce contexte, que les éléments génétiques de deux souches se sont retrouvés dans un même test de criblage, faussant le résultat en laissant croire à un variant complet.
Comme l’illustre sur Twitter la biologiste Florence Débarre, spécialiste du coronavirus, le séquençage du virus est assez proche d’un puzzle. « On ‘lit les lettres’ de pleins de fragments du génome qui sont ensuite assemblés par ordinateur », explique-t-elle. Une contamination vient de la combinaison, par erreur, des séquences de deux souches différentes — un mélange de lettres qui n’avait pas lieu d’être. Cette théorie d’une contamination hasardeuse semble se confirmer par l’analyse des séquences génomiques, que le laboratoire a posté sur la base de donnée GISAID.
Tom Peacock, virologue à l’Imperial College London, estime effectivement sur Twitter que les séquences Deltacron sont « assez clairement une contamination » car « elles ne se regroupent pas sur un arbre phylogénétique ». En cas de recombinaison, la séquence apparaitrait dans la continuité de l’arbre phylogénétique. Par ailleurs, les séquences possèdent un amplicon complet (fragment d’ADN amplifié par PCR) provenant d’Omicron, dans un squelette Delta distinct. Pour le dire clairement, cela ne ressemble pas à une recombinaison, car cela ne forme pas une souche à proprement parler mais un mélange incohérent.
C’est Alexis Verger, biologiste moléculaire français, qui donne l’illustration la plus parlante sur le sujet, compréhensible en un simple coup d’œil. Ci-dessous, dans son tweet, vous observez à gauche un variant recombiné : tout est de la même couleur, les séquences sont rassemblées un cluster cohérent. À droite, il s’agit d’une « contamination » en laboratoire : les séquences ne se regroupent pas — et c’est justement ce qu’on observe pour le prétendu Delmicron.
Krutika Kuppalli, médecin dans l’équipe technique de surveillance du covid à l’Organisation mondiale de la Santé, résume en indiquant qu’« il n’existe pas de Deltacron ». Pour elle, il est clair et net qu’« Omicron et Delta n’ont PAS formé un super variant. Il s’agit probablement d’un artefact de séquençage (contamination en laboratoire de fragments Omicron dans un spécimen Delta) ».
Dans un trait d’humour sur le sujet, le professeur Eric Topol définit Deltacron comme un « scariant » (contraction de scary/peur et de variant), car ce n’est « même pas un véritable variant, mais il fait peur à beaucoup de monde sans que ce soit nécessaire ». Il dénonce, par ce message, la diffusion un peu trop rapide d’une information qui n’est pas vérifiée scientifiquement. Avant d’annoncer un nouveau variant, il faut que le résultat soit confirmé, et ce dans plusieurs laboratoires, et que les données apparaissent consolidées.
Or, de toutes ces analyses indépendantes produites par différents scientifiques, un consensus assez net apparaît : le variant Deltacron n’existe pas à l’heure actuelle.
En revanche, les co-infections existent, bien qu’elles soient rares. Cela signifie qu’un patient peut être à la fois infecté par Omicron et par Delta (tout comme il est possible d’être infecté par la grippe et par le covid, à nouveau lors de cas rares, sans que ce soit un variant : « flurona » n’est pas un variant). C’est probablement dans une telle situation que le contamination a eu lieu dans ce laboratoire.
Le risque de recombinaison
Le virologue Tom Peacock relève que les recombinaisons entre deux souches n’apparaissent pas « avant des semaines/mois de co-circulation substancielle — cela ne fait que quelques semaines qu’il y a Omicron — donc je doute qu’il puisse y avoir des recombinaisons à ce stade », écrit-il.
Dans ce message, il ajoute un énième élément — temporel en l’occurrence — venant étayer le consensus qu’un variant Deltacron n’existe pas à l’heure actuelle. Mais il n’exclut pas son apparition potentielle. La forte circulation concomitante de deux variants peut être à l’origine de mutations. Si une même personne est contaminée par deux souches, il est possible que le programme génétique se mélange, au sein d’une cellule, ce qui peut générer un variant ayant donc muté.
De manière plus générale, le risque de nouveau variant existe en raison de la forte circulation du virus. C’est une situation qui doit être anticipée, et qui empêche d’affirmer qu’Omicron est le dernier variant problématique — il s’avère simplement qu’on ne sait pas ce qu’il en sera. Quoi qu’il en soit, si l’on reste dans le présent de ce début 2022, il n’y a pas de super-variant Delmicron.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.