Il y a deux ans, presque jour pour jour, le 10 janvier 2020, nous publiions dans Numerama notre premier article dédié au covid : « Un nouveau virus déclenche une épidémie en Chine : que sait-on de cette maladie ? » C’était alors l’époque où l’expression « coronavirus chinois » était utilisée, camouflant l’ampleur mondiale de ce qui se préparait.
Deux années se sont écoulées, plus de 5 millions de personnes sont mortes du covid, des centaines d’autres subissent encore les séquelles d’un covid long. La société dans son ensemble a accumulé une lourde fatigue morale envers une crise sanitaire inscrite dans le quotidien. L’hôpital est en burnout généralisé. Malgré tout, il nous faut garder un regard d’espoir sur l’avenir — un espoir prudent, cette crise nous ayant appris que le pessimisme nihiliste et l’optimisme angélique n’ont pas la juste mesure nécessaire à une pandémie.
Pour entrer dans cette troisième année pandémique, regardons en arrière sur les défis qui définis la crise du coronavirus en 2020 et 2021. Des défis journalistiques, médicaux et humains.
L’information scientifique mise au défi par le processus médiatique
L’information scientifique, tant délaissée dans le rubricage traditionnel, est devenue le pilier de cette crise inédite. L’arrivée d’une pandémie a révélé combien le monde médiatique manquait, et manque encore, de journalistes scientifiques. Plus largement, c’est l’interface entre la science et la société qui a été mise à l’épreuve, révélant ses failles.
Au cœur de celles-ci, la difficulté à créer un lien de confiance, comme résultat d’une pédagogie scientifique qui fut délaissée pendant des années. Car au-delà de connaissances brutes, la science vient avec une méthode, un esprit critique et des codes qui sont insuffisamment connus, trop peu expliqués. Le coronavirus a cela en commun avec la crise climatique.
Mais le monde médiatique est également peu adapté à une circulation pondérée de l’information, ce qui est pourtant une nécessité pendant cette pandémie. Toutes les informations ne se valent pas. Au même titre, toutes les sources ne se valent pas. C’est ainsi que nous avons voulu, très tôt, dans les colonnes de Numerama, amplifier nos bonnes pratiques, voire en créer de nouvelles au quotidien, pour développer une ligne éditoriale calme et rigoureuse sur le covid :
- Un objectif de parcimonie, afin de ne pas noyer notre lectorat sous des quantités d’articles. Il s’agit d’identifier les informations qui comptent, ou de proposer des synthèses, des guides pratiques. En somme, chaque article publié doit avoir sa propre utilité et apporter une information consolidée : c’est un obstacle naturel à toute précipitation ;
- Vérifier la qualité des sources et les citer systématiquement dans un lien hypertexte cliquable ;
- Limiter dans leur majorité les « preprints », ces études qui sont diffusées sans être publiées dans des revues et relues par des comités indépendants ;
- Des titres qui n’induisent pas en erreur ;
- Une rigueur pédagogique dans la présentation de l’information scientifique : cela sous-entend de rester fidèle à la science, tout en la rendant accessible. Pour y parvenir, cela implique de ne pas seulement transmettre des informations brutes sur des avancées ou découvertes, mais d’expliquer les termes, les méthodes, le fonctionnement même de la science.
Ces bonnes pratiques n’exemptent pas de faire des erreurs — les journalistes scientifiques restant humains — mais elles les limitent suffisamment. Elles doivent être un socle inébranlable.
De quelles « voix » se faire l’écho ?
Enfin, se pose la question des « voix » qui sont diffusées. Dans un édito, en octobre 2020, nous avions appelé le monde médiatique à cesser les invitations irresponsables, en particulier les prétendus « experts » dont les propos ne reposent sur aucune réalité scientifique — en clair, les désinformateurs et diseurs de bonne aventure.
De notre côté, nous avons un réseau de scientifiques que nous consultons régulièrement, mais nous faisons le choix de diffuser assez peu d’interviews sous forme de « grand entretien », afin d’éviter une cacophonie de voix discordantes, préférant une approche synthétique. La seule chose qui doit compter : que l’information retenue par le lectorat lui soit véritablement utile pour y voir clair, pour se protéger et protéger les autres.
Une pandémie de cette ampleur change aussi, évidemment, notre façon de concevoir notre métier. Chaque article publié au sujet du covid rencontre une audience potentielle très large, mais aussi à l’impact déterminant à son échelle : on ne peut se détacher de l’idée que faire une erreur dans un article dédié au covid est grave. Cela bouleverse tout à la fois la méthode de recherche, l’écriture, la relecture et le partage sur les réseaux sociaux.
La désinformation tue
Un triste constat que l’on peut faire, après deux ans de pandémie, est cette habituation à la notion de « complotisme ». Elle s’est construite idéologiquement au fil de la crise sanitaire. Et surtout, derrière ce mot, se cachent bien des inquiétudes, sur lesquelles des personnalités ont joué pour fédérer autour de leur idéologie ou de leur business.
La désinformation est alors devenue une épidémie au sein de l’épidémie. Deux phénomènes se conjuguent. D’abord, des personnalités influentes sur les réseaux sociaux, du monde politique ou « médical » (il nous faut les guillemets ici), véhiculant des idées reçues sans fondement, des chiffres ou graphiques biaisés ou tout bonnement des informations mensongères.
Ensuite, une désinformation de terrain perpétrée par des praticiens — ou plutôt des charlatans. Par exemple, dans un récent reportage de France 2, un homme hospitalisé en état grave raconte que c’est son naturopathe qui lui a recommandé de ne pas se faire vacciner car il était plutôt jeune et en bonne santé. Une recommandation fallacieuse, aux conséquences graves.
Cette double désinformation — qui véhicule des idées anti-vaccins, anti-masques, parfois la négation de la gravité ou de l’existence du covid — participe au climat anxiogène de la pandémie. Il brise aussi des familles, comme nous le relations dans un reportage dédié aux relations mises à l’épreuve par le vaccin. Mais surtout, dans le contexte d’une crise sanitaire où la santé est en jeu, les théories du complot et autres fake news peuvent tuer.
Là où l’exécutif entend « emmerder » les personnes non-vaccinées, le monde scientifique et médical en appelle plutôt, depuis des mois, à agir contre les personnalités influentes de la désinformation.
En tout cas, à l’heure actuelle, notre seul et meilleur outil reste la transmission d’une information claire, rigoureuse, pédagogique qui ne faillit pas et qui ne ploie pas face aux discours mensongers.
Les soignants sont les oubliés de la crise
Tandis que les débats étaient parfois volés par le sujet du complotisme, monopolisés par les discours anti-vaccins et anti-scientifiques, le combat continuait en première ligne. Les soignants, dans les hôpitaux et dans les autres structures, se mobilisent depuis maintenant deux ans, au quotidien, pour sauver la vie de celles et ceux qui, contractant une forme grave de la maladie, arrivent en soins critiques.
Après deux ans en première ligne, et alors que la 5e vague se traduit par une forte tension hospitalière, le personnel soignant est aujourd’hui à bout de souffle. En cause, des mesures qui ne font qu’accroître leur charge, et des équipes en sous-effectif — une situation qui s’amplifie. Des lits de réanimation deviennent inutilisables, des soins doivent être déprogrammés. Ne plus pouvoir prendre en charge des patients représente « le premier pourvoyeur de burnout » pour les soignants, nous expliquait l’infectiologue Nathan Peiffer-Smadja, qui dépeint une situation « horrible » dans les hôpitaux.
À ce stade de la crise, rien n’a changé pour le personnel soignant, voire la situation s’aggrave : l’hôpital est en état général de burnout. Et cet aspect-là de la crise demeure bien trop faiblement évoqué, alors que tout avait commencé, lors du premier confinement, par des applaudissements systématiques à 20h.
Comme l’avions relaté dans un reportage, le personnel scientifique des laboratoires de dépistage se trouve, lui aussi, dans une situation de flux tendu qui est humainement difficile.
Deux ans, des connaissances et des outils
Nous n’allons pas nous lancer dans la tâche titanesque de résumer ici, en un ou deux paragraphes, tout ce que nous avons appris sur le covid en deux ans. Il faut cependant se rappeler d’où l’on partait : même si la famille coronavirus était déjà connue, le coronavirus SARS-CoV-2 était entièrement nouveau. Les premières semaines, même les symptômes n’étaient pas entièrement caractérisés.
Aujourd’hui, nous disposons à la fois de connaissances et d’outils. La recherche scientifique sur la transmission du coronavirus, par exemple, a permis de comprendre qu’elle est essentiellement aérosol : l’aération et les masques sont, de fait, les gestes barrières les plus déterminants. Dans les outils, on trouve des vaccins sûrs et efficaces que l’on n’espérait pas, au début, avoir si tôt, et que l’on doit à une forte mobilisation de la recherche. Même si leur efficacité est atteinte par le variant Omicron, ils empêchent de contracter les formes les plus graves de la maladie Covid-19 (et les laboratoires travaillent sur des formules adaptées à ce variant).
Il demeure des points aveugles. Parmi eux, la compréhension sur le long terme du covid long, la durée exacte de l’immunité, les risques d’apparition de variants. Dans beaucoup de domaines, cette pandémie aura demandé et demandera encore la capacité à dire « sur ce point-là, on ne sait pas encore ». Informer sur ces incertitudes, pour ne pas créer un marasme chaotique de changements permanents dans le tableau du réel, fait partie intégrante du socle informatif pendant cette crise sanitaire.
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