Curiosity a encore trouvé des traces de carbone sur Mars, ce qui serait un indice d’anciennes traces de vie. Mais avant d’en arriver là, les chercheurs passent au crible toutes les autres explications possibles.

La Nasa l’annonce fièrement dans un communiqué publié le 17 janvier 2022 : Curiosity a mesuré d’intrigantes signatures de carbone sur Mars. L’annonce fait suite à la publication d’une étude dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. L’agence spatiale américaine salue la découverte et parle d’indices tendant à renforcer l’hypothèse selon laquelle il y a eu une vie passée sur Mars.

Pourtant, il suffit de remonter un peu dans les archives pour se rendre compte que ce même rover avait déjà identifié du carbone en 2012, quelques mois à peine après son arrivée sur la surface de la planète rouge ! Alors, en quoi cette dernière étude est-elle différente, et pourquoi attire-t-elle autant d’attention ?

« En 2012, la situation était très différente, justifie à Numerama William Rapin, chercheur CNRS à l’Institut de Recherche en astrophysique et Planétologie (IRAP). Nous venions juste d’atterrir et nous avions encore des doutes sur ce que nous voyions. Maintenant, nous sommes plus sûrs de nous. »

Ce spécialiste de l’évolution de l’eau sur Mars n’a pas participé à l’étude, mais a suivi de près les différentes trouvailles faites depuis près d’une dizaine d’années par Curiosity. Il a d’ailleurs participé à l’instrument ChemCam, puis au SuperCam placé sur l’autre rover martien, Perseverance.

Carbone 12 ou 13, un neutron qui change tout

William Rapin raconte : « Curiosity a foré sur de nombreux sédiments, à différents endroits, et a pu trouver à plusieurs reprises des traces de carbone. Entretemps, ce que nous avons pu affiner, c’est la composition isotopique de ce carbone, et ça change tout ! »

Trou fait par Curiosity pendant sa collecte d'échantillons dans le cratère de Gale. // Source : Credits: NASA/Caltech-JPL/MSSS.
Trou fait par Curiosity pendant sa collecte d’échantillons dans le cratère de Gale. // Source : Credits: NASA/Caltech-JPL/MSSS.

Pour faire simple, deux types de carbone ont été découverts sur Mars : le carbone 12, et le carbone 13. Leur différence ? Ils ont chacun 6 protons, mais le 12 n’a que 6 neutrons, et le 13 en a 7. A priori, rien de bien excitant, mais il faut savoir que lorsque des êtres vivants meurent, ils ont tendance à laisser derrière eux des dépôts avec davantage de carbone 12 que de carbone 13.

Au moment de faire une analyse isotopique, le but est donc de dire lequel de ces deux carbones est présent en plus grande quantité. Or, les dernières analyses ont montré une forte surreprésentation de carbone 12. « Dans ces conditions, assure William Rapin, l’hypothèse la plus simple selon nos connaissances, c’est de dire que ce carbone a été laissé ici par des êtres vivants. »

Dans l’étude, c’est d’ailleurs ce que font les auteurs. Pour expliquer la présence de ce type de carbone en particulier, ils s’inspirent de ce qui s’est passé sur Terre. Des bactéries auraient produit ces signatures uniques qui ont été préservées dans la roche sédimentaire pendant plus de trois milliards d’années. Ces roches étaient auparavant lacustres, et auraient été « contaminées » par des êtres vivants à peu près à la même époque où la vie apparaissait sur la Terre.

Nous connaissons très mal Mars

Cela dit, il est encore un peu tôt pour crier victoire. Tout ce qu’a trouvé Curiosity, ce sont des molécules de carbone. Du carbone plutôt lié au vivant sur Terre, certes, mais juste du carbone, rien de plus. « C’est impossible pour l’instant de trouver la trace de molécules plus complexes, déplore William Rapin. Il nous faudrait du matériel lourd, impossible à transporter sur Mars. En clair, il nous faut les retours d’échantillons de Perseverance. »

En effet, la méthode de Curiosity (et de Perseverance) pour dénicher le carbone est assez simple à résumer : il suffit de récupérer des roches, de les réduire à l’état de poudre, puis de les faire chauffer jusqu’à que le carbone soit extrait. Un système efficace, mais qui présente l’inconvénient de détruire les molécules plus complexes qui auraient pu exister. Autrement dit, les chercheurs ne voient alors que le résultat décomposé, mais ne peuvent qu’imaginer ce qui était là avant qu’ils ne le fassent cuire. Pour avoir la certitude qu’une forme de vie a existé sur Mars, il faudrait trouver ces molécules complexes, ce qui est impossible uniquement avec les rovers.

Perseverance sur Mars. // Source : NASA/JPL-Caltech/MSSS (image recadrée)
Perseverance sur Mars. // Source : NASA/JPL-Caltech/MSSS (image recadrée)

En plus, il y a une autre limite : nous connaissons très mal Mars. Même les auteurs de l’étude insistent sur ce point : « Il faut penser autrement, assurent-ils dans le communiqué de la NASA. Nous devons garder l’esprit ouvert et ne pas réfléchir comme si nous étions sur Terre. »

« Sur Terre, ajoute Wiliam Rapin, si nous trouvions ce type de résultat isotopique dans un contexte mieux maîtrisé, nous irions dire sans l’ombre d’un doute qu’il est le produit d’un être vivant. Mais il y a trop d’incertitudes sur ce qui se passe sur Mars. »

Si le cycle du carbone sur Terre et la composition de l’atmosphère sont des données très bien connues, ce n’est pas du tout le cas sur Mars. Il est donc très possible que d’autres phénomènes n’impliquant pas la vie expliquent la présence de ce type de carbone. Parmi les hypothèses envisagées : l’arrivée d’une poussière cosmique riche en carbone 12 qui aurait « pollué » le sol martien figé.

Ou une autre explication : la photodissociation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, qui produit du carbone 12 en grande quantité. Ceci est impossible sur Terre, mais avec une atmosphère différente, pourquoi pas. Nous savons que l’atmosphère de Mars est riche en dioxyde de carbone aujourd’hui, mais il faudrait savoir si c’était aussi le cas il y a 3 milliards d’années. Connaître sa pression à cette époque serait également un plus.

« Sans ces informations, nous ne pouvons pas exclure ces possibilités, résume William Rapin. Il faudra, là aussi attendre les retours d’échantillons sur Terre pour apporter une réponse définitive. »

Avec des morceaux de roches martiennes en laboratoire sur Terre, même s’il n’y a pas de molécules complexes, nous pourrions connaître le profil de l’atmosphère de l’époque et éliminer des pistes qui n’impliquent pas la vie. En attendant, les forages de Curiosity et de Perseverance sont les plus à même de nous apporter des indices, mais ils n’auront pas, à eux seuls, la réponse.

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