« Ce n’est que le début de l’histoire », prévient Yen-Jie Lee sur le site du MIT. Il fait partie d’une équipe de physiciens à l’origine d’une étude parue le 19 janvier 2022 dans les Physical Review Letters. Et l’histoire qui commence dans ce papier de recherche n’est pas des moindres : la première détection de la particule X dans l’équivalent de la soupe primordiale de l’Univers.
Pour comprendre de quelle particule il s’agit, il nous faut remonter loin. Jusqu’au début de tout ce qui existe. Ou plutôt, quelques millionièmes de seconde après le Big Bang. L’univers était alors composé d’une « soupe » appelée plasma quarks-gluons.
Au sein de cet état — plus que rare — de la matière, à la température et la densité extrêmement élevées, des quarks et des gluons se sont agglutinés jusqu’à former des particules X. Ces particules, nommées ainsi, car leur structure est mystérieuse, n’ont pas duré longtemps ; l’univers s’est refroidi, les configurations se sont stabilisées jusqu’à produire la matière ordinaire connue aujourd’hui — composée de neutrons et de protons.
Il n’existe qu’un seul endroit où l’on peut reproduire un équivalent de cet état de la matière : les accélérateurs de particules. Grâce aux collisions à haute énergie qui se produisent dans ces accélérateurs, il est possible de reproduire une « coalescence des quarks » qui se rapproche des conditions chaotiques et extrêmes de l’Univers dans sa prime jeunesse. C’est justement en produisant un tel plasma au Grand Collisionneur de Hardons (au CERN) que des scientifiques ont pu, en analysant les données, retrouver le signal de particules X.
« Nous avons montré que nous pouvions trouver un signal »
L’univers est actuellement composé de particules — neutrons et protons — faites de trois quarks. Il existe toutefois des particules exotiques, différentes des autres, appelées tétraquarks, car elles comportent quatre quarks. Encore récemment, le CERN découvrait une particule exotique unique en son genre. La particule X pourrait-elle être ce type de particule exotique ? Il est possible qu’il s’agisse d’un tétraquark extrêmement compact ou bien d’une molécule encore plus à part entière, qui serait composée de deux mésons (les mésons sont des particules comprenant une paire de quarks). En tout cas, elle demeure bien mystérieuse.
La particule X a été découverte initialement en 2003 par l’expérience japonaise Belle, puis reconfirmée ensuite. Mais entre découvrir des preuves d’une particule exotique et pouvoir l’observer réellement pour la comprendre, il y a un pas de géant. La récente détection permet d’aller un peu plus loin en trouvant un moyen pour détecter son signal au sein d’un plasma quarks-gluons. « Nous avons montré que nous pouvions trouver un signal », explique le physicien Yen-Jie Lee sur le site du MIT. « Dans les prochaines années, nous voulons utiliser le plasma quark-gluon pour sonder la structure interne de la particule X, ce qui pourrait changer notre vision du type de matière que l’Univers peut produire. »
Toute la difficulté dans la soupe de quarks-gluons, c’est qu’il s’agit vraiment d’une soupe. Il y a tellement de particules que « le bruit de fond est écrasant ». Tout l’enjeu était donc de réduire ce bruit de fond pour y trouver le signal de la particule X. Pour ce faire, les physiciens ont mobilisé un algorithme de machine learning qu’ils ont auparavant entraîné à détecter les caractéristiques anticipées de cette particule — notamment en repérant la façon unique dont elle se désintègre.
Et finalement, l’algorithme a permis à l’équipe de « zoomer » sur des signaux spécifiques au cœur de cette soupe. Ce n’est pas un signal qui a été repéré, mais plusieurs : une centaine, en fait. « Il est presque impensable que nous puissions extraire ces 100 particules de cet énorme ensemble de données. » Impensable, mais vrai. Car au fil des contrôles de données, les signaux se sont confirmés. « Chaque nuit, je me demandais si c’était vraiment un signal ou non. Et à la fin, les données disaient oui ! », confie Lee.
La possibilité avérée de détecter la particule X dans du plasma quarks-gluons va permettre de rassembler davantage de données sur cette mystérieuse particule. À mesure que les données vont grandir, il va être possible de préciser sa structure. Moins il y a de données, plus les résultats sont vagues : par exemple, à l’heure actuelle, les informations sont compatibles avec les deux scénarios possibles sur sa composition ; mais avec plus d’informations, un seul des scénarios devrait émerger comme seul compatible.
Quel que soit le résultat pour la suite, « cela élargira notre vision des types de particules qui étaient produites en abondance dans l’Univers primitif », conclut Lee.
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