Une fois dans l’espace, les astronautes n’ont pas accès à des ressources illimitées et ne peuvent pas non plus se permettre d’embarquer des tonnes d’eau ou de nourriture. Et si pour l’instant les seules missions habitées se déroulent dans des stations spatiales relativement accessibles, ce sera moins le cas pour des destinations plus lointaines — comme Mars, au hasard.
C’est pourquoi l’ESA (Agence spatiale européenne) a lancé un appel à idées le 19 janvier 2022 pour trouver des moyens de maximiser le recyclage dans l’espace. Le but : trouver des solutions pour recycler la nourriture, l’urine, les déchets, et pour créer un design de système circulaire pour ne rien perdre de ce qui est produit à bord de la Station spatiale internationale.
L’agence ne part pas de rien, puisque depuis plus de trente ans déjà, elle travaille avec la fondation MELiSSA dont la mission est de permettre l’autonomie des êtres humains dans l’espace. En d’autres termes : rendre les futurs explorateurs spatiaux indépendants, ce qui passe par la réutilisation de leurs maigres ressources.
La fondation implique onze pays, dont la France, ainsi que plusieurs dizaines d’organisations. À Zurich, le biologiste Emmanuel Frossard travaille auprès du projet MELiSSA pour favoriser la culture de plantes dans l’espace à base de matériaux recyclés : « Il y a des choses qui ne sont pas forcément prises en compte, mais sur lesquelles il faut pourtant travailler, raconte-t-il à Numerama. Pour résumer : il faut que les éléments nécessaires à la croissance des plantes soient disponibles, et utilisables par les végétaux. »
Les plantes ne mangent pas de cailloux
Pour rendre cela possible, trois types d’éléments peuvent être recyclés : l’urine, les fèces et les déchets de culture qui ne sont pas ingérés, comme les racines ou les feuilles des végétaux. Pour l’urine, c’est un peu plus simple et c’est déjà en partie le cas à bord de l’ISS. Tout comme la transpiration et l’eau utilisée pour se laver, tout ce liquide est capté par la station, récupéré et « nettoyé » pour produire à nouveau de l’eau potable. Ce qui a pour conséquence de faire diminuer les livraisons nécessaires d’eau de 65%.
Mais tout n’est pas parfait, car cette eau ne peut pas servir aux plantes. « L’urine est riche en sodium, prévient Emmanuel Frossard. Et si nous en avons besoin, ce n’est pas le cas des plantes. Il faut donc trouver un moyen de l’extraire, ce qui n’est pas facile. » Pas facile dans l’espace surtout, car sur Terre un système à base de chaux vive fonctionnerait parfaitement, mais cette solution est très difficilement transportable là-haut.
Cela dit, à part ce problème de sodium, l’eau et l’urine dans l’ISS sont des éléments assez facilement récupérables, et ce pour une raison : le fait que ce soient des matières liquides les rend « comestibles » par les plantes. « Les plantes ne peuvent pas avaler des cailloux, résume Emmanuel Frossard. Cela paraît évident, mais c’est le genre de problème qui est souvent ignoré, il ne suffit pas de produire les bons éléments, il faut aussi les rendre utilisables. »
C’est pourquoi les challenges de l’ESA impliquent aussi le recyclage des déchets et de la nourriture. Lorsqu’il s’agit de matière solide, il faut un processus de fermentation afin de dégrader la matière organique et lui retirer certains de ses éléments. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il est envisageable d’en faire un engrais utilisable. Dans Seul sur Mars, Matt Damon a dû mélanger terre et excréments pour fournir un terreau acceptable pour ses pommes de terre !
Un système circulaire
Enfin, l’idée est également de créer un système circulaire dans lequel les éléments recyclés servent à nourrir des plantes qui elles-mêmes produiront d’autres éléments utilisables. Avec l’Université de Naples, Emmanuel Frossard travaille justement sur un système baptisé PaCMAN, censé mesurer tout cela.
Le principe : des plantes enfermées dans une chambre totalement hermétique scrutée par des capteurs. Tous les gaz qu’elles produisent sont soigneusement mesurés en permanence pour connaître exactement leur apport. « D’habitude, nous utilisons des marqueurs pour suivre certaines molécules, précise Emmanuel Frossard, mais cette méthode est bien plus précise, car aucun être ne rentre auprès des plantes, il n’y a aucune contamination possible. »
Avec cet appel à idées, l’ESA espère faire émerger de nouvelles solutions, dont certaines qui sont encore à l’état de projet très abstrait, notamment autour de l’introduction de certains micro-organismes qui pourraient aider à recycler. Tout est envisageable tant l’enjeu est grand : lorsque des astronautes seront sur Mars, sans ravitaillement terrestre rapide possible, il leur faudra compter sur leurs maigres ressources, et s’ils peuvent produire eux-mêmes leur eau et leur nourriture, c’est leur clé pour survivre.
Cela dit, l’intérêt est aussi beaucoup plus immédiat. Un des critères est l’adaptabilité des méthodes sur Terre. Il faut que les technologies créées puissent aussi servir dans des zones où l’accès aux ressources est difficile. Pour Emmanuel Frossard, c’était essentiel : « Quand nous pensons recyclage, nous pensons maigres ressources. Et avant de collaborer avec les agences spatiales, nos missions se devaient avant tout d’être dirigées vers les populations en difficulté qui peuvent bénéficier de ces progrès. »
Les inscriptions pour participer au défi de l’ESA sont ouvertes jusqu’au 1er mars, et après viendra le temps de la sélection. Avec peut-être à la clé, une technologie révolutionnaire utilisée à la fois par les populations en difficulté sur Terre, et une future génération d’astronautes sur une planète lointaine.
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