Les paléontologues doivent déterminer si les dinosaures sont bipèdes ou quadrupèdes. Plusieurs indices peuvent les aider, dont le squelette, mais pas seulement, expliquent deux experts dans The Conversation.

Dès la découverte des premiers dinosaures fossiles au début du XIXe siècle, des questions se sont posées au sujet de leur posture : sur deux pattes, ou sur quatre pattes ? Face à un Diplodocus ou à un T. rex, peu d’hésitation. Mais pour de nombreux autres, le message des os n’est pas aussi limpide. Alors comment les paléontologues font-ils pour déterminer quelle pouvait être la posture de ces créatures du passé ?

D’une vision de créatures lourdes, vers celle d’animaux agiles

Parlons-en du premier dinosaure connu ! Il s’agit de Megalosaurus, alias « grand lézard », qui vivait au Jurassique moyen (il y a env. 168-166 millions d’années) dans l’actuelle Angleterre et dont la description scientifique date de 1824.

À cette époque, William Buckland, son descripteur, ne possédait qu’une mâchoire pourvue de plusieurs dents, ainsi que des vertèbres et os longs des membres. Les premières représentations le figurent en lézard géant, d’une quinzaine de mètres de long, et donc en quadrupède avec les pattes disposées sur les côtés. Suite aux découvertes ultérieures, et notamment aux travaux de Richard Owen, les dinosaures ne sont plus représentés avec des pattes écartées du corps latéralement, mais avec des membres plus verticaux. C’est dans cette posture quadrupède érigée que Megalosaurus est représenté au Crystal Palace Park de Londres, où sont exposées en 1853 des reconstitutions grandeur nature de dinosaures. Aujourd’hui, les paléontologues savent que cette espèce, qui mesurait 6 à 7 mètres de long, était en réalité bipède.

D’autres erreurs de reconstitution ont ainsi été corrigées au cours du temps et de l’avancée des connaissances en paléontologie. C’est le cas par exemple pour l’Iguanodon, représenté comme un quadrupède massif, puis comme un bipède dont la queue trainait par terre et enfin, aujourd’hui, comme un quadrupède capable d’être facultativement bipède (comme dans le dessin animé de Disney Dinosaure).

Ces changements de posture accompagnent également un changement dans la perception des dinosaures qui s’est produit dans les années 70, notamment lorsqu’il a été reconnu que les oiseaux sont bien des dinosaures. On est passé d’une image de créatures lourdes assez amorphes à celle d’animaux dynamiques relativement agiles.

D’abord bipèdes ! Puis plusieurs retours à la quadrupédie

Les dinosaures sont un groupe intéressant pour étudier les transitions posturales. Ils montrent en effet au moins quatre cas de transition de la bipédie à la quadrupédie : chez les sauropodomorphes (groupe du Diplodocus) et à au moins trois reprises chez les ornithischiens (autres herbivores tels que Triceratops, Stegosaurus et Ankylosaurus).

En effet, les premiers dinosaures étaient bipèdes. Une hypothèse suggère d’ailleurs que les dinosaures doivent leur succès évolutif, et donc leur grande et rapide diversification (radiation) dès le début du Trias, aux avantages liés à leur posture bipède. Ils auraient ainsi été plus rapides et agiles que leurs contemporains, les pseudosuchiens, groupe représenté actuellement par les crocodiliens. Cette hypothèse porte le nom d’hypothèse de la supériorité locomotrice.

Mais lorsque l’on devient massif, la bipédie n’est plus forcément la posture la plus avantageuse, d’où les retours à la quadrupédie.

Que peut-on apprendre avec les os des dinosaures ?

Il y a un certain nombre de caractéristiques au niveau du squelette des membres qui permettent de distinguer la posture des dinosaures. C’est notamment le cas de rapports de longueurs et de la présence de certaines structures osseuses, telles que des attaches musculaires. Ces attaches sont en effet généralement relativement plus développées chez les quadrupèdes sur l’humérus (os du bras), l’ulna (ou cubitus, os de l’avant-bras) et moins développées sur le fémur (os de la cuisse), où s’attachent les muscles de la queue. Les dinosaures quadrupèdes ont également des membres antérieurs proportionnellement plus longs et des métatarsiens (os du pied) plus courts que les dinosaures bipèdes. La masse musculaire des bipèdes se concentre en effet davantage vers le haut des membres postérieurs, éloignant le centre de gravité de l’animal du sol, ce qui permet notamment des mouvements rapides et de meilleures capacités de course.

Les pieds sont positionnés verticalement sous le bassin chez les dinosaures quadrupèdes tandis qu’ils sont plus proches de la ligne médiane du corps (qui passerait verticalement au milieu du corps) chez les bipèdes, comme chez l’humain chez qui le genou est plus près de cette ligne que le haut de la cuisse. En effet, éloigner les pieds de la ligne médiane chez un bipède lui ferait perdre beaucoup de stabilité, du fait de la répartition du poids sur seulement deux membres et de son centre de masse situé plus en arrière du corps et plus loin du sol.

Le passage bipède-quadrupède chez les dinosaures est généralement lié à une forte augmentation de taille, si bien que des caractéristiques liées à un poids massif sont souvent associées à celles liées à la quadrupédie et il n’est pas toujours évident de les distinguer. Par exemple, les formes géantes présentent un allongement encore plus marqué des membres antérieurs.

Roarrr ! // Source : Pexels/Cup of Couple (photo recadrée)
Roarrr ! // Source : Pexels/Cup of Couple (photo recadrée)

La détermination de la posture s’appuie généralement sur l’identification de plusieurs de ces différentes caractéristiques anatomiques. Elle nécessite d’avoir une bonne représentation des proportions globales du squelette et donc des restes assez complets. Cependant, des chercheurs ont tenté de trouver des caractéristiques permettant de prédire si un organisme était bipède ou quadrupède à partir d’un seul os. C’est ce qu’a fait une équipe internationale sur le fémur. Leur étude permet non seulement de mettre en évidence les caractéristiques morphologiques liées à une augmentation de taille (comme les extrémités de l’os plus robustes chez les plus massifs) et liées à un changement de posture (comme un os plus courbé chez les bipèdes), mais aussi de les différencier. Comme quoi, avec un seul os, on peut parfois en apprendre beaucoup !

Et à partir de représentations de l’animal entier ?

Des chercheurs ont modélisé la position du centre de masse (CoM) chez divers dinosaures. Une équipe anglo-canadienne a étudié cela chez plusieurs ornithischiens chez lesquels une position trop antérieure du CoM, rendant naturellement la locomotion bipède impossible, a permis d’identifier un mode de locomotion quadrupède. Cette étude a également suggéré que le développement d’excroissances au niveau du crâne, mais également du dos et de la queue (telle la massue des ankylosaures) avait pu avoir un rôle important dans l’évolution de la position du CoM, en le tirant vers l’avant pour les collerettes et cornes par exemple, et ainsi de la posture, au moins au sein des cératopsiens (comme Triceratops).

Une équipe internationale a également analysé si des critères pouvaient permettre d’étudier des changements de posture au cours de la croissance. Ces chercheurs ont ainsi suggéré, sur la base des circonférences des humérus (os du bras) et fémur (cuisse), un changement de posture de quadrupède à bipède chez le sauropode primitif Mussaurus et chez le cératopsien primitif Psittacosaurus. Mussaurus et Psittacosaurus occupent des positions dans l’arbre évolutif des dinosaures proches de là où des transitions évolutives de la posture (entre adultes de différentes espèces et non entre juvéniles et adultes d’une même espèce) semblent s’être produites (passage bipédie-quadrupédie chez les sauropodomorphes et chez les cératopsiens). Cette découverte suggère ainsi que ces caractères posturaux juvéniles auraient ensuite été retenus chez les adultes au cours de l’évolution.

Sans squelette, comment faire ?

En plus des caractéristiques morphologiques, les empreintes peuvent aussi être un très bon indicateur quant à la posture. L’étude des empreintes s’appelle l’ichnologie. Malheureusement, il reste très difficile d’associer de façon précise des empreintes au dinosaure qui les a laissées. Elles permettent néanmoins de caractériser la locomotion de groupes de dinosaures identifiés à un rang taxonomique plus large (comme le genre ou la famille).

Chez les sauropodes, de nombreuses empreintes de mains chez des formes petites à moyennes montrent une orientation latérale, tandis qu’elles sont davantage orientées vers l’avant chez des formes de grandes tailles. Cela a conduit des chercheurs à suggérer une réduction de la mobilité de la main liée à l’augmentation de la taille du corps ou causée par l’ossification continue des articulations avec l’augmentation de l’âge des individus. Ces chercheurs ont également mis en évidence, en comparant les empreintes de mains et de pieds, qu’une orientation plus antérieure des mains était également utilisée à des vitesses plus élevées, permettant au membre antérieur d’être lui aussi impliqué dans la propulsion de l’animal. En effet, la propulsion est toujours essentiellement assurée par les membres postérieurs chez les quadrupèdes. De plus, leur étude a montré un découplage dans les variations de posture et d’orientation des membres antérieurs et postérieurs, reflétant probablement des différences anatomiques et fonctionnelles marquées. Donc même sans squelette, on arrive à obtenir des informations sur la posture.

Ainsi, de nombreuses études sont en cours pour tenter d’élucider la posture des dinosaures, qu’il s’agisse de préciser la locomotion de formes pour lesquelles il n’y a plus d’ambigüité entre bipédie et quadrupédie, ou de comprendre le mode de locomotion de formes dont la posture reste bien plus énigmatique. Il y a notamment encore du travail avec toutes ces formes essentiellement quadrupèdes, mais capables de se déplacer de façon bipède et celles essentiellement bipèdes, mais capables de se mouvoir de façon quadrupède. Car elles ne sont pas rares ! Les études combinées de diverses équipes de recherche utilisant des approches différentes permettent au fur et à mesure de compléter nos connaissances dans ce domaine.The Conversation

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Alexandra Houssaye, Chercheuse Paleobiologie/Morphologie fonctionnelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Romain Pintore, Doctorant en Paléobiologie et Morphologie Fonctionnelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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