Une étude a été relayée par des personnalités sur Twitter comme si elle montrait un grave problème de tolérance des masques chez l’enfant. C’est faux : les passages diffusés tronquent totalement le propos de l’étude, qui n’en arrive pas à cette conclusion.

L’étude s’intitule « Les masques faciaux chez les jeunes enfants pendant la pandémie du Covid-19 : le point de vue des parents et des pédiatres » et elle a été publiée initialement en juin 2021 dans Frontiers in Pediatrics. Il lui arrive de temps en temps de ressortir sur les réseaux sociaux, et ce fut le cas encore début février 2022, lorsque des personnalités très suivies comme Martin Blachier et Alice Desbiolles l’ont relayé sur Twitter, en renfort de la théorie selon laquelle les enfants supporteraient mal le masque comme pratique contre le covid.

Mais en choisissant seulement certains passages de l’étude, ces tweets ont tronqué ce papier de recherche en le montrant sous un faux jour. L’étude dans Frontiers ne conclut absolument pas à un grave problème de tolérance ni à un danger du port du masque chez les enfants. En réalité, il est même littéralement impossible d’en arriver à une telle conclusion à partir de cette étude, qui conclut plutôt à un besoin d’information pédagogique sur les masques de la part des pédiatres. Et si on lisait vraiment ce papier de recherche ?

« Les enfants acceptent de porter le masque mieux que ne le pensent leurs parents »

L’objectif de cette équipe de recherche était d’approfondir l’acceptabilité et la tolérance du masque chez les jeunes enfants — à partir de 6 ans. La méthodologie repose sur un questionnaire, rempli par 2 954 parents et 663 pédiatres.

C’est là le premier signal qui doit alerter sur la portée de l’étude : un sondage. Les réponses à un sondage ne sont pas sans biais et font très rarement, dans un cadre scientifique, force de preuve. Les réponses relèvent d’une opinion. En l’occurrence, il s’agit plus particulièrement de l’opinion des parents : le questionnaire leur demande leur avis, s’ils estiment que leurs enfants ont plus ou moins mal au crâne, s’ils trouvent que leur humeur est changeante, etc.

Or, le point de vue des parents n’est pas seulement subjectif, il comporte un biais important sur ce sujet, que l’étude soulève d’elle-même en interrogeant les pédiatres : 64 % des parents ont tendance à se plaindre du masque. D’ailleurs, Nicolas Winter, médecin aux urgences pédiatriques, rappelle sur Twitter : « Ce que j’observe depuis le début de la pandémie, c’est que le masque est très bien toléré par les enfants, et mieux que chez les adultes. Ce qui stresse ou met l’enfant mal à l’aise avec le masque : le parent, donc l’adulte derrière. Plus le parent derrière est stressé ou imagine mille terribles effets secondaires au masque, plus l’enfant le supporte mal. »

Les enfants supportent bien le masque et les gestes barrières lorsqu'ils leur sont expliqués. // Source : Pexels
Les enfants supportent bien le masque et les gestes barrières lorsqu’ils leur sont expliqués. // Source : Pexels

Ce biais auquel fait référence Nicolas Winter n’est autre… que le constat des auteurs de cette étude. C’est la conclusion globale de ce papier : « Malgré les nombreux désagréments signalés, les enfants acceptent de porter le masque mieux que ne le pensent leurs parents. Les pédiatres devraient profiter de la consultation pour expliquer davantage les raisons du port du masque car leur rôle pédagogique est crucial. » Si l’étude rappelle donc une chose, c’est bien que l’information médicale pédagogique envers les parents et les enfants est déterminante pour aider à supporter un masque qui, de manière générale, ne pose pas de problème particulier de tolérance chez les enfants.

Avec ou sans masque : la comparaison est nécessaire

Il y a un autre élément significatif dans la méthodologie : il n’y a pas de groupe de contrôle, pas de point de comparaison avec et sans masque, ni avant et après son port. Là encore, les auteurs l’écrivent eux-mêmes de leur étude : « Malheureusement, notre questionnaire ne demandait pas si les enfants avaient déjà souffert de migraines. »

« Bien que la prévalence des maux de tête semble élevée, elle était comparable à celle observée chez les enfants avant la pandémie »

Ils ajoutent par ailleurs textuellement : « Bien que la prévalence des maux de tête semble élevée, elle était comparable à celle observée chez les enfants avant la pandémie : 37-51 % chez les enfants de plus de 7 ans » (via le questionnaire, 49 % des parents ont estimé que leurs enfants avaient des migraines pendant le port du masque). Les auteurs n’établissement absolument aucun lien entre les migraines et les masques.

En l’absence de groupe de contrôle, il est impossible de savoir si l’enfant a une prédisposition au mal de crâne ou si celui-ci peut venir d’autre chose. L’épidémiologiste Thibault Fiolet résume sur son compte Twitter : « On ne peut PAS du tout savoir si c’est à cause des masques, à partir d’opinions. »

Mais cela va encore plus loin : demander si le masque constitue une gêne n’est pas le meilleur moyen d’évaluer leur impact sur la santé. La réponse quant à la gêne sera, en général, plutôt oui. Il s’agit d’un accessoire porté sur le visage, qui, c’est inévitable, fait que l’on s’entende un peu moins, peut provoquer de la buée sur les lunettes, et finir par être barbant après quelques heures de port. « Mais de là à laisser penser que le masque provoque plein de problèmes de santé et que c’est intenable de porter un masque, il y a un gouffre », alerte Thibault Fiolet. Et en effet, que la ceinture de sécurité appuie sur le torse, ce qui n’est pas fondamentalement agréable, n’est pas une raison pour en déduire qu’elle est problématique ni qu’il ne faut pas en porter.

Inversement, les preuves que le port du masque est très efficace et qu’il ne cause pas de souci respiratoire s’accumulent en nombre (quand une étude qui suggérait des problèmes respiratoires a été rétractée pour de graves défauts de méthode). Encore en novembre 2021, une méta-analyse de 30 études montrait que le port du masque réduit de moitié les contaminations. Quant aux écoles, une étude dans le Michigan aux États-Unis montrait par exemple que les écoles sans obligation de port du masque voyaient 62 % de contaminations supplémentaires, par rapport aux écoles avec port du masque.

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