Pour une étoile à peu près de la taille du Soleil, les stades de vie sont assez identifiables. Il y a la prime jeunesse durant laquelle le gaz se concentre pour former l’étoile, puis l’âge adulte, à savoir la séquence principale où la fusion se déroule au cœur de l’astre. C’est celle que connaît notre Soleil actuellement. Ensuite, vient la géante rouge que l’on pourrait comparer à une bonne crise de la cinquantaine, lorsque l’étoile commence à se désagréger et décuple sa taille. Dernier chant du cygne avant la retraite bien méritée : sous forme de naine blanche, une étoile réduite à son centre, où il n’y a plus de réaction nucléaire et où la chaleur disparaît lentement, mais sûrement.
Seulement, ce tableau n’est pas tout à fait juste sur la fin, surtout au sujet des naines blanches qui, si elles sont retraitées, n’en demeurent pas moins actives. « Il faudrait plutôt parler de deuxième vie, considère Pier-Emmanuel Tremblay, chercheur à l’Université de Warwick. Il se passe encore beaucoup de choses après la transformation en naine blanche. »
Vestiges de planètes détruites
L’astrophysicien a participé récemment à une étude, parue dans Nature le 9 février 2022, selon laquelle les naines blanches continuent d’agréger de la matière. « La différence avec cette étude, précise Pier-Emmanuel Tremblay, c’est qu’il s’agit cette fois d’une preuve directe. Nous avions déjà de nombreux indices, mais c’est la première fois que nous pouvons directement détecter les collisions de matière à la surface de l’étoile. »
Pour arriver à cette conclusion, les auteurs ont utilisé le télescope spatial Chandra conçu pour observer les rayons X. Comme les naines blanches ne dégagent pas, ou très peu de rayons X, il était possible de voir les moindres signaux sur cette longueur d’onde. Ce que révèlent ces observations dirigées vers G 29-38, une étoile située à une quarantaine d’années-lumière de nous, c’est qu’il y a bien des roches contenant des métaux lourds qui tombent sur la surface de l’étoile et sont alors absorbés. Mais d’où viennent ces cailloux ? « Ce sont des restes de planètes ou d’astéroïdes, raconte Pier-Emmanuel Tremblay. Des corps qui ont été détruits et qui naviguent autour de l’étoile. »
Il faut dire que les événements qui précèdent l’arrivée d’une naine blanche sont particulièrement cataclysmiques. Lors de sa transformation en géante rouge, l’étoile a tendance à avaler les planètes les plus proches d’elles. C’est ce qui se passera certainement pour Mercure et Vénus, voire pour la Terre lorsque notre Soleil connaîtra cette phase. Rassurez-vous, nous en avons encore pour cinq ou dix milliards d’années, mais vous êtes prévenus. Mais il s’avère que lors de cette transformation, les planètes peuvent être disloquées, et réduites en petites roches. De même, les perturbations gravitationnelles peuvent attirer des astres nouveaux, notamment des astéroïdes, qui se mettront à orbiter à une distance assez faible de la future naine blanche.
Comme les naines blanches sont des étoiles très petites, mais très denses, elles produisent un champ magnétique extrêmement fort qui rend les environs plutôt inhospitaliers pour les quelques objets qui oseraient s’en approcher. C’est ce qui arrive à ces roches désagrégées puis aspirées par l’étoile et sa force de gravité.
« Ce qu’arrive à faire cette étude est très intéressant, ajoute Gérard Vauclair, astrophysicien qui n’a pas participé aux travaux. Ils ont une mesure indépendante du taux d’accrétion, et c’est quelque chose qui reposait jusque-là essentiellement sur les modèles et les hypothèses. »
Ainsi, les auteurs ont découvert que le taux d’accrétion, autrement dit la vitesse à laquelle tombent les roches sur l’étoile, était plus élevé que prévu. Ils pensent que cela est dû à la présence d’autres éléments encore plus lourds, ce qui accélèrerait leur chute sous l’effet de la gravité, mais Gérard Vauclair a une autre piste : « En 2017, nous pensions avoir identifié un autre effet, une convection thermohaline qui se produit lorsque des éléments lourds se retrouvent au-dessus d’autres plus légers. Cette instabilité crée un mélange qui accélère la chute vers l’étoile. » Ce même phénomène connu au fond des océans provoque des courants, à cause de l’eau salée plus lourde qui se retrouve au-dessus de l’eau sans sel.
« Ce n’est pas une recherche prioritaire »
Mais une question se pose : pourquoi cela n’a-t-il jamais été observé avant ? Dès les années 1980, des chercheurs notaient la présence de disques de poussière autour des naines blanches et tout laissait croire qu’ils finiraient sur l’étoile. Plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, les signaux en rayons X sont extrêmement ténus et pas forcément faciles à détecter. « Pour avoir des rayons X, il faut avoir un phénomène qui dégage beaucoup d’énergie, précise Pier-Emmanuel Tremblay. Mais ici, ces phénomènes sont de petite ampleur. » Il s’avère que les débris qui tombent sur l’étoile ne sont pas des planètes, ni même de grosses roches. Uniquement de la poussière, parfois il n’y a qu’un atome à la fois qui arrive à la surface. Comme le champ magnétique de l’étoile est très fort, cela est suffisant pour créer une signature dans les rayons X, mais ce n’est pas pour autant extrêmement visible.
Ce qui nous mène à la deuxième raison sur l’absence de tels résultats auparavant : pour arriver à trouver des rayons X si faibles dans un tel environnement, il faut braquer un télescope sur une étoile pendant toute une journée. « Ce n’est pas une recherche prioritaire, déplore Pier-Emmanuel Tremblay. Surtout qu’il s’agit de quelque chose dont nous étions quasiment certains, c’est pour cela que ça a tant tardé. » C’est aussi pour cette raison qu’il ne faut pas forcément s’attendre tout de suite à voir des observations plus détaillées de ces phénomènes.
Cela dit, l’étude est loin de n’être qu’une confirmation et apporte des éléments nouveaux sur les objets émetteurs de rayons X. « Avec des moyens de détection plus performants, nous avons maintenant tout un bestiaire d’émetteurs, assure Pier-Emmanuel Tremblay. Pas seulement des trous noirs, mais aussi des astéroïdes. Ici, nous sommes à la limite de nos capacités de détection, mais c’est un défi technique qui pourra aller plus loin dans l’avenir. »
Un défi technique, mais aussi un argument de plus pour dire que les naines blanches ne sont pas mortes, loin de là. Gérard Vauclair précise : « Certes, il n’y a plus de réaction nucléaire au cœur de l’étoile, plus d’hydrogène à brûler, mais il y a encore de nombreuses choses intéressantes à étudier. Par exemple, connaître précisément le taux d’accrétion nous renseigne sur ce qu’étaient ces corps avant d’être détruits, ce qui est capital pour comprendre la formation des systèmes planétaires. »
Pier-Emmanuel Tremblay conclut : « La vraie mort des étoiles serait plutôt le passage à la naine noire, lorsque la naine blanche refroidit tellement qu’elle n’émet plus de lumière et devient invisible. » Mais actuellement, l’Univers est encore trop jeune pour voir apparaître une hypothétique naine noire, il ne faut donc pas trop espérer tomber dessus.
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