Il n’y a pas si longtemps, il était très commun de croiser une personne dans la rue, le nez rivé à son téléphone en train de chercher des Pokémon au détour d’une station de métro. Et si cette déferlante est un peu passée aujourd’hui, le monde de la réalité augmentée, lui, n’en a pas fini.
Dernière idée en date : faire revivre des espèces disparues à travers un filtre Snapchat ou Instagram. Ainsi, vous pouvez faire apparaître comme bon vous semble des mammouths ou autres tigres à dents de sabre entre deux stories. Sur Snapchat, il vous suffit de scanner les snapcodes suivants pour obtenir les animaux en réalité augmentée dans l’app.
Et voilà le résultat :
Sur Instagram, il faut passer par les stories et utiliser l’appareil photo. À droite du bouton permettant d’enregistrer, un carrousel d’effets en réalité augmentée est disponible. C’est dans « Parcourir les effets » qu’il faut cliquer, puis rechercher l’un des animaux par son nom (comme « saber-toothed cat » ou « dire wolf »).
Vous pouvez aussi utiliser l’application Sketchfab (disponible sur iOS). Pas besoin de créer de compte : une fois l’app téléchargée, recherchez « La Brea » dans le menu, puis cliquez sur la collection « La Brea Tar Pits low poly Ice Age Animals » du Muséum d’Histoire Naturelle de Los Angeles.
Mais loin de n’être qu’une technologie purement récréative, cette innovation a un aspect scientifique et fait même l’objet d’une étude parue le 2 mars 2022 dans la revue Palaeontologia Electronica. Matt Davis, un responsable d’exposition au Muséum d’Histoire Naturelle de Los Angeles, s’est allié avec des chercheurs de l’Université de Californie du Sud pour mettre au point des modèles en réalité augmentée de ces animaux aujourd’hui inaccessibles. « Étonnamment, raconte Matt Davis, il y a très peu de modèles de ces animaux en réalité augmentée. Vous trouverez bien quelques dinosaures, mais qui ne sont pas réalistes scientifiquement, ils sortent surtout de Jurassic World… Nous avons voulu montrer des animaux jamais vus ainsi avant. »
Dans ce bestiaire, vous trouverez des mammouths, des tigres à dents de sabre, mais aussi des espèces éteintes de chevaux, de loups ou encore de bisons et d’oiseaux. Le but : les rendre accessibles à tout le monde via n’importe quel smartphone, mais aussi pouvoir les utiliser dans des musées comme le Muséum de Los Angeles. « La différence par rapport à d’autres projets similaires, précise Matt Davis, c’est que nous avons détaillé tous les choix artistiques et scientifiques dans l’étude relue par des pairs. Ceci rend plus facile pour d’autres de critiquer et d’améliorer notre travail dans de futures recherches. »
Éviter les détails cool, mais faux
Justement, parlons-en de ces choix ! À première vue, ces animaux ne sont pas franchement impressionnants et ressemblent davantage à des blocs de pixels tout droit sortis d’un jeu Nintendo 64.
Un choix complètement assumé par l’équipe, tout d’abord car il fallait que les modèles puissent être visibles même sur un smartphone un peu daté. Mais il y a une autre justification, ajoute Matt Davis : « Avoir ces modèles simplifiés était volontaire, car ils sont malgré tout scientifiquement corrects. Il y a beaucoup de recherches derrière même si ça ne se voit pas forcément. L’esthétique simplifiée nous permet de représenter les animaux de manière réaliste sans surcharger avec de petits détails pour lesquels il n’y a pas de preuves archéologiques fortes. »
Par exemple, même si vous n’avez jamais vu de vrai mammouth, vous imaginez certainement un éléphant plus grand que la moyenne avec une épaisse fourrure. Et bien, ce n’est pas forcément vrai. Si certaines espèces, comme le mammouth laineux, possédaient bien de longs poils allant jusqu’à 90 centimètres, ce n’est pas le cas de la majorité de leurs congénères. Malgré tout, cette description a tendance à s’étendre à tous les types de mammouths dans l’esprit du grand public, d’où la volonté dans cette étude de prendre une voie différente en s’en tenant uniquement à ce qui est certain.
Tout comme les films Jurassic Park ont largement codifié une représentation des dinosaures pas toujours juste (eh oui, le T-Rex avait probablement des plumes !), ces choix artistiques ont une incidence forte, et pas uniquement sur les amateurs de cinéma. Cette discipline qui consiste à représenter des animaux éteints s’appelle le paléoart, et elle est capitale pour la communauté scientifique assure Matt Davis : « Le paléoart n’est pas seulement un moyen pour nous de communiquer sur nos découvertes de fossiles. C’est aussi comme cela que nous échangeons entre chercheurs. Chaque travail artistique représente une hypothèse sur ce à quoi ressemblait une espèce disparue. Mais comme cette hypothèse n’est pas écrite, juste représentée, elle est souvent plus difficile à débattre. »
« Le paléoart doit être traité avec la même rigueur que le reste de la discipline »
Ainsi, même les paléontologues s’attendent à voir des fossiles d’animaux qui correspondent aux représentations qu’ils ont vues. Et cela guide la manière dont ils mènent leurs recherches. « Le paléoart doit être traité avec la même rigueur que le reste de la discipline, martèle Matt Davis. Une représentation soulève des questions sur la manière de se déplacer, le mode de vie, etc. Il faut justifier ces représentations comme nous l’avons fait, avec une démarche scientifique claire et accessible à la communauté qui, après, pourra en débattre. »
Bien sûr, les représentations uniquement dictées par des choix artistiques sont souvent un peu plus sexys que ces blocs de polygones. Mais pour Matt Davis et ses collègues, en passer par là est important pour apprendre de manière plus précise aux curieuses et aux curieux à quoi ressemblaient les animaux disparus, certains d’ailleurs à cause des actions humaines. Et aussi transmettre ces connaissances aux prochaines générations de chercheurs pour qui les représentations comptent tout autant que les résultats des recherches.
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