La Nasa a-t-elle nommé le télescope James Webb du nom d’un homme ayant conduit une politique homophobe au sein de l’agence dans les années 1960 ? Cette question a provoqué d’importants remous en interne et au sein de la communauté scientifique. En 2021, quatre astronomes en appelaient à un changement de nom, via une pétition, apportant des éléments montrant que James Webb soutenait une politique homophobe au sein de l’agence en son temps. L’agence spatiale a finalement rejeté la demande.
Le télescope James Webb a décollé le 25 décembre 2021. Destiné à explorer l’espace profond, pour étudier les premières étoiles et galaxies juste après le Big Bang, il est un petit bijou technologique qui apportera beaucoup à la recherche scientifique. Par tradition, les télescopes spatiaux et les rovers martiens portent les noms de personnalités scientifiques. Le télescope James Webb titre son nom du deuxième administrateur de la Nasa, qui a dirigé l’agence entre 1961 et 1968.
Lorsque la Nasa a annoncé le maintien du nom du télescope, elle a affirmé avoir mené une enquête interne, et qu’aucune preuve n’attestait d’une politique clairement homophobe de la part de James Webb. Le magazine Nature a obtenu l’accès aux documents intégrés dans cette enquête. Ils en dressent les contours dans un article publié le 25 mars 2022. Que montrent-ils ?
L’homophobie, une « coutume » au sein de la Nasa dans les années 1960 ?
La décision de la Nasa n’a pas fait l’objet d’un rapport public, mais le magazine Nature a pu obtenir des documents internes en mobilisant le Freedom of Information Act (FOI), qui oblige les agences fédérales à fournir aux journalistes tout document demandé. Les documents montrent, selon Nature, que la plupart des débats en interne ont eu lieu lors de réunions, et qu’il y a donc peu de traces écrites, mais le magazine a malgré tout pu identifier quelques échanges par emails.
Dès 2021, un historien a signalé à la Nasa d’étranges formulations dans un cas juridique ayant eu lieu au cours des années 1960, et qui concernaient Clifford Norton. Cet ancien employé de la Nasa a été licencié pour « conduite immorale, indécente et déshonorante ». Il a fait appel de cette décision. En enquêtant alors, le juge en charge du dossier se serait vu répondre par le personnel que c’était une « coutume au sein de l’agence » que de licencier des personnes pour « comportement homosexuel ». L’historien aurait signalé à la Nasa que la mention d’une « coutume » serait particulièrement « troublant ».
Nature a ensuite pu consulter un livre blanc, non destiné au public, où le cas de Clifford Norton est décrit ainsi : « Cela montre que la Nasa avait décidé que le renvoi des employés homosexuels serait sa politique. Ils avaient le choix, pendant le mandat d’administration de Webb, de fixer ou de changer cette politique. » En clair, cela suggère que la Nasa a bel et bien constaté une politique homophobe pendant l’administration de James Webb.
Les documents consultés par le magazine Nature montrent également comment la Nasa a enquêté en interne sur le besoin ou non de changer le nom du télescope. L’agence aurait contacté une dizaine d’astrophysiciens reconnus pour leur demander leur avis. En charge de ce sondage, le chef de la division astrophysique, Paul Hertz, écrit dans son rapport à la direction que « personne n’a dit qu’il serait déçu si nous ne changions pas le nom ». Mais il écrit aussi qu’aucune des personnes consultées n’appartenait à la communauté LGBT+.
Le magazine Nature a contacté Paul Hertz qui a assuré avoir également eu des « conversations » sur la question « avec des membres de nombreuses communautés, y compris celles des LGBTQ+ ».
Contactées par Nature, les personnes à l’origine de la pétition demandant un changement de nom ont commenté les nouveaux emails, qui « dressent un portrait brutal de la façon dont les astronomes n’appartenant pas à la communauté LGBTQ+ rejettent les expériences de leurs collègues homosexuels, et montrent clairement que la discrimination à l’égard des homosexuels est bien vivante dans l’astronomie d’aujourd’hui ».
La situation semble mettre également en avant un problème de transparence. Ce qui est dénoncé et mis en lumière par ces documents, c’est l’absence d’un rapport public justifiant la décision de la Nasa de conserver le nom de James Webb pour le télescope — malgré des allégations d’une homophobie administrative apparemment fondée historiquement.
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