Pour la première fois, un tribunal a appliqué aux animaux sauvages les « droits de la nature » inscrits dans sa constitution. La décision, qui a lieu en Équateur, se retranscrit dans un arrêt de janvier 2022. L’événement a pris en visibilité début avril en étant relayée par le site spécialisé InsideClimateNews.
L’Équateur était déjà le premier pays à inscrire, en 2008, des « droits de la nature » au sein de sa constitution, ce qui fut suivi par quelques autres pays, dont le dernier en date est l’Italie début 2022. Une mise en application récente de ces droits constitutionnels en Équateur est l’interdiction d’un projet de minage dans une forêt protégée. L’extension des droits de la nature aux animaux sauvages est une nouvelle étape importante, tant sur le plan national qu’international.
Un singe arraché à son milieu naturel
L’affaire implique l’adoption d’un Lagotriche (ou « singe laineux ») femelle. Elle a été capturée dans la nature à l’âge d’un mois, puis gardée comme animal de compagnie par Ana Beatriz Burbano Proaño, une bibliothécaire, qui l’a nommée Estrellita. Sauf que la possession d’un animal sauvage est illégale en Équateur : en 2019, les autorités sont alertées et saisissent l’animal. Elles le transfèrent dans un zoo. Moins d’un mois plus tard, Estrellita meurt en captivité.
Peu avant la mort d’Estrellita, Ana Beatriz Burbano Proaño a lancé un recours juridique appelé habeas corpus en Équateur : cela permet d’évaluer la validité des conditions de détention d’une personne. La bibliothécaire réclame alors que l’animal lui soit rendue et que le tribunal décrète la violation des droits d’Estrellita. Passant de tribunal en tribunal, l’affaire a finalement terminé devant la Cour constitutionnelle du pays, soit la plus haute juridiction.
Le droit de ne pas être chassés, pêchés, capturés, collectés…
Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle estime que les droits de la nature s’appliquent aux animaux sauvages, qu’elle reconnaît comme sujets de droit ayant une valeur innée et individuelle — ils ne sont pas destinés à être « utiles » aux humains.
La Cour leur reconnaît le droit de « ne pas être chassés, pêchés, capturés, collectés, extraits, gardés, retenus, trafiqués, commercialisés ou échangés.». Celle-ci ajoute le droit au « libre développement de leur comportement animal, ce qui inclut la garantie de ne pas être domestiqué et de ne pas être forcé d’assimiler des caractéristiques ou des apparences humaines.»
Il en résulte, selon les juges, que les droits d’Estrellita ont été abusés à la fois par le gouvernement, qui l’a enfermé, et par Estrellita, qui l’a adopté en la capturant de prime abord. La Cour demande également à ce que de nouvelles règles soient adoptées pour garantir le respect des droits constitutionnels des animaux sauvages.
Cette décision fait dorénavant jurisprudence en Équateur : les droits des animaux sauvages deviennent constitutionnellement reconnus et protégés, c’est-à-dire au plus haut niveau juridique du pays. Cela oblige toutes les autres institutions du pays à adopter des lois et protocoles cohérents avec cette décision constitutionnelle. Dans le cas d’Estrellita, cela aurait empêché la détention dans un zoo, puisque les autorités auraient été obligées de trouver un moyen de réinsertion dans son milieu naturel.
La Cour a relevé que certaines activités humaines, en particulier l’élevage ou la pêche dans un certain cadre, demeurent constitutionnelles : la cour considère que ce type d’interactions biologiques à des fins d’alimentation fait partie de balance naturelle dans la relation aux écosystèmes. Mais la limitation à l’agriculture, et l’existence de droits, interdit de facto des pratiques de chasse ou pêche « récréatives » et encadre les conditions d’élevage.
Bien que de nombreux pays punissent pénalement les traitements inhumains des animaux (les animaux domestiques notamment), et protègent les écosystèmes de certaines dégradations, la reconnaissance des animaux sauvages comme sujets de droit est une étape encore plus poussée. Cela représente un rapprochement inédit entre le droit des animaux et le droit de l’environnement. Et cela démontre aux autres pays que protéger le vivant par le droit est tout à fait possible.
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