Les futurs astronautes pourront être nourris de viande cultivée, sans animaux. Ce mode de production important pour l’avenir de la planète sera bientôt testé dans l’espace, avant une possible application à grande échelle sur Terre. Mais est-ce bien nécessaire ?

C’est une question récurrente dès qu’il s’agit de prévoir des voyages spatiaux de longue durée : comment nourrir les astronautes ? Dans la Station spatiale internationale, à « seulement » 400 kilomètres d’altitude, quelques cargos de ravitaillement, des sachets lyophilisés et deux ou trois salades qui poussent en apesanteur suffisent. Mais si des explorateurs s’en vont un peu plus loin de la Terre, ils ne pourront pas partir avec des années de vivres et il leur faudra une solution pour concevoir eux-mêmes leur nourriture.

Et si des projets sont déjà en cours, voire même en partie développés pour faire pousser des fruits ou des légumes dans l’espace, l’Agence spatiale européenne (ESA) a lancé également le développement d’une technologie pour faire pousser… de la viande, a-t-elle annoncé le 31 mars 2022. Il ne s’agit pas d’élever du bétail en apesanteur, mais bel et bien de fabriquer de la viande synthétique consommable par les astronautes.

Viande cultivée pour de longues missions
Schéma du système de viande cultivée pour de longues missions. Source : ESA

L’ESA précise dans son communiqué : « La viande cultivée pourrait tout changer pour l’environnement, la santé humaine, et le bien-être animal. Surmonter ce défi dans l’espace pourra nous aider à trouver des solutions pour en produire de manière durable et efficace sur Terre. »

De l’éprouvette à l’assiette

La viande cultivée fait parler d’elle depuis une dizaine d’années maintenant. Le principe de base est de produire de la viande en laboratoire avec des cellules animales. C’est un petit peu la même technique que ce qui est utilisé en médecine régénérative pour faire « repousser » des tissus, voire des organes du corps humain. Pour la viande, la méthode n’est pas encore totalement maîtrisée, surtout pour la produire à grande échelle sans que ce soit un produit de luxe et sans risque pour la santé.

Mais une question se pose : est-ce bien utile ? Au-delà du défi biologique que cela représente, développer cette technique dans l’espace avec les contraintes qui y sont liées est particulièrement compliqué. Il faut trouver un système assez petit pour être transporté et utilisé, capable de fonctionner en apesanteur, de produire un maximum de produits pour un minimum de matières premières…

C’est à se demander si un simple petit jardinet avec quelques légumes ne serait pas plus simple. D’autant plus que les alternatives à la viande existent pour fournir au corps humain ce qu’il lui faut de vitamines et de protéines. Est-ce que ce ne serait pas plus simple si les astronautes étaient végétariens ?

« Les priver de viande, c’est risquer une dépression »

« Ce n’est pas aussi facile, nuance Philippe Stéfanini, anthropologue au CNRS. Manger de la viande fait encore partie des habitudes culturelles d’une grande partie de la population. Et en priver des personnes qui sont loin de chez elles, dans l’espace, dans un lieu clos en communauté, ce n’est pas forcément une bonne idée. »

Le chercheur a travaillé avec l’ESA et la Nasa pour concevoir des aliments durables à destination des astronautes. Et même si ses études lui ont permis de connaître de nombreux régimes dépourvus de viande, il considère qu’en fournir aux astronautes reste nécessaire pour leur mental. « Même un sportif de haut niveau verra ses performances baisser s’il ne mange que les aliments les plus optimisés pour son corps. Priver de viande ces personnes, c’est risquer qu’elles ne fassent une dépression, ce qui serait désastreux pour une mission spatiale. »

La viande serait donc un des marqueurs qui rappellerait aux astronautes leur chez-eux. Un sentiment loin d’être superflu, dans la mesure où le stress lié à leur mission et à l’éloignement de la Terre peut avoir des conséquences graves.

Pour autant, comme il est impossible de stocker de la viande en grande quantité dans un vaisseau spatial, la viande cultivée peut être une alternative. « C’est important de passer par là, assure Philippe Stéfanini, et pas seulement pour les astronautes. La crise écologique que nous traversons nous pousse à supprimer la viande de nos assiettes. Si nous voulons réussir ce bouleversement en douceur, nous devons trouver une solution. »

Un burger vegan. // Source : Flickr/CC/Marco Verch (photo recadrée)
Un burger vegan. // Source : Flickr/CC/Marco Verch (photo recadrée)

C’est pourquoi le cahier des charges de l’ESA précise bien aux participants que le système prévu pour aller dans l’espace devra aussi être applicable sur Terre. Deux équipes ont été sélectionnées, une en Allemagne et l’autre au Royaume-Uni, et vont chacune travailler en parallèle sur les besoins pour les astronautes et les contraintes à contourner pour rendre cette technologie accessible dans l’espace. Dans un second temps, ils devront évaluer l’intérêt de leur trouvaille à la fois pour l’espace et pour les humains sur Terre.

Daniela Bezdan, la directrice scientifique de l’équipe allemande, ajoute : « Ces recherches aideront à attirer l’attention et susciter des efforts à propos des problèmes majeurs pour la faisabilité de la production de la viande cultivée. » Car si la technologie est cruciale pour les voyages spatiaux, elle l’est encore plus pour les humains sur Terre, à l’heure où la production de viande demeure un gouffre écologique.

Malheureusement, la viande cultivée, elle non plus, n’est pas exempte de reproches, et génère un impact environnemental non négligeable pour le moment. De telles recherches pourraient aider à en faire un produit durable et accessible au plus grand nombre.

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