La pandémie a mis la santé au cœur des préoccupations, alors même qu’il s’agissait déjà d’une valeur importante dans nos sociétés. Sur les réseaux sociaux, des comptes influents s’en emparent. N’y a-t-il pas des risques de confusion entre la publicité et le conseil médical ?

Major mouvement, les conseils pharma de Léa, princesseperinee, voilà quelques influenceurs et influenceuses santé qui cartonnent sur les réseaux sociaux. Ces professionnels de santé 2.0 se sont emparés d’Instagram, de TikTok ou encore de YouTube. Qu’ils soient kinésithérapeutes, sages-femmes, médecins, pharmaciens ou dentistes, ils cumulent les abonnés : plus de 400 000 pour major mouvement, près de 100 000 pour charline.sagefemme et princesseperinee.

Un phénomène qui n’est pas étonnant puisque, comme l’expliquent Viviane Clavier et Céline Paganelli, enseignantes-chercheuses en sciences de l’information et de la communication, « la santé est depuis de nombreuses années érigée en valeur fondamentale dans les sociétés occidentales ». Cette tendance n’a fait que se renforcer depuis le début de la pandémie.

Face à un tel engouement, des agences d’influence ont décidé de se développer en santé. C’est le cas de la Fraich Touch qui, comme indiqué sur son site web, compte dans ses « talents » bon nombre de professionnels de santé parmi les « plus influents ». Un véritable catalogue à destination des marques afin qu’elles puissent les solliciter. 

Le marché de l’influence santé

L’agence joue un rôle d’intermédiaire entre les influenceurs et les entreprises clientes. « C’est comme un agent de célébrité classique », indique Stéphanie Laporte, dirigeante de l’agence digitale social media Otta. Elle s’occupe aussi de tout l’aspect juridique et contractuel. L’agence va ensuite toucher une commission sur les différentes collaborations.

Parmi les services pour lesquels les influenceurs peuvent être sollicités, il y a le prêt d’image de marque. « C’est l’équivalent de je suis Valérie Damidot, achetez votre papier peint chez Saint-Maclou », explique Stéphanie Laporte. Ils peuvent aussi être appelés en tant que conférencier et conférencières pour leur expertise dans leur domaine. Les marques peuvent également les rémunérer pour de « la visibilité web » et de la « création de contenus pour les supports digitaux ».

« Les influenceurs savent faire des reels insta, des TikTok, et les marques sont souvent dépourvues face à ça », ajoute la directrice d’Otta. « Le milieu de la santé a envie de se rafraîchir. C’est encore extrêmement codifié. Les influenceurs et influenceuses santé vont apporter cette fraîcheur-là et rajeunir les audiences. »

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Les différents professionnels de santé de l’agence peuvent être sollicités pour différentes prestations. Source : Fraich Touch

En somme, de la publicité classique avec les codes et les outils numériques d’aujourd’hui et une touche en plus : la mise en avant d’une « authenticité ». Un argument de taille pour convaincre les followers. « Les influenceurs sont des prescripteurs. Leur particularité réside dans la manière dont l’information est relayée auprès des jeunes, sachant que ces derniers sont plus sensibles à des relais d’informations qui ne sont pas officiels« , étayent Céline Paganelli et Viviane Clavier.

Des égéries pour les annonceurs

Selon Gilles Lipovetsky, philosophe et auteur du Sacre de l’authenticité, les marques mettent en avant l’authentique car c’est devenu un facteur de confiance. « Les influenceurs ont une image d’authenticité parce qu’ils ne paraissent pas institutionnalisés comme des professionnels du marketing. Ils sont jeunes, mélangent des conseils de consommation avec leur vie privé . Il y a un aspect de familiarité, de proximité qui est aujourd’hui associé à l’authenticité. »

Bien qu’ils bénéficient de cette aura, ces influenceurs santé n’en sont pas moins, pour une grande majorité, institutionnalisés. Un point dont les personnes qui s’abonnent n’ont pas toujours conscience, les influenceurs et influenceuses n’étant pas dans l’obligation de se déclarer comme faisant partie d’une agence d’influence. Pour Goulven Cornech, co-fondateur de la Fraich Touch, il ne s’agit pas de publicité mais de « collaboration informative » : « Communiquer pour une marque oui, transmettre des messages sponsorisés, ok, mais de là à vendre un produit non. »

Si la démarche de départ s’inscrit dans une optique d’information et de vulgarisation scientifique, beaucoup développent en parallèle des partenariats avec des entreprises du milieu de la santé. Leur statut de professionnel de santé qui leur confère une importante crédibilité d’une part, et le fait qu’ils soient très suivis sur les réseaux d’autre part, en font des égéries de premier choix pour les annonceurs.

Mutuelle, organismes de santé publique, application de sport, plateformes de téléconsultation, marques de compléments alimentaires, laboratoires pharmaceutiques font partie des différents clients de la Fraich Touch. Ainsi, on peut voir qu’un médecin compte parmi ses collaborations Novo Nordisk, un laboratoire pharmaceutique spécialisé dans le traitement contre le diabète.

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Source : Fraich Touch

Tandis que sur le profil d’une sage-femme, il est affiché Evian, Mont Roucous ou encore la marque de culotte menstruelle Elia qui collabore aussi avec de nombreuses autres influenceuses de l’agence.

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Source : Fraich Touch

Sous chaque post sponsorisé les influenceurs ont une obligation légale, dès les premières lignes : « apposer la mention ‘sponsorisé par’ ou en ‘collaboration avec’ même pour les campagnes d’information et de prévention », précise Stéphanie Laporte. Une mention qui n’apparaît pas toujours ou tardivement, comme sur ce post instagram fait par une docteure en pharmacie pour une marque de complément alimentaire contre la chute de cheveux, et dans lequel il faut dérouler une longue description pour voir qu’il s’agit d’une collaboration.

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Source : Instagram/les.conseils.pharma.de.lea

« La santé n’est pas un commerce »

Un décret datant de décembre 2020 a supprimé une interdiction commune aux professions de santé soumises à un ordre : la prohibition de « tous procédés directs ou indirects de publicité ». Une suppression qui a amplifié le phénomène des influenceurs et influenceuses santé, le cadre législatif étant moins restrictif. 

« Ce décret a été mis en place pour que les praticiens puissent informer les patients de leurs pratiques de soins, pas pour faire de la publicité. Par exemple, je suis sage-femme et je fais de la rééducation périnéale », précise Marianne Benoit Truong Canh, vice-présidente du conseil national de l’ordre des sages-femmes. L’interdiction de pratiques commerciales, elle, reste toujours en vigueur. « On ne peut pas associer un soignant avec une marque commerciale quelle qu’elle soit. Ce n’est pas possible. »

« Ce décret a été mis en place pour que les praticiens puissent informer les patients de leurs pratiques de soins, pas pour faire de la publicité. »

Marianne Benoit Truong Canh, vice-présidente du conseil national de l’ordre des sages-femmes

Pour Geneviève Wagner, présidente de la commission exercice et déontologie du conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes, même son de cloche : « La loi est très claire, le texte a été fait avec tous les ordres de santé et la direction générale de la santé. On ne tergiverse pas avec le code de santé publique (CSP) puisque le code de déontologie fait partie intégrante du CSP. La santé n’est pas un commerce. » Un principe auquel même TikTok, Instagram et Youtube ne sauraient déroger.

Dans un contexte où une information de santé désintéressée est de plus en plus plébiscitée par le grand public, cette réappropriation des réseaux sociaux par des entreprises commerciales et par le biais d’influenceurs posent de sérieuses questions d’indépendance. Une indépendance pourtant indispensable à ce que l’intérêt pour la santé du patient reste au premier plan.

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