Qui aurait pu imaginer que ce qui n’aurait dû être qu’une simple étape préparatoire avant le début des choses sérieuses ne devienne aussi stressant ? Dans la nuit de jeudi 19 au vendredi 20 mai 2022, la capsule Starliner de Boeing va s’élancer, direction la Station Spatiale internationale. Sur le papier, rien de bien spectaculaire, et pourtant Boeing et la Nasa croisent les doigts.
En principe, la mission est assez simple. Starliner doit décoller avec à son bord un simple mannequin baptisé Rosie, et s’amarrer à l’ISS pour y rester quelques jours avant de revenir. Rien de bien différent de ce que font régulièrement les Soyouz russes et les capsules Crew Dragon de SpaceX. Mais cette simplicité apparente ne doit pas cacher la réalité d’une entreprise en difficulté et d’une agence spatiale aux abois.
Des vaisseaux ratés et une Russie désengagée
Du côté de Boeing, pour commencer, tout n’est pas rose. Cette mission-test baptisée OFT-2 avait été précédée d’une OFT-1, fin 2019, qui s’était soldée par un échec retentissant. La capsule n’avait jamais réussi à atteindre la station et avait bien failli exploser au retour. L’enquête qui a suivi a montré d’importantes failles sur la capsule, à la fois sur le matériel et sur les tests réalisés par l’entreprise qui n’étaient pas pertinents. Boeing a dû faire profil bas un moment, mais avait en plus dû subir un retard en août, alors que la capsule prête à être lancée avait dû rentrer au garage au dernier moment pour des réparations. Au final, Boeing a signé un contrat avec un prix fixe d’un peu plus de 5 milliards de dollars, mais a certainement perdu beaucoup d’argent dans l’opération.
Ajoutons à cela les catastrophes des 737 Max, les avions de Boeing interdits de vol après deux accidents mortels fin 2018 et début 2019, qui ont mis l’entreprise à genoux.
La capsule qui est censée amener des astronautes dans l’espace d’ici un an a donc été construite par une entreprise qui a multiplié les échecs et qui n’est pas certaine d’avoir corrigé tous les défauts de son vol précédent.
Mais la Nasa ne peut pas simplement décider de laisser tomber. D’une part, car un contrat ne s’annule pas si simplement, mais aussi et surtout parce que l’agence américaine a vraiment besoin que Starliner fonctionne comme prévu. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a choisi de couper les ponts avec les partenaires occidentaux, y compris pour le domaine spatial. Ce qui veut dire un désengagement progressif de l’ISS, même si la manière d’y arriver n’est pas encore décidée, et une fin des Soyouz pour les missions non russes.
Privée de ces vaisseaux, l’agence n’a plus qu’une seule solution : SpaceX. L’entreprise d’Elon Musk est actuellement la seule à pouvoir fournir les trajets des astronautes entre la Terre et la station. Ce qui pose quelques problèmes. Pour commencer, la flotte est très réduite : à peine quatre vaisseaux Crew Dragon, dont un qui n’est pas encore entièrement construit. En cas de problème quelconque, les rotations d’équipages peuvent prendre un retard certain.
En plus, SpaceX n’est pas Moscou. Les relations avec la Russie ont beau être très tendues actuellement, l’avantage d’avoir à faire affaire avec des États limite le risque de voir une hausse soudaine des prix. Une entreprise privée en situation de monopole n’aura aucune difficulté à fixer ses conditions. La Nasa a donc tout intérêt à avoir plusieurs constructeurs prêts à se relayer. Et ce même si pour l’instant, l’un des deux a l’air bien supérieur à l’autre.
Il faut sauver le soldat Boeing
Cela dit, tout n’est pas si simple. SpaceX a tout du beau gagnant : des vols réussis, déjà sept missions habitées pour les Crew Dragon, des projets de tourisme spatial, etc. Mais Boeing a un héritage et un prestige de marque qui ne sont pas à négliger. « Boeing, c’est le symbole de l’Amérique triomphante, assure Xavier Pasco, spécialiste du spatial américain. Si Boeing va mal, en termes d’image ce sont les États-Unis qui vont mal aussi. »
Au Congrès américain, les élus sont très attachés en majorité au spatial à l’ancienne. Celui porté par les grandes compagnies industrielles, comme Boeing qui accompagne la Nasa depuis le début du programme spatial américain. A contrario, les nouveaux venus comme SpaceX qui proposent pourtant des produits souvent moins chers sont assez mal vus par les défenseurs des constructeurs d’hier. Elon Musk lui-même, avec ses déclarations provocatrices, n’est pas toujours en odeur de sainteté.
Pour l’ancien astronaute Charlie Bolden, cette différence de traitement a des conséquences concrètes. Il a déclaré lors d’une réunion publique : « Personne n’aime SpaceX ! S’il n’y avait pas eu Boeing, le programme commercial habité n’aurait été nulle part. L’attitude des membres du Congrès a changé quand Boeing est entré dans la compétition, ils ont bien voulu financer le programme. » Un choix qui s’explique assez facilement pour Xavier Pasco : « SpaceX est très verticalisé. Ils font tout en interne depuis la Californie. Au contraire, Boeing a tendance à impliquer des sous-traitants dans plusieurs États, ce qui a d’importantes retombées économiques. Les élus locaux ne peuvent pas se permettre de refuser un financement qui va créer de l’emploi chez eux. »
La Nasa a donc tout intérêt à voir Boeing rester dans la course si elle veut garder les bonnes grâces des élus. Mais même si le vol de cette nuit est un succès, ce n’est pas la fin des ennuis. Boeing a tout de même bien dû puiser dans ses réserves pour mener ce programme à bien et n’en verra pas les bénéfices avant un petit moment. Il faudra attendre au moins un an pour voir des astronautes à bord de Starliner. En cas d’échec, les conséquences seraient désastreuses. « Ce serait un énorme coup dur pour Boeing et pour les États-Unis en général, prédit Xavier Pasco. Cela confirmerait l’image d’une compagnie en difficulté qui multiplie les échecs. Et les États-Unis y perdraient du prestige. » Autant dire que cette nuit s’annonce d’être tendue à Cap Canaveral.
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