Commençons par faire les présentations. Ce trou noir supermassif, dont nous possédons enfin une image, s’appelle SgrA*. Ce nom lui a été donné parce qu’il se trouve dans la constellation du Sagittaire (d’où « Sgr »), dans un endroit émettant beaucoup d’ondes radio (appelé « A ») et que dans cette zone, on voit ce trou noir comme un point émettant encore plus de rayonnement que le reste (d’où l’étoile * qui signifie « source ponctuelle »).
La fabrication de l’image, désormais célèbre, de SgrA* a demandé des moyens colossaux. Cet astre énorme est si loin de nous (26 000 années-lumière environ), qu’il a fallu construire un réseau de radiotélescopes, répartis sur toute la planète (en Europe, au Groenland, en Amérique du Nord et du Sud, dans le Pacifique et en Antarctique) pour reconstruire, à partir de tous les signaux captés, cette image qui, aussi floue qu’elle paraisse, est aujourd’hui la plus précise et la plus fine jamais obtenue.
Même si le concept de trou noir a maintes fois été abordé auprès du grand public, tant dans la pop-culture que par vos vulgarisateurs et vulgarisatrices scientifiques préférées, cet objet astronomique défie tellement notre vision du monde qu’il crée souvent des idées fausses, dont une en particulier.
Les étoiles orbitent-elles vraiment autour du trou noir ?
Lorsqu’on parle des trous noirs supermassifs, dont quasiment chaque galaxie possède un exemplaire en son cœur, il est courant d’entendre que les étoiles qui composent ces galaxies orbite autour d’eux. Ce serait, en quelque sorte, grâce à ce trou noir que la galaxie qui l’entoure tient ensemble. Mais est-ce bien vrai ?
Prenons l’exemple de notre Galaxie, la Voie Lactée. Elle tourne effectivement sur elle-même et toutes les étoiles qu’elle contient font 1 tour en 250 millions d’années environ. Ce que l’on sait aussi, c’est que SgrA* a une masse d’environ 4 millions de fois la masse du Soleil. Cela le classe néanmoins dans la catégorie des « petits » trous noirs supermassifs. À titre de comparaison, le trou noir au centre de la galaxie M87, dont nous avons eu la première image en 2019, possède, lui, une masse de plus de 6 milliards de masses solaires.
Or, dans l’Univers, la gravité a tendance à faire tourner les objets les moins massifs autour des objets les plus massifs (la Lune autour de la Terre, la Terre autour du Soleil, le Soleil dans la Galaxie, etc…). On en vient assez naturellement à supposer que si toutes les étoiles de notre Galaxie tournent, c’est grâce à la gravité de notre trou noir supermassif qui attire toutes ces étoiles et maintient l’intégrité de la Voie Lactée (un peu comme le Soleil avec les planètes du Système solaire). Mais cette idée est fausse.
La différence entre tourner et orbiter est très importante
Pour expliquer pourquoi, il faut tout d’abord différentier deux expression qui semblent presque synonymes, mais très différentes en réalité.
- « Orbiter autour » signifie se déplacer autour d’un objet dont l’attraction gravitationnelle vous maintient autour de lui. Il y a une cause, un lien physique, entre l’objet central et l’objet qui orbite autour. Ce lien, c’est la force de gravité.
- À l’inverse, on peut tout à fait « tourner autour » de quelque chose, sans que la gravité ne nous lie à lui. Si je décide, par exemple, de courir autour d’un arbre, je lui « tourne autour ». Mais je ne suis pas lié physiquement à cette arbre. Je ne lui « orbite » pas autour, au sens où ce n’est pas l’arbre qui me maintient autour de lui. Si l’arbre disparaissait à l’instant, je pourrais quand même continuer à tourner en rond à ma guise, ça ne changerait absolument rien.
Cette distinction est très importante.
La fausse idée selon laquelle les étoiles de la Voie Lactée orbitent autour de son trou noir central est peut-être renforcée par le fait que c’est un trou noir dit « supermassif ». Lorsqu’on parle de sa masse, les chiffres sont ahurissants. Des millions de fois celle du Soleil ! Il est tentant alors de supposer qu’un objet aussi gros et massif ne peut avoir qu’une grande influence sur les choses qui l’environnent dans l’Univers.
Et il existe, en effet, quelques rares étoiles réellement « en orbite autour » de SgrA*. Ce sont des soleils capturés par la gravité du trou noir et dont la trajectoire les approchent plus ou moins de lui, en fonction de l’endroit où elles sont sur leur orbite.
Vous pouvez voir ci-dessous ce timelapse, résultat de 18 ans d’observation du voisinage de SgrA*, autour duquel vous pouvez voir ces fameuses étoiles orbiter autour de lui sous l’effet de sa gravité.
Une petite quinzaine d’étoiles sont donc en orbite autour de lui, mais pas plus. La raison est que la masse de SgrA*, aussi grande soit-elle par rapport à nous (ou au Système solaire), reste ridiculement faible par rapport à un objet aussi gros que notre Galaxie tout entière, qui s’étend tout de même sur 100 000 années-lumière et contient plusieurs centaines de milliards d’étoiles.
Pourquoi si peu d’étoiles gravitent-elles autour d’un trou noir ?
S’il n’y a pas plus d’étoiles en orbite autour du trou noir, c’est à cause des propriétés de la gravité. En effet, ce que l’on sait depuis plusieurs siècles, c’est qu’elle décroît comme l’inverse du carré de la distance. Cela signifie que si vous êtes 3 fois plus loin, la gravité ressentie sera 3²=9 fois plus faible. Si vous êtes 10 fois plus loin, elle sera 10² = 100 fois plus faible. Si vous êtes 100 fois plus loin, elle sera 100² = 10 000 fois plus faible.
Autrement dit, quand bien même sa masse serait grande, la gravité du trou noir devient rapidement si faible qu’elle n’est plus du tout en mesure de maintenir d’autre corps autour d’elle. En ce qui concerne SgrA*, au-delà d’une distance de quelques années-lumière, son effet devient progressivement si faible qu’on peut rapidement le considérer comme négligeable. Au bout de quelques années-lumière, on ne ressent déjà presque plus son attraction.
Mais notre Galaxie, elle, est bien plus grande. Nous l’avons dit plus haut : de l’ordre de 100 000 années-lumière de diamètre. Notre trou noir supermassif central ne peut étendre son emprise jusqu’à l’autre bout de notre Galaxie. Il n’est pas responsable du mouvement de rotation des étoiles qui composent la Voie Lactée.
On pourrait résumer tout ceci en disant que les étoiles de la Voie Lactée tournent bien autour de SgrA*, mais qu’elles n’orbitent pas autour de lui. En fait, s’il n’était pas là, elles continueraient quand même à tourner ensemble autour du centre de notre Galaxie sans que ça ne change grand-chose.
Mais alors, si les étoiles de la Voie Lactée ne sont pas influencées par la gravité du trou noir supermassif central, pourquoi tournent-elles ? Quelle force les lie ensemble ? Cette force, c’est toujours la gravité. Mais la gravité cumulée de l’ensemble des 250 milliards d’étoiles de notre Galaxie. Cette masse globale est bien plus grande que celle de SgrA*. C’est elle qui génère l’énorme puits de potentiel gravitationnel dans lequel sont piégées (et tournent) toutes ces étoiles.
En conclusion, dire que les étoiles de notre Galaxie « orbitent autour » du trou noir central est très trompeur, parce que cela impliquerait que la gravité de ce trou noir les maintienne autour de lui. Ce qui, nous l’avons vu, est loin d’être vrai.
Ce qui maintient ensemble la Voie Lactée, c’est la masse de ses étoiles, mais aussi de toutes planètes qui orbitent autour d’elles, des astéroïdes, du gaz, de la poussière et de toute la matière qu’elle contient. Et pour que les comptes soient justes, il faut aussi rajouter quelque chose de 10 fois plus lourd que toute la matière visible de notre Galaxie, dont la masse est bien plus élevée que tout ce que l’on voit, mais dont les scientifiques essayent encore aujourd’hui de percer les secrets : la matière noire.
Mais ça, ce sera une autre histoire…
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