Pourquoi pleurons-nous quand nous sommes tristes ? Et, pourquoi versons-nous des larmes lorsque nous pleurons ? Nous avons fait appel à l’éclairage du psychologue et chercheur Ad Vingerhoets de l’Université de Tilburg aux Pays-Bas. Dans cet article, nous passons en revue l’aspect anatomique, évolutionnel et sociétal des pleurs.

Des larmes, nous en avons toutes et tous déjà versées. De tristesse, de douleur, de joie… mais pourquoi pleurons-nous lors d’un moment d’émotion ? Pourquoi un liquide salé coule-t-il sur nos joues ? Ad Vingerhoets, ancien psychologue de l’Université de Tilburg aux Pays-Bas, a passé une grande partie de sa carrière à mener des études sur cette question. Il nous a aidé à comprendre ce phénomène si commun et pourtant, si peu investigué.

Quels sont les différents types de larmes ?

Nous produisons 3 types de larmes :

  • Des larmes basales : elles lubrifient notre œil au quotidien ;
  • Des larmes réflexes : elles sont sécrétées lorsque l’œil est irrité par des corps étrangers comme de la poussière ;
  • Des larmes émotionnelles : elles sont déversées pour exprimer une émotion. D’après les scientifiques, les humains sont la seule espèce qui verse des larmes uniquement dans le but d’exprimer une émotion.

Pourquoi pleure-t-on ? Les bases biologiques

Au niveau cérébral, à une échelle purement anatomique, les circuits et structures impliquées ne sont pas bien connues. En effet, il n’y pas encore eu d’études menées avec de l’imagerie cérébrale — comme une IRM — sur les humains, pour rendre compte de ce qu’il se passe dans le cerveau lorsqu’ils pleurent. « D’une certaine manière, c’est assez remarquable que jusqu’à maintenant il n’y ait pas eu d’étude dans laquelle les scientifiques ont, par exemple, utilisé l’IRM pour mesurer ce qui se passe dans le cerveau lorsque que quelqu’un commence à pleurer. Donc nous avons des informations mais elles viennent des expériences sur les animaux », commente Ad Vingerhoets.

« Une fois devenus adultes, les pleurs sont principalement limités aux larmes. »

Ces expériences consistaient à retirer des bébés mammifères de leur maman. Ils produisaient alors non pas des larmes, mais ce qu’Ad Vingerhoets décrit plutôt comme des vocalisations de détresses, une composante vocale donc, qui s’apparente à celle que les humains émettent lorsqu’ils, eux aussi, pleurent : « Cette composante vocale semble perdre de son importance lorsqu’on vieillit. En tant que nourrisson, nous pleurons aussi beaucoup vocalement, mais une fois devenus adultes, les pleurs sont principalement limités aux larmes, ce qui rend le fonctionnement des choses un peu complexe. »

En termes de structures cérébrales impliquées dans la production de larmes, le psychologue précise : « Il y a au moins quelques structures cérébrales souvent mentionnées : le gyrus angulaire, la substance grise périacqueducale et le cervelet. »

Une voie neuronale est un ensemble de neurone qui connecte différentes parties du système nerveux entre elles. Il existe deux voies neuronales qui entrent en jeu lorsque quelqu’un se met à pleurer :

  • La première de ces voies, sur laquelle nous avons plus de contrôle, est celle régulant les expressions faciales.
  • La deuxième concerne l’aspect purement émotionnel des pleurs. Malheureusement, les humains n’ont que peu de de contrôle dessus.
Schéma anatomique de l'innervation neuronale de la glande lacrymale et des structures neurobiologiques impliquées dans les pleurs émotionnels vocaux. // Source : The neurobiology of crying : Lauren M. Bylsma, Asmir Gračanin, Ad J. J. M. Vingerhoets
Schéma anatomique de l’innervation neuronale de la glande lacrymale et des structures neurobiologiques impliquées dans les pleurs émotionnels vocaux. // Source : Capure d’écran, étude « The neurobiology of crying » : Lauren M. Bylsma, Asmir Gračanin, Ad J. J. M. Vingerhoets

Alors, comment en arrive-t-on concrètement à produire des larmes ? Les larmes sont produites via la glande lacrymale, située dans le coin supérieur externe de l’œil. Celle-ci est innervée par un noyau cérébral (un regroupement de cellules nerveuses dans le cerveau) qui, lui-même, est stimulé par 2 voies différentes :

  • La première vient des yeux directement et sert à produire les larmes réflexes pour être protégé des agressions.
  • La deuxième voie d’innervation provient du cerveau et précisément du cerveau limbique, c’est-à-dire le cerveau émotionnel. C’est donc cette voie qui activera la production de larmes émotionnelles.

Au niveau purement chimique, différents neurotransmetteurs vont influencer le fait de pleurer. L’un d’eux est la sérotonine, un neurotransmetteur impliqué dans la régulation de l’humeur. Elle participe à nous rendre heureux. Certains anti-dépresseurs jouent sur la sérotonine en permettant d’augmenter sa quantité dans le cerveau. Cependant, il faut une certaine dose de médicament pour arriver à ce que suffisamment de sérotonine persiste dans le cerveau et qu’il y ait un effet sur l’humeur. Si la dose de médicament est trop petite, elle n’aura pas d’influence sur l’humeur.

Ad Vingerhoets nous explique : « Ce que l’on sait, c’est que de toutes petites doses de ces antidépresseurs [jouant sur la sérotonine] empêchent les pleurs. Ce sont vraiment de toutes petites doses qui ne sont pas suffisamment importantes pour avoir un impact sur notre humeur. Mais, en augmentant légèrement notre niveau de sérotonine, cela influence quand même spécifiquement le circuit cérébral impliqué dans les pleurs. » Il existe deux autres neurotransmetteurs qui entraine la production de larmes, mais dont les rôles exacts sont moins bien connus : l’acétylcholine et l’ocytocine.

Quelles sont les origines des pleurs ?

Comment nous sommes-nous mis à pleurer ? Comment est-ce que les pleurs ont fini par s’inscrire dans nos comportements ? Pleurer a forcément dû avoir un avantage à un moment donné dans l’évolution… La théorie des chercheurs veut que les larmes soient plus discrètes que les cris pour attirer l’attention et demander de l’aide.

En effet, les vocalisations peuvent aussi attirer l’attention d’un prédateur alors que les larmes, discrètes et inaudibles, ne sont repérées que par les personnes proches visuellement de celui qui les émet. D’ailleurs, les scientifiques notent qu’à partir du moment où les humains sont capables de bouger et de se déplacer par eux-mêmes, les vocalisations diminuent significativement.

Les larmes évoluent aussi entre l’âge enfant et l’âge adulte. Enfants, les larmes sortent souvent suite à une douleur physique. Adulte, en revanche, les larmes sont, certes, exprimées en situations douloureuses, mais aussi en situation d’empathie avec les autres et dans des situations positives, comme face à un beau paysage, une musique qui nous touche.

Les pleurs comme mécanisme de régulation émotionnelle

Il existe une croyance populaire qui veut que pleurer soit cathartique. Alors, mythe ou réalité ?

Ad Vingerhoets a voulu en avoir le cœur net. En 2008, il a co-dirigé une étude portant sur à peu près 5000 personnes situées dans 35 pays différents dans laquelle il demandait aux participants la dernière situation où ils avaient pleuré et s’ils s’étaient sentis mieux par après. Les résultats sont mitigés : 50 % des participants affirmaient se sentir mieux après l’épisode de pleurs, 40 % ne voyaient pas de différence et enfin, 10 % se sentaient moins bien.

Ad Vingerhoets nous indique qu’il y a trois facteurs importants qui vont influencer cet effet « cathartique » des pleurs :

  • D’abord, l’état mental de base de la personne. Des personnes en dépression ou en burnout vont plus souvent pleurer sans pour autant se sentir mieux par après.
  • Ensuite, il y a la nature de l’incident qui a conduit à pleurer. Dans des situations dites « contrôlables » qui peuvent arriver à une résolution, comme une dispute, pleurer peut en effet soulager la personne.
  • En revanche, dans une situation sur laquelle la personne n’a aucun contrôle, comme suite au décès d’un proche, l’effet de soulagement n’est que peu présent.
individus qui pleure // Source : Mdnirob121/Pixabay
Nos larmes viennent aussi de notre cerveau. // Source : Mdnirob121/Pixabay

Enfin, la réaction des autres face aux larmes versées joue un rôle sur notre sentiment d’apaisement. En effet, une réaction de compassion et de compréhension face à nos pleurs nous aidera à nous sentir mieux, tandis qu’une réaction insensible, ou humiliante, aura un effet négatif sur l’humeur. D’ailleurs, Ad Vingerhoets souligne que l’étude mentionnée plus haut a démontré que les participants pleuraient le plus souvent entre 18h et 22h lorsqu’ils sont seuls à la maison ou entourés de personnes pouvant leur apporter du soutien émotionnel.

Les larmes jouent donc un grand rôle dans le renforcement des liens sociaux et la communication des émotions. « Finalement, la raison d’être des pleurs n’est pas tant la catharsis mais plutôt la recherche d’un support émotionnel chez les autres », explique Ad Vingerhoets, avant de poursuivre : « Les nourrissons ne se disent pas qu’ils vont se sentir mieux après avoir pleuré. Lorsqu’on voit un bébé pleurer, on se dit qu’il a besoin de notre attention. Les nourrissons humains sont les créatures les plus impuissantes qui existent depuis longtemps ».

Le chercheur conclut finalement : « Pleurer est donc extrêmement important pour le soutien dont les nourrissons ont besoin et, en ce sens, ça n’est pas très différent pour les adultes. » Comme quoi, au fond, les adultes ne sont que des enfants qui ont grandi.

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