L’IPTV est en plein essor en France et pour cause : il s’agit d’une technologie qui permet de regarder à moindre frais, mais illégalement, des compétitions sportives devenues chères à regarder.
Mais est-ce que l’IPTV n’est que cela ? Et qu’est-ce qui se cache derrière ces quatre lettres ? Comment les pirates font pour accéder à des programmes sans payer et comment les autorités chassent les pirates, ainsi que les fournisseurs de ces solutions ? Enfin, quels sont les risques de regarder ses matchs via un service d’IPTV illégal ?
Ça veut dire quoi IPTV ?
IPTV vient tout simplement de l’anglais « Internet Protocol Television », ou la télévision diffusée par Internet. Cela désigne en somme le flux vidéo qui se transmet par Internet, au lieu d’employer une antenne satellite, par exemple. IP est un acronyme qui désigne le protocole Internet, qui est fondamental sur le réseau. Quand on parle d’adresse IP, on parle de ça.
En tant que tel, l’IPTV n’est pas illicite. Il existe des usages liés à l’IPTV qui sont tout à fait légales. C’est le cas si vous regardez un film ou une série TV qui vient d’un service de vidéo à la demande (SVOD), et pour lequel vous payez bien un abonnement. Même chose si vous regardez la TV via Molotov ou un service de replay ou de direct fourni par une chaîne.
La réception par Internet (IPTV) est même le premier mode d’accès à la télévision (à 69,1% en 2023 selon l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel), devant la TNT (télévision numérique terrestre) qui est en baisse. De plus en plus de personnes regardent la télé depuis une box TV ou un décodeur et certaines box sont meilleures que les autres.
Cela concerne toutes les applications des opérateurs : SFR TV, OQEE by Free, B.tv ou encore Orange TV, mais aussi les plateformes de streaming : Netflix, Prime Video, Disney+, etc.
Sur Google, la recherche « IPTV » n’a jamais été aussi forte que cette année (si l’on en croit Google Trends). Néanmoins, l’intention derrière doit être lue avec prudence. Les internautes ne tapent pas IPTV en pensant forcément à la TV ou Netflix. C’est plutôt pour voir illégalement des œuvres piratées et surtout des compétitions sportives.
IPTV illégale : comment ça fonctionne
Le principe de l’IPTV n’est pas illégal en soi, mais certains usages peuvent l’être. En l’espèce, c’est de des contenus pour lesquels les droits de diffusion ne sont pas considérés. Le fait est que des applications Android, décodeurs TV et services proposent de l’IPTV afin de regarder des vidéos (films, séries, matchs de sport) de manière détournée.
L’IPTV illégale concerne en très grande majorité le « piratage sportif », à savoir la retransmission pirate de compétitions sportives — cela, même s’il y a un paiement à la clé. Ligue 1, Formule 1, boxe : tout y passe. C’est d’autant plus fort dans le football avec l’arrivée de DAZN en France et de son offre qui ne convainc pas les fans du ballon rond.
L’explosion des utilisateurs en France
Les droits télévisés du championnat français sont très compliqués depuis quelques années, d’autant plus qu’ils sont fragmentés en plusieurs acteurs. Le nouveau diffuseur DAZN n’est pas pour arranger les choses, avec son abonnement à 39,99 euros par mois (depuis passé à 19,99 euros par mois). De quoi encourager les amateurs de la Ligue 1 à se tourner vers des solutions illégales. Comme l’a rapporté France Info, selon l’Arcom, « quelque 800 000 personnes utilisent chaque mois ces systèmes frauduleux ». Le tout pour des tarifs très bas par rapport aux offres légales : entre 30 et 100 euros par an. Pour la Ligue des Champions, c’est vers Canal+ qu’il faut se tourner, avec un abonnement à 29,99 euros par mois pour voir tous les matchs.
Selon un sondage Odoxa, 2,5 millions de Français suivraient le football illégalement, soit 5 % de la population. En outre, signe de l’acceptation sociale de la pratique, 6 Français sur 10 comprendraient ce choix. En fait, le montant qu’ils sont prêts à payer en moyenne est de 23 euros par mois, ce qui est bien en deçà des tarifs de DAZN.
Pour 65 % des sondés d’ailleurs, les offres du diffuseur incitent à suivre illégalement le championnat français. Par ailleurs, les programmes autour de la compétition sont critiqués, considérés comme trop pauvres, par rapport au prix de l’abonnement entre autres. Même le président de l’Arcom le reconnaît dans Le Figaro : « Quand il y a une offre à un prix équilibré et raisonnable pour le consommateur, le piratage, j’allais dire, disparaît. […] Lorsque l’on est sur des prix exorbitants, c’est sûr qu’on alimente le piratage. »
Quoiqu’il en soit, cela représenterait un manque à gagner d’environ 500 millions d’euros pour les chaînes qui possèdent les droits sportifs pour les compétitions.
Le jeu du chat et de la souris entre l’Arcom et les sites pirates
Le régulateur de l’audiovisuel s’adapte bien sûr à ces nouvelles manières de pirater des compétitions sportives, avec comme stratégiede faire bloquer par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) les noms de domaine litigieux au fur et à mesure qu’ils apparaissent et sont repérés, le plus vite possible.
Si, le piratage est globalement en baisse en France, le piratage par IPTV de compétitions sportives suit une pente singulière : la pratique est en très forte hausse.
Entre 2022 et 2023, l’Arcom a fait bloquer des centaines de sites (et cela se poursuit chaque année, avec des dizaines d’adresses qui sont prises pour cible). Reste que cela est insuffisant malgré des actions de plus en plus massives. Une large partie des blocages concerne le football et les sports automobiles. Les blocages sont effectifs en six jours ouvrés en moyenne.
Reste que l’Arcom s’organise, et deviendrait presque malicieuse avec ceux qui veulent outrepasser la légalité. Challenges a pu suivre le week-end du classico OM-PSG du 27 octobre.
Si en général l’autorité ne bloque pas le week-end, elle s’est décidée à le faire pour ce qui est peut-être le match le plus attendu de l’année. 30 minutes avant le coup d’envoi, elle a bloqué 255 services d’IPTV ; « Si on bloque trop tôt, cela aurait permis le renouvellement des noms de domaine. Si proche du coup d’envoi, ils n’ont pas le temps de se retourner », précise un salarié de l’autorité.
De quoi donner des sueurs froides, tant aux fans du PSG que de l’OM qui espéraient gruger. Ce qui est sûr, c’est que ça a énervé les supporters sur les réseaux sociaux, qui s’en sont donnés à cœur joie pour critiquer les services IPTV notamment.
Ce sont les diffuseurs sportifs qui signalent les sites illégaux à l’Arcom via un système baptisé DAD (pour « Dispositif – Actualisation – Décision ». Pour identifier les flux concernés, DAZN a même trouvé une solution : afficher un code pour chaque abonné payant sur l’écran, ce qui fait que celles et ceux qui utilisent un service IPTV et, donc, profitent d’un même flux, voient le même code.
Cela donne un outil à DAZN pour remonter au pirate originel qui rediffuse ses programmes. Pas de quoi couper le flux en direct d’un abonné cependant : ce « watermarking » permet uniquement de récupérer des preuves. Mis à part cela, les diffuseurs cherchent sur Internet à la recherche de services IPTV qui rediffusent illégalement leurs matchs chèrement achetés.
Les employés de l’Arcom se connectent à ces services pour vérifier s’ils sont licites ou non. Lorsque l’infraction est caractérisée, un agent dresse un procès-verbal de constatation d’infraction. Juste après, des juristes qui s’assurent de la bonne conformité du procès-verbal : dans 95 % des cas, ils sont validés. Puis, les demandes de blocages sont transmises aux FAI pour bloquer les noms de domaine pirates. L’Arcom ne met plus « que » 15 minutes à bloquer un service d’IPTV. En 2023, « 27 % des consommateurs illicites de sport ont été confrontés à un blocage, dont 21 % plusieurs fois », toujours selon les chiffres de l’autorité.
Les FAI concernés sont les plus connus : Orange, Bouygues Télécom, SFR, SFR Fibre, Free et Free Mobile, mais il y a aussi tous ceux d’outre-mer : Free Caraïbe, SPM télécom, OMT, SRR, an’l, Micrologic systems, Nautile, OPT-NC, Offratel, Onati, Pacific mobile télécom, Télénet, Viti, Canal + télécom, Dauphin télécom, Digicel Antilles françaises Guyane, Globaltel, Parabole Réunion, Telco Oi, United telecommunication services Caraïbe, Zeop et Zeop mobile.
Après les blocages : la saisie des serveurs
Si l’Arcom ne peut que faire bloquer des noms de domaine, Europol peut aller plus loin en saisissant des serveurs. C’est ce qui était arrivé en septembre 2019 : les polices européennes avaient réussi à neutraliser un vaste réseau d’IPTV.
Le coupable : Xstream Codes, qui agissait depuis 2015 et avait plusieurs millions de clients. L’agence de coordination des polices, Eurojust, avait précisé que « plusieurs stations de retransmission ont été mises en place grâce à des serveurs spéciaux qui désactivaient le cryptage des programmes originaux et généraient un signal IPTV illégal ».
Les stratégies des utilisateurs pour contourner les blocages
Pour contourner ces blocages, les méthodes des téléspectateurs se diversifient : ils peuvent recourir à un VPN pour simuler une connexion depuis une autre machine placée à l’étranger (là où les noms de domaine ne sont pas bloqués). Une méthode tout à fait légale et avec laquelle il est très difficile pour les autorités de remonter la trace de l’internaute originel.
Il y a aussi la possibilité de modifier ses DNS, en utilisant des DNS alternatifs pour contourner les blocages de noms de domaine mis en place par les FAI.
Qui vend les accès aux IPTV ?
En 2021, nous avions interrogé un receleur d’accès à des chaînes françaises et étrangères en direct, en particulier de compétitions sportives. Le tout à un prix défiant toute concurrence légale. Un homme qui faisait principalement de l’achat-revente de codes d’accès à rentrer dans un boîtier, une TV connectée ou un smartphone. Le tout par abonnement au mois ou à l’année.
Pour faire leur publicité, les services pirates utilisent des réseaux de plus en plus fermés et alternatifs. C’est le cas à cause du déréférencement qu’ils subissent : Google et autres moteurs de recherche peuvent ne plus les afficher dans les résultats de recherche. C’est pourquoi la publicité passe par Twitch, X (ex-Twitter) ou encore Telegram.
Utiliser une IPTV : quels sont les risques ?
Pour les vendeurs de boîtiers, comme l’écrit le cabinet Haas Avocats, il peut s’agir d’une violation des droits d’auteur. Un délit de contrefaçon qui peut être puni au maximum de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Un délit validé par une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Même chose pour le fournisseur qui ne recueille pas les autorisations nécessaires.
En théorie, vous pouvez risquer gros si vous utilisez un service d’IPTV illégal pour regarder un match de football sans passer par le diffuseur officiel. En fait, votre adresse IP peut être identifiée si vous n’utilisez pas de VPN. De quoi remonter jusqu’à vous et vous poursuivre pour recel de contrefaçon, qui est défini comme « le fait de bénéficier, en connaissance de cause et par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit », c’est l’article 321-1 du Code pénal. La peine maximale pour recel de contrefaçon est de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
En 2023, 232 sanctions pénales ont été prononcées contre des utilisateurs de services illégaux (pas uniquement de l’IPTV), pour des amendes d’un montant entre 90 et 1 000 euros. L’Arcom a aussi compté 217 mesures alternatives (dont 121 rappels à la loi) et 388 classements sans suite. Au total, ce sont 838 poursuites judiciaires qui avaient été engagées cette année. Avant d’engager une procédure pénale toutefois, l’Arcom envoie, comme elle le faisait lorsqu’elle s’appelait Hadopi, des avertissements. Il y a à chaque fois :
- Un premier avertissement par mail dans les deux mois (137 578 en 2023) ;
- Un second avertissement par mail et lettre avec accusé de réception dans les six mois (32 894 en 2023) ;
- Un constat de négligence caractérisée par mail et lettre avec accusé de réception dans les douze mois (3 844 en 2023) ;
- Décision de transmission (1 526 en 2023).
Un système qui semble porter ses fruits : selon les agents, « à chaque étape de la procédure, 75% des abonnés ne réitèrent pas ». Dans les faits, les condamnations sont peu sévères, mais les alertes suffisamment dissuasives a priori (un abonné qui a soi-disant arrêté n’a peut-être tout simplement pas été repéré à nouveau en train d’enfreindre la loi).
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