La matière noire est encore aujourd’hui une hypothèse et, pourtant, son rôle est considéré comme fondamental en astrophysique pour la formation et l’évolution des grandes structures de l’Univers. S’il est impossible d’affirmer qu’elle existe, on postule pour autant qu’elle existe. Ce paradoxe peut être difficile à comprendre.
À l’aide d’un physicien des particules, Raphaël Granier de Cassagnac, et de Mariangela Settimo, également physicienne des particules, on éclaircit pour vous les bases de la matière noire autour de 5 grandes questions simples.
Qu’est-ce que la matière noire ?
La matière noire est aussi appelée matière sombre. De manière bien moins fréquente, elle est parfois renommée « matière transparente ». Mais c’est cette dernière expression, la moins utilisée, qui correspond le plus à la réalité scientifique, car la matière noire s’appelle ainsi tout simplement parce qu’on ne la voit pas.
« Elle a été découverte en 1933, en comptant les étoiles (lumineuses) dans des galaxies et en se rendant compte qu’elles n’étaient pas suffisamment nombreuses pour engendrer leur propre rotation, explique Raphaël Granier de Cassagnac. Il y a donc de la masse invisible, de la ‘matière noire’ qui engendre un surplus de champ gravitationnel qui fait tourner les galaxies. »
La matière noire existe-t-elle ?
La matière noire reste l’objet de débats houleux dans la communauté scientifique. Son existence n’a pas été prouvée par l’observation directe, il s’agit plutôt d’une déduction mathématique : aux éléments inexplicables dans la façon dont se comporte la matière visible, les astrophysiciens estiment qu’une matière invisible doit agir. Les indices sont présents « à toutes les grandes échelles : galaxies, amas de galaxies, jusqu’à l’univers dans son intégralité puisque la matière noire est indispensable pour expliquer les observations dans le cadre du modèle du big-bang », indique Raphaël Granier de Cassagnac.
L’astronome Fritz Zwicky est le premier à avoir envisagé la matière noire, et c’était d’ores et déjà, en 1933, une tentative pour comprendre les comportements inexplicables d’objets cosmiques. En observant l’amas de galaxie « de la Chevelure de Bérénice », il se rend compte que le total de la masse gravitationnelle des galaxies était bien plus importante que celle observable via la luminosité. Il en conclut qu’il y a nécessairement une matière invisible exerçant une attraction gravitationnelle suffisamment massive pour maintenir les galaxies proches entre elles car, sans cela, elles seraient éjectées.
Si les calculs mathématiques de Zwicky étaient faux en soi, il avait bien raison sur le fond. Le concept de matière noire émergera de manière plus solide, dans les années 1970, notamment avec les travaux de l’astronome Vera Rubin. Aujourd’hui, on considère même que la matière invisible constitue la majorité de l’Univers : « Il y aurait cinq fois plus de matière sombre que de matière ordinaire », précise la physicienne des particules Mariangela Settimo. La matière ordinaire, ou baryonique, correspond à toute la matière « constituée de particules telles que les protons, neutrons, électrons, etc. », donc toutes les particules bien connues et observables.
« Néanmoins, il subsistera un doute sur son existence, tant qu’on ne l’aura pas détectée, temporise Raphaël Granier de Cassagnac. Ce doute grandit peut-être aujourd’hui, alors qu’on la cherche depuis si longtemps et qu’on ne l’a toujours pas trouvée. » Le physicien relève qu’il existe des théories alternatives : l’antigravité ou l’invariance d’échelle du vide, par exemple, mais ces idées s’avèrent « aussi hypothétiques que l’existence de la matière noire, et elles peinent à régler tous les problèmes que cette dernière solutionne ».
De quoi serait constituée la matière noire ?
Si elle existe, la matière noire ne peut pas être constituée des mêmes éléments que la matière baryonique (connue), elle est donc nécessairement faite de matière non-baryonique. La théorie la plus admise, comme nous le précise Raphaël Granier de Cassagnac, est que la matière noire se compose de particules élémentaires. Qui plus est, elles doivent « nécessairement interagir très faiblement [avec la matière baryonique], sans quoi nous les aurions déjà détectées ».
Même si on ne sait encore rien de leur nature, les particules élémentaires composant théoriquement la matière noire sont appelées WIMP, pour Weakly Interacting Massive Particles (particules massives à faible interaction). Cette hypothèse est majoritairement accréditée, car la plus simple, mais elle n’a « malheureusement pas encore trouvé un résultat positif, relève la physicienne Mariangela Settimo, donc on commence à regarder vers d’autres candidats ». Des particules sont par exemple envisagées dans un « secteur caché » : elles n’auraient ainsi aucune interaction avec les autres particules.
Puisque nous ne savons rien sur la nature ou même de l’origine de ces éventuelles particules, les candidats potentiels sont nombreux et parfois très spéculatifs. Raphaël Granier de Cassagnac en cite quelques-uns : « neutrinos (autres que ceux qu’on connait), axions, partenaires supersymétriques, monopoles magnétiques, pépites de quarks », voire des particules cachées dans d’autres dimensions.
Comment étudie-t-on une matière invisible comme la matière noire ?
La matière noire peut être étudiée de plusieurs façons. La première est simplement dans la continuité de ce qui a fait émergé la théorie : la compréhension de son influence gravitationnelle dans l’Univers. Ici, ce sont surtout les satellites qui interviennent, et la communauté scientifique mise sur un en particulier : Euclid. Ce télescope spatial de l’Agence spatiale européenne est programmé pour 2022 et doit étudier le mécanisme d’expansion de l’Univers depuis les origines. Ce faisant, il va aussi sonder la répartition des galaxies… et de la matière noire qui contribue à leur évolution.
Raphaël Granier de Cassagnac relève un deuxième axe : chercher à détecter « l’interaction (très peu probable) d’une des très nombreuses particules de matière noire qui passeraient par là ». Le détecteur XENON1T a par exemple été construit dans cette optique : trouver une particule de matière noire au moment où celle-ci entrerait en collision avec une particule baryonique. Mais XENON1T a beau être le détecteur le plus sensible du monde, ses résultats sont négatifs, aucune détection de la sorte n’a eu lieu.
Le troisième axe de recherche consiste à essayer de créer directement des particules de matière noire, grâce à un accélérateur de particules, dont le plus puissant est le LHC (Grand collisionneur de hadrons) basé en Suisse. Mais cette stratégie n’a débouché sur aucune découverte, elle non plus.
Face à ce qui est de plus en plus perçu comme une impasse, des techniques originales sont proposées par des équipes de chercheurs. Par exemple, en 2018, une étude évoquait la possibilité d’utiliser des minéraux enfouis comme détecteurs naturels : des « paléodétecteurs » pourraient traquer les traces de changements physico-chimiques, relatant les mouvements des noyaux de la roche, induits il y a bien longtemps par des WIMP. Une toute autre étude encore, plus fantaisiste, publiée en juillet 2019, proposait d’utiliser le corps humain comme détecteur, mais pour Mariangela Settimo, « c’est vraiment de la science-fiction ».
D’où viendrait la matière noire dans l’univers ?
L’origine potentielle de la matière est un sujet important, car elle détermine aussi la façon dont nous pouvons au mieux la détecter. Il est surtout question de quand elle est apparue. « L’instant où naît la matière noire dépend essentiellement de sa nature », avance Raphaël Granier de Cassagnac. Si elle était un objet astrophysique comme une planète ou un trou noir, elle serait née tardivement. Or, comme nous l’avons déjà précisé, le modèle communément admis est qu’elle est faite de particules élémentaires : cela signifie qu’elle est apparue très tôt, « avant le premier milliardième de seconde ».
Elle ferait donc partie de la soupe cosmique originelle, ce qui rejoint la considération voulant qu’elle ait contribué à former la diversité des grandes structures de l’Univers (galaxies et amas de galaxies), en provoquant des fluctuations primordiales de densité. C’est aussi pour cette raison que le satellite Euclid, évoqué précédemment et destiné à étudier l’expansion de l’Univers, pourra peut-être percer certains secrets de la matière noire.
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