En cette fin d’année, le Web3 a rejoint la liste des controverses technologiques, aux côtés du métaverse ou encore des utilisations de l’intelligence artificielle. Pour certains, c’est une révolution à venir qui va transformer l’Internet tel que nous le connaissons. Pour d’autres, un délire technophile. Mais derrière cette expression nébuleuse, qu’entend-on par Web3 ?
D’où vient la notion de Web3 ?
Si l’expression résonne fortement aujourd’hui, le concept date en réalité de 2014. Le Web3 a été pensé par le Britannique Gavin Wood, le cofondateur de la fameuse cryptomonnaie Ethereum, avec Vitalik Buterin. L’idée de Web3 a en fait germé plus ou moins en même temps que la mise en place d’Ethereum : sa conception date de 2013 et c’est en 2015 que la plateforme a été lancée.
Le Web3 bénéficie aujourd’hui du soutien d’une fondation ad hoc, fondée et pilotée par Gavin Wood, qui s’appelle très justement la Web3 Foundation. Sur sa page d’accueil, il est annoncé qu’elle est là pour « financer les équipes de recherche et de développement qui construisent les bases du web décentralisé ». Deux projets associés sont mentionnés : Polkadot et Kusama.
Pendant plusieurs années, le projet de Web3 est resté très en dessous des radars, mais en 2021 il a suscité un regain d’intérêt de la part des médias, d’internautes, mais aussi d’investisseurs et d’entreprises. Pourquoi en reparler maintenant ? Parce que les technologies et les notions que mobilise le Web3 commencent à être plutôt répandues, grâce à la mode des cryptomonnaies.
Quelle est la philosophie du Web3 ?
Le projet derrière Web3 est de procéder à une décentralisation du net, en s’aidant de la technologie dite de la blockchain (ou chaîne de blocs), un mécanisme qui est la base des cryptomonnaies comme l’Ethereum, le Bitcoin et toutes les autres. Il s’agit de l’équivalent d’un registre numérique et public dans lequel toutes les transactions en cryptomonnaie sont inscrites et conservées.
Dans un environnement Web3, ce qui est bâti dessus n’appartiendrait à personne. « Les plateformes et les applications ne seront pas détenues par un acteur central, mais par les usagers, qui gagneront leur part de propriété en contribuant au développement et à la maintenance de ces services », détaille Wired, lors d’un échange avec Gavin Wood en novembre 2021.
En somme, le Web3 serait donc une troisième génération du net, où l’on assisterait à une transition du modèle actuel, avec des services en ligne et des plateformes, à une approche mobilisant les technologies courantes de la cryptomonnaie : des jetons cryptographiques et de la blockchain. En possédant ces jetons, on dispose alors d’une certaine quantité de pouvoir — de décision.
L’idéologie qui sous-tend le Web3 est de s’attaquer au web actuel, qui est caractérisé par une concentration économique dans les mains d’une poignée de géants du net — qu’on résume à grands traits par l’acronyme GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, et parfois quelques autres)–, que la puissance publique a du mal à réguler.
Ce monopole croissant a d’ailleurs fait émerger une formulation assez frappante pour illustrer le monopole de quelques acteurs clés : le « trinet », où les internautes passeraient le plus clair de leur temps à surfer entre Google, Amazon et Facebook, au détriment du reste du net. En somme, le Web3 voudrait dynamiter tout ça et retrouver un net (re)-fragmenté.
Des limites et des critiques pour le Web3
Si les enthousiastes ne voient que des mérites au Web3, le fait est qu’il convoque des notions complexes et du vocabulaire spécifique qui risquent de semer le public. On parle en effet tout à la fois de cryptomonnaie, de blockchain, d’organisation autonome décentralisée (DAO), de finance décentralisée (DeFi), de cryptographie, de jetons ou bien de NFT. C’est dense.
Dans un article du 3 décembre, The Atlantic, à l’occasion d’un long sujet consacré à Jack Dorsey, l’ex-patron de Twitter, est revenu sur le Web3, un sujet qui a intéressé l’Américain. Dans sa description, le magazine pointe le fait que « ce modèle du web représente une vision financiarisée de l’Internet, fortement soutenue par des investisseurs et des monnaies spéculatives ».
« Les projets basés sur la blockchain sont parfois déroutants, ils peuvent présenter des barrières à l’entrée (comme la nécessité d’un portefeuille de cryptomonnaies) », ajoute le site, qui admet qu’au-delà du fait « qu’il y a énormément d’argent à gagner » avec, le Web3 a aussi le mérite d’offrir de la place à une contre-culture, un nouveau terrain de jeu.
Jack Dorsey a nuancé son discours, rapporte Bloomberg, qui résume sa position en disant qu’il s’agit d’un nouveau jouet pour les investisseurs en capital-risque. Le 21 décembre, Jack Dorsey a écrit sur Twitter : « Vous ne possédez pas le Web3. Les sociétés de capital-risque et leurs partenaires financiers le possèdent. Il n’échappera jamais à leurs incitations. C’est en fin de compte une entité centralisée avec une étiquette différente. Sachez dans quoi vous vous engagez… »
Cette logique de financiarisation constitue le principal point de crispation autour du Web3. « Gardez le Web libre, dites non au Web3 », plaide Yesterweb, qui liste par le menu tout ce qui ne va pas et signale plusieurs articles externes très hostiles : « le Web3 est une arnaque, pas une révolution », « le Web3 est une connerie », « la fraude Web3 » ou bien « le Web3 n’est pas la décentralisation ».
Sur une précédente version du site, Yesterweb observait que si la décentralisation est une bonne chose, la cryptomonnaie n’en est pas un élément indispensable. Surtout, le site pointait le fait que « une grande partie de la ‘décentralisation’ dans le monde du Web3 repose sur une poignée de nœuds très coûteux à gérer, hébergés sur Amazon Web Services ». De la décentralisation sur des plateformes centralisées ?
De son côté, Elon Musk, qui n’est jamais très loin des buzzwords à la mode pour donner son avis, a posé une question, à la fois naïve et provocatrice, mais finalement éclairante sur l’effervescence nouvelle autour du Web3, qui tarde à donner naissance à quelque chose de concret — ou du moins de perceptible par le tout venant, et pas par quelques spécialistes dans leur coin.
Quel est le rapport avec le Web 3.0 ?
Aucun. Du moins, il n’y en a aucun si on parle du « Web 3.0 » conceptualisé par Tim Berners-Lee, l’inventeur du Web. Son Web3 à lui concerne le web sémantique, c’est-à-dire une organisation et une structuration des pages web de manière à ce que les logiciels puissent effectuer des tâches plus complexes au profit des internautes, en liant et en normalisant les données disponibles sur le net.
Ce web sémantique est issu d’une réflexion ancienne, car on en trouve des traces dès 1999. Le Scientific American Magazine parlait en 2001 comme « d’une nouvelle forme de contenu Web qui a du sens pour les ordinateurs et va déclencher une révolution de nouvelles possibilités ». Bref, il est plus question de traitement et de compréhension de la donnée, que de décentralisation.
Cela dit, Tim Berners-Lee pourrait se montrer sensible aux objectifs poursuivis par le Web3. L’intéressé a en effet souvent exprimé son rêve de voir un autre Internet émerger, plus déconcentré, où l’emprise des grandes plateformes du net serait bien plus faible. Depuis 2020, Tim Berners-Lee tente d’ailleurs de concrétiser cette vision avec un projet baptisé Solid.
Et le Web 1 et Web 2 alors ?
Si on parle d’un Web3 (ou d’un Web 3.0 d’ailleurs), c’est qu’il y a eu un Web 1 et un Web 2 ? C’est effectivement le cas. Dans les grandes lignes, le Web 1.0 désigne une époque, allant grosso modo de 1990 au milieu des années 2000, tandis que le Web 2.0 a pris la suite juste après. Il est considéré que le Web 2.0 est toujours en vigueur aujourd’hui.
La distinction qui est généralement faite entre Web 1.0 et Web 2.0, et qui est vue quelquefois comme une expression marketing, se situe dans le rôle des internautes. Le Web 1.0 désigne un web statique, avec des pages web plutôt figées et un lien plutôt vertical : on lit des contenus, mais on ne participe pas significativement à la production (même s’il y avait les forums et les… livres d’or).
Le Web 2.0 est présenté comme un web beaucoup plus dynamique et participatif : le web devient plus social avec les sites communautaires et l’émergence de plus en plus de plateformes pour produire et partager du contenu en tout genre : YouTube, Flickr, Facebook et Twitter en sont des exemples. En somme, le Web 1.0 permettait de lire et de découvrir, le Web 2.0 d’interagir et d’écrire.
D’autres découpages ont parfois été imaginés, avec des présentations plus ou moins discutables. On a aussi pu croiser des terminologies comme Web 2.1, Web², Web 2.5, Web3D, Web 4.0 pour décrire des évolutions plus ou moins marquées du Web. Mais cette succession de formulations a aussi eu pour effet d’accentuer l’impression d’assister à une bataille de slogans.
Et s’il y avait un autre Web3 ?
L’idée d’un web décentralisé n’est pas neuve et n’est certainement pas née avec Gavin Wood. À titre d’exemple, Numerama évoquait l’idée d’un Web 3.0 dès 2007, mêlant à la fois le Web 2.0 et les échanges en pair à pair (P2P), exactement sur le même mode que BitTorrent ou eMule. En clair, au lieu d’héberger des données sur des serveurs centralisés, on les stockerait soi-même.
C’est exactement comme BitTorrent par exemple. Au climax du piratage, il y avait certes des sites indexant des liens BitTorrent pour récupérer des films, des jeux vidéo ou de la musique sans l’accord des ayants droit. Mais une fois le petit fichier BitTorrent récupéré, les échanges ne passaient plus par un serveur central, mais se faisaient directement entre les internautes.
Évidemment, l’histoire n’a pour l’instant pas emprunté cette trajectoire. Force est de constater que le P2P est relativement tombé en désuétude. Si ces échanges étaient vigoureux du temps du piratage et existent toujours aujourd’hui, l’évolution des pratiques en matière culturelle (avec l’offre légale, le streaming audio, la SVOD, etc.) a renvoyé le P2P dans l’ombre.
Des initiatives pour décentraliser le Web ont été lancées, mais elles peinent à aller au-delà des internautes déjà convaincus par cette nécessité : on a ainsi vu émerger des projets comme Diaspora (une sorte de Facebook-like, sans les controverses), Mastodon (comme Twitter) ou PeerTube (comme YouTube), mais il y a encore du chemin. Et ce n’est pas gagné.
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