Au premier plan, Changpeng Zhao est tout sourire. Derrière lui, l’Arc de triomphe de la place de l’Étoile, photographié dans la pénombre de la fin de l’après-midi. « Bonjour », tweete le fondateur de Binance, la place de marché crypto la plus importante du monde. À 45 ans, « CZ », ainsi qu’on le surnomme, est un globe-trotter chevronné. « Ma famille a toujours été un peu nomade », glisse, comme pour justifier ses nombreux déplacements, cet homme aux cheveux courts ou rasés.
Cet ingénieur en informatique aux lunettes fines sans monture adore mettre en scène ses voyages à travers le monde. Comme ici, au Vietnam, ou là encore au Moyen-Orient. Des selfies où il sacrifie son uniforme préféré, le hoodie noir, aux traditions locales ou à la cravate. À Cannes, il a même mis un smoking. Un costume qu’il porte pour la première fois de sa vie pour aller voir un film, s’étonne-t-il.
Les sièges sociaux, vieux comme les SMS
À l’image de son entreprise, toujours sans siège mondial — un concept aussi vieux que le SMS, jugeait-il –, Changpeng Zhao ne s’embarrasse pas des frontières. Ce Canadien d’origine chinoise, inconnu il y a encore 5 ans, est devenu l’une des figures de la crypto les plus en vue. Avec Binance, il est devenu un temps l’un des hommes les plus riches du monde. Sa fortune est désormais estimée à seulement 10 milliards de dollars, contre 96 milliards à l’automne dernier. « De nouveau pauvre », a-t-il osé le 17 mai sur Twitter, après l’effondrement de la crypto-monnaie Luna, dans laquelle il avait investi.
Un message qu’il ne faut cependant pas prendre au premier degré. L’ingénieur affiche un sérieux détachement vis-à-vis de la richesse. À terme, il prévoit de se séparer de « 90,95 ou 99% de sa richesse ». Un luxe réservé justement aux très riches, pourrait-on objecter. « Ce n’est pas du tout un financier, mais un tech qui a le sens de l’entreprise », rappelle l’ancien député cryptophile Pierre Person. « Je suis un gars normal, précisait-il contre toute évidence à L’Écho. J’ai la chance d’être libre financièrement. Mais, j’ai gardé le même train de vie. Tout ce que je possède, c’est un van à Singapour et un appartement à Dubaï. »
McDonald’s et ordinateur 286
L’histoire tumultueuse de Changpeng Zhao débute en Chine. Toutefois, il quitte à ses 12 ans la province côtière du Jiangsu pour Vancouver, au Canada. S’il est parfois écrit que sa famille a fui à cause de la répression qui a suivi les manifestations de la place Tian’anmen en 1989, CZ a donné toutefois une autre version de l’exode familial.
Certes, son père, enseignant, avait bien été renvoyé à la campagne pendant la Révolution culturelle à la fin des années 60. Mais ce dernier est arrivé au Canada en 1984, avant d’être rejoint cinq ans plus tard par le reste de la famille. Sans que l’on sache s’il y a un lien avec Tian’anmen. Une dernière mention qui ne serait pas très bonne pour le business.
Quoiqu’il en soit, c’est à cette époque que CZ découvre l’informatique. L’ordinateur 286 engloutit d’ailleurs une partie des finances de la famille. Quant au jeune Changpeng, il va successivement occuper plusieurs petits boulots, comme employé dans un McDonald’s, pour gagner sa croûte. C’est l’un des détails de son parcours qui nourrit le mythe du self-made man que l’ingénieur aime rappeler.
Le Google de la crypto
Trente ans plus tard environ, il est à la tête du Google de la crypto, Binance, pour Binary et Finance, créé à Hong-Kong en 2017. Les raisons du succès sont simples : une meilleure vitesse d’échange et des frais réduits. « À l’époque, la plupart des interfaces étaient très maladroites et les systèmes étaient très lents », se souvient Changpeng Zhao. « La force de Binance a été de lister très rapidement de nombreux différents coins », ajoute Adli Takkal-Bataille, le président de l’association Le Cercle du coin.
La plateforme, qui s’est agrandie à coups d’acquisitions externes, a cependant accumulé les litiges avec les régulateurs du monde entier. Une enquête de l’agence de presse Reuters publiée le 6 juin avait évalué à 2,35 milliards de dollars les fonds suspects ayant transité par le site. Personne n’est parfait, avait répliqué en substance Binance, indiquant être toujours en train d’étudier le meilleur cadre de régulation.
L’entreprise traîne pourtant une réputation sulfureuse, celle d’une entreprise rentre-dedans qui a su profiter de son poids pour bousculer les administrations. « Maintenant qu’ils sont un acteur majeur, les autorités déroulent le tapis rouge, regrette Adli Takkal-Bataille. Cela a fait grincer des dents alors que les entreprises françaises tentaient de faire les choses au carré. »
Partie de poker
Mais, quoique l’on pense de Binance, c’était loin d’être la première incursion dans la crypto pour CZ. Ce projet doit plutôt être vu comme l’aboutissement de plusieurs années à écumer la blockchain en forgeant patiemment des outils découvert dans le trading.
Cette passion pour la crypto a débuté avec une partie de poker à domicile avec deux figures du bitcoin, Bobby Lee et Ron Cao. Les deux hommes lui conseillent d’investir dans la crypto-monnaie. Sa curiosité piquée, l’ingénieur fait le déplacement à Las Vegas pour une conférence. Il y rencontre Vitalik Buterin, le génie à l’origine d’Ethereum.
Un autre passionné lui explique le fonctionnement du Ripple. Avant de lui transférer une petite somme, à charge pour lui de la transmettre ensuite à un futur initié. « Je me suis dit que c’était une communauté assez généreuse », qui privilégie l’échange au profit, résume l’ingénieur au New York Times. « Peu de temps après, j’ai quitté mon travail et j’ai vendu ma maison », ajoute-t-il.
Workaholic
Ce workaholic qui s’autorise « un ou deux jours » de vacances « quelques fois par an » avait d’abord commencé sa carrière dans la finance. Après ses études à Montréal, l’ingénieur avait été embauché par Bloomberg pour travailler sur les outils de trading. Il y monte rapidement les échelons. Mais, le jeune homme, qui aime citer Sun Tzu, a la bougeotte. Il crée finalement à Shanghai son entreprise, Fusion systems, spécialisée dans les logiciels pour le trading à haute fréquence.
Cela avant, comme il le rappelle sur son compte Linkedin, de birfuquer à partir de 2013 vers la crypto. Il rejoint Blockchain.info, un service de suivi des transactions qui s’était diversifié dans l’échange de crypto-monnaies. Après un poste à la bourse chinoise OkCoin, il fonde ensuite en 2015 BijieTech, un autre service d’échanges, avant d’ouvrir Binance.
Mais le magnat de la crypto, qui a le logo de Binance tatoué sur le bras, sait également préserver une part d’intimité. Son compte Twitter actuel a opportunément été créé en août 2017, après le lancement de Binance. Et l’on ne sait rien de sa vie de famille actuelle. « Je préfère garder cela privé pour des raisons de sécurité et de confidentialité », dit-il au Guardian.
Féroce, il n’hésite pas à poursuivre des médias après la publication d’articles contestés, comme il l’a fait récemment contre Bloomberg. Quitte à les racheter ensuite : sa plainte contre le magazine Forbes en novembre 2020, a été suivie dix-huit mois plus tard d’un investissement de 200 millions de dollars dans le média.
(remontée du portrait en raison de sa démission de son poste chez Binance)
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