Honnêtement, je ne sais plus quoi écrire de nouveau sur le cyberharcèlement. Chaque semaine amène son lot d’affaires à la fois terriblement violentes et terriblement similaires aux autres. En l’occurrence, ces derniers jours ont été chargés en la matière :
– Des internautes ont crié à la censure à cause de la désactivation (volontaire) d’un compte qui ciblait Sandrine Rousseau, jouant sur la confusion entre les vrais propos de la députée et des contenus souvent vulgaires et injurieux. Il s’agit d’une technique dite de « FemSpoofing« , qui consiste généralement à se faire passer pour une personne féministe avec des propos extrêmes pour s’en moquer, voire tromper d’autres internautes. En moyenne, le compte publiait 400 tweets par mois.
– Des streameuses françaises ont révélé (un peu) du harcèlement constant dont elles font l’objet sur Twitch. L’une d’entre elles, Ava Mind, a partagé un extrait particulièrement choquant d’une note vocale envoyée par un inconnu, qui l’insulte et lui suggère de faire des contenus pornographiques plutôt que de « prétendre être une geek pour des miséreux sexuels« .
– Léna Situations, célèbre influenceuse française, qui a déjà quitté Twitter par le passé à cause du harcèlement qu’elle y subit régulièrement, a été la victime d’une énième vague de haine en ligne. Cette fois-ci, ces attaques ont été motivées par l’ouverture prochaine d’un restaurant à l’effigie de sa marque, proposant de la nourriture vegan.
Bien sûr, ces trois situations ne résument pas à elles seules le concept de cyberharcèlement, qui est un phénomène complexe et protéiforme. Il peut toucher des personnes publiques comme des individus lambdas, et il n’affecte pas que les femmes, même si le fait d’appartenir à une catégorie vulnérable aggrave les risques et détermine le type d’attaques (un homme sera plus souvent menacé de mort que de viol, par exemple). Mais elles démontrent bien notre impuissance face aux violences en ligne, et aussi notre incompréhension devant leurs mécaniques, encore aujourd’hui.
Parce qu’il n’y a pas que le cyberharcèlement qui se répète. Il y a aussi nos réactions, qui sont souvent les mêmes. On « hallucine » devant ces violences (comme si elles pouvaient encore nous surprendre), on envoie des « énormes soutiens » (c’est bien intentionné, mais ça sonne un peu creux face à un phénomène si immense et structurel) et surtout, on est tenté·es de pointer du doigt une certaine catégorie de personnes. C’est la faute aux trolls, aux incels et autres « puceaux frustrés« , à des ados qui s’ennuient, etc. Bref, on crée une frontière entre les personnes qui harcèlent et nous-même. Je ne sais pas si cet argument est très réconfortant pour une victime de cyberharcèlement. Ce que je sais, en revanche, c’est que cette frontière n’existe pas vraiment.
Cet article est extrait de notre newsletter hebdomadaire Règle30, éditée par Numerama. Il s’agit du numéro du 27 juillet 2022. Pour vous y inscrire gratuitement, c’est ici.
Dépasser ses propres clichés sur les violences en ligne
Je reviens régulièrement à cette étude de l’institut IPSOS, publiée en début d’année avec l’association Féministes contre le cyberharcèlement, qui m’a aidé à dépasser mes propres clichés sur les violences en ligne. On y apprend par exemple que 31% des Français·es déclarent avoir déjà été à l’origine d’une situation de cyberviolence (23% si l’on retire les personnes qui admettent avoir fouillé le téléphone de leur conjoint·e sans leur autorisation). Cette proportion est bien plus importante chez les moins de 35 ans : 69% des jeunes hommes interrogés admettent avoir déjà commis des violences en ligne, et 61% des jeunes femmes. Encore plus intéressant, on apprend que parmi les victimes de cyberharcèlement répété, 69% ont également été à l’origine de ce genre de situations.
Est-ce que c’est parce qu’on a davantage conscience de la violence que l’on subit, que celle que l’on fait subir ? Ou parce qu’on s’est habitué·es à la haine comme faisant partie intégrante de nos expériences en ligne ? Je pense souvent à ce sujet ces derniers temps, quand je vois que les applications de questions anonymes sont de nouveau à la mode, qu’Instagram veut tous et toutes nous transformer en vidéastes dopé·es aux algorithmes (inspiré par TikTok, elle-même une plateforme gangrénée par la violence entre internautes), et que j’imagine que d’ici à ma prochaine newsletter, plusieurs nouvelles affaires auront été médiatisées. On ne peut évidemment pas sortir le cyberharcèlement de son contexte politique, sexiste, raciste ou économique. Mais on ne peut pas non plus faire comme si ce phénomène ne nous concernait pas, et que nous n’en étions que de lointains témoins. Les harceleurs ne sont pas toujours les autres. Parfois, c’est nous aussi.
La revue de presse de la semaine
Désinfo
La semaine dernière, YouTube (propriété de Google/Alphabet) a annoncé qu’elle supprimerait désormais les vidéos propageant des informations « trompeuses ou erronées » à propos de l’IVG. Cette décision intervient dans le contexte du recul du droit à l’avortement aux États-Unis. Mais d’après la plateforme, il s’agit d’un simple prolongement de sa politique sur la lutte contre la désinformation sur le thème de la santé, notamment dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Plus d’informations du côté de Numerama.
Racisme dans les mangas
La rubrique Pixels du Monde s’est penchée sur un sujet intéressant : les personnes noires dans les mangas et l’évolution de ces représentations. Sans surprise, ces deux sujets sont étroitement liés à l’Histoire du Japon et à sa relation à l’immigration. Mais ce que vous ignorez peut-être, c’est que ce racisme est indirectement lié à l’influence de l’Occident. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez lire l’article par là.
Say my name, say my name
L’interdiction partielle de l’IVG aux États-Unis a provoqué une avalanche de contenus de plus ou moins bon goût. Cet article de The Atlantic porte sur une tendance assez étrange : des internautes qui sous-entendent qu’ils ou elles sont prêt·es à héberger des personnes souhaitant avorter illégalement… mais sans jamais prononcer le mot « avortement« , par peur de la censure des réseaux sociaux, ou plus simplement pour se donner une image militante à moindres frais. C’est à lire (en anglais) par ici.
Strip
Sur TikTok et YouTube, de nombreuses vidéos mettent en scène des strip-teaseuses qui parlent de leur travail sans tabou. Mais à force de vouloir dépasser les clichés sur leurs activités, certaines finissent par en créer d’autres en idéalisant leur métier, sans en mentionner la précarité et les dangers. C’est le sujet de cette enquête, à lire chez Input Mag (en anglais).
Quelque chose à lire/regarder/écouter/jouer
Hori est une lycéenne populaire et assidue en cours, malgré la quasi-absence de ses parents qui la contraint à s’occuper seule de son petit frère. Miyamura est l’un de ses camarades de classe, timide et secrètement accro aux piercings et aux tatouages, qu’il est forcé de cacher au lycée. Jusqu’ici, ça ressemble à une chanson d’Avril Lavigne ; sauf que dans Horimiya, les choses se finissent bien, et vite. Malgré leurs différences, Hori et Miyamura se rapprochent et sortent ensemble.
L’histoire est a priori assez convenue. Ce qui fait le charme de Horimiya, et le succès de cette série de mangas (elle-même adaptée d’un webcomic populaire au début des années 2010), c’est justement qu’elle assume sa banalité. Plutôt que de subir un suspens un peu artificiel, on obtient très vite ce qui nous était promis (une histoire d’amour adorable et plutôt réaliste) et on profite de la suite : le quotidien d’un jeune couple et de leurs ami·es qui s’aiment, se chamaillent et se soutiennent dans une période charnière de leur vie. Horimiya n’est pas une histoire originale. Mais c’est une excellente lecture d’été, si vous avez envie d’un peu de légèreté.
Horimiya, de Daisuke Hagiwara et Hero, éditions Nobi Nobi (5 tomes, série en cours)
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