L’an dernier à la même période, nous avions prédit que si « 2002 a été l’année de la naissance de nombreux réseaux P2P, 2003 serait l’année de leur développement, ou de leur disparition ». Nous ne pouvions guère prédire mieux à ce niveau là puisqu’en un an, aucun logiciel de P2P n’a véritablement fait son apparition sur la scène. Mis à part Soulseek qui s’est dévoilé au grand public en avril 2003, ou BitTorrent dont la spécificité nous invite à le mettre à part, le paysage des réseaux Peer-to-Peer est resté sensiblement identique à celui que nous avions l’année précédente. Les positions de chacun se sont consolidées.
eMule reste ainsi largement en tête en Europe quand KaZaA reste encore le logiciel de partage le plus utilisé outre-atlantique. Overnet a quant à lui failli dans sa quête de popularité, au point que son éditeur MetaMachine a du pour survivre se laisser convaincre de fusionner les deux réseaux. En réponse, eMule est lui aussi entrain de se doter d’un réseau décentralisé basé sur le même protocole qu’Overnet, Kademlia. Nous espérions il y a un an beaucoup de File Spree pour dynamiser tout le monde, mais ça aura finalement fait chou blanc et même Shareaza n’a pas réussi à transformer l’essai après une vitesse de développement pourtant très prometteuse. Dans les mois qui viennent, seul un WinMX 4.0 semble vouloir réveiller les éditeurs, mais il tarde beaucoup à montrer le bout de son interface.
Nous nous posions également la question l’an dernier de ce que deviendraient en 2003 les réseaux anonymes type FreeNet. Nous sommes aujourd’hui bien plus pessimistes qu’avant sur leur avenir. Les utilisateurs ne semblent en effet pas adhérer à ces réseaux malgré les procès qui ont lieu aux Etats-Unis, et la technologie ne progresse que trop peu pour séduire les réticents. Ce n’est donc pas sur un plan technique que se jouera en 2004 l’avenir du P2P.
le P2P de 2004 : des évolutions plus politiques que techniques
2003 a vu naître l’amorce d’une réflexion plus globale sur le Peer-to-Peer, ses enjeux et surtout sa légitimité. Les reportages dans les média traditionnels se sont multipliés et l’image du jeune piratin qui vend ses CDs gravés dans les cours de récré commence finalement à disparaître. La piraterie – telle qu’aime le nommer les grands patrons des majors pour rappeler son caractère illégal, commence à être socialement acceptée par la population comme l’exercice d’un droit supérieur, celui d’accéder à la culture. Le discours du pauvre volé ne résonne plus très bien dans les foyers et la peur du gendarme est si difficile à mettre en place qu’elle ne freine pas grand nombre de hors-la-loi. Outre-atlantique et outre-manche, les solutions légitimes payantes commencent à obtenir un certain succès, mais en France mis à part Universal Music qui fait un effort saluable avec sa plateforme e-Compil, les majors sont pratiquement absentes de l’Internet hexagonal lucratif. Quoi qu’il en soit, il est de plus en plus évident que lutter contre « la piraterie » est un impossible combat pour les majors.
La légitimité du P2P sera la clé de 2004. Nous apportons nous-même notre pierre à l’édifice avec la chaîne de Téléchargements, puis bientôt la chaîne Culture, mais déjà en cette fin d’année, trois grandes victoires de principe ont été remportées à travers le Monde. Au Canada, la SOCAM (la SACEM nationale) a reconnu que le P2P pouvait servir de source à la création d’une copie privée. Aux Etats-Unis, une Cour d’appel a déclaré illégal le fait de demander à un fournisseur d’accès l’identité d’un abonné sans passer par une décision judiciaire préalable. Enfin et surtout, en Europe, Kazaa a été déclaré légal le 19 décembre 2003 par la Cour Suprême des Pays-Bas. Seule l’utilisation frauduleuse de Kazaa est illégale, le logiciel étant en soi conforme aux lois nationales. Ce précédent risque d’influencer les tribunaux du monde entier, et incite encore davantage à trouver une solution de compromis pour lutter contre le piratage. Paradoxalement, la meilleure des solutions pourrait être de légaliser « le piratage », de faire en sorte que le mot piratage disparaisse du vocabulaire pour laisser place à un système alternatif gagnant-gagnant. Nous publierons nous-mêmes dans le courant de l’année une proposition de licence obligatoire, une solution sur laquelle nous avons le grand privilège de travailler activement avec des universitaires et professionels de l’industrie internationalement reconnus, et dont les travaux devraient être relayés en masse cette année par les média.
Si 2003 a été l’année d’une prise de conscience de l’importance du phénomène « Peer-to-Peer », 2004 sera celle des résolutions. Espérons qu’elles aillent dans le bon sens. Nous voyons encore beaucoup trop de batailles contre les systèmes de protection anti-piratage, alors que la clé du combat est de les rendre inutiles. L’avenir du P2P dépend de la volonté que nous avons tous de le rendre légal, et de développer son véritable potentiel : en faire la plus grande bibliothèque cultuelle du monde, accessible gratuitement et librement.
Très bonne et heureuse année 2004.
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