Beaucoup d’incertitudes planent depuis « The Merge », la mise à jour d’Ethereum accomplie le 15 septembre 2022 par les développeurs de la plateforme. Marque-t-elle la mort des mineurs de fonds numériques ? Pas si vite. Dans la communauté crypto, on espérait le meilleur de cette mise à jour inédite, tout en se préparant au chaos, tant sur le plan technique que sur le marché. Le trading d’ethers (ETH), le token natif de ladite blockchain, se trouvait méticuleusement scruté, de peur que certains spéculateurs n’affolent les compteurs.
« Tout s’est finalement bien passé, tant techniquement que du côté des cours [ndlr : pas tant que ça, le prix de l’Ethereum a baissé]. Cela a presque été un non-événement », concède Julien Gourlet, fondateur et CEO d’Ilium, l’entreprise de Metz pionnière des mining pools sur Ethereum en France. Autrement dit, Ilium ne mine pas directement de la crypto, mais regroupe une clientèle composée de mineurs qui combinent leurs puissances de calcul.
Avec ce changement de paradigme technologique mené par Ethereum, le nouveau mécanisme de proof-of-stake (PoS) qui exclue les mineurs, le marché doit assurément se restructurer. On en voit les prémices. Les mineurs se sont repositionnés sur d’autres crypto-monnaies produites par la proof-of-work (PoW). Les plus rentables d’entre elles sont l’ether classic (ETC), le ravencoin (RVN) ou encore le flux (FLUX), pour se limiter à quelques exemples. « Ces différentes blockchains ont attiré une bonne partie des mineurs, mais n’ont pas la capacité d’absorber la puissance de calcul d’Ethereum. Il est encore trop tôt pour prévoir comment tout ceci va évoluer », relativise Julien Gourlet.
Son entreprise avait évidemment anticipé The Merge, d’abord commercialement, en proposant à ses utilisateurs un maximum de crypto-monnaies qui pourraient continuer d’être minées. Autrement dit, de permettre à leurs installations, à leurs cartes graphiques, de poursuivre leurs activités tout en préservant une rentabilité. « Puis, pour l’aspect technique, des semaines de préparation en amont ont été nécessaires, avec des développements back et front pour accompagner les utilisateurs. Et, couper les pools de minage au moment de The Merge », explique le dirigeant d’Ilium.
L’incontournable migration d’Ethereum en proof-of-stake
Tombé dans la marmite du mining en 2016 avec Ethereum, le consultant blockchain Monsieur TK se souvient : à l’époque, avec une petite installation, même un simple ordinateur, il était possible de créer quelques ETH par semaine ou par mois, selon les configurations matérielles.
« On était encore très loin de cette mainmise des fermes de minage. Personnellement, je n’ai jamais investi dans des hangars truffés de GPU comme certains, mais j’ai toujours miné à domicile. Avec un compteur électrique d’une maison normale, on évite les installations de folie avec des milliers de rigs [ndlr : montages d’un ou de plusieurs GPU pour miner en permanence] les uns à côté des autres », se rappelle le plus crypto des Youtubeurs belges, véritable passionné du minage « à échelle humaine ».
Le passage au staking sur Ethereum n’a pas troublé les activités de Monsieur TK qui, depuis un an déjà, s’était tourné vers d’autres cryptos en PoW, partant du principe qu’elles prendraient de l’ampleur à l’avenir. Les mouvements actuels lui donnent en partie raison, ces monnaies minées ayant le vent en poupe auprès des mineurs, des investisseurs et des spéculateurs.
« Le minage crypto concrétise un peu le rêve de détenir la fameuse planche à billets chez soi. Tu peux fabriquer ton argent, si je puis dire, sans être un faux-monnayeur. C’est grisant comme sensation, avouons-le. Et, pour en avoir discuté autour de moi, dans un monde de tokens, NFT, où tout est totalement virtuel, on dispose d’un matériel bien réel, concret, palpable. Cela permet à certaines personnes de cerner le fait que ce ne sont pas des billets de Monopoly », s’enthousiasme le créateur crypto.
Vu de l’extérieur, pour celles et ceux qui ne partagent pas toutes ces affinités avec le minage, difficile pourtant de considérer qu’il s’agit d’autre chose que d’un non-sens énergétique. « Comment pouvez-vous faire bouillir les océans avec cette absurdité ? C’est terrible. Je n’arrive pas à croire que vous faites ça pour vivre », s’était ainsi offusqué la fille de Ben Edgington, le responsable produit pour l’entreprise de recherche et de développement d’Ethereum ConsenSys. Ben Edgington estimait que son enfant relayait « un récit environnemental très toxique », affirmant l’utilité de la crypto, sans aucune nuance.
L’impact écologique du minage de crypto-monnaies, une question complexe
L’essentielle question écologique que semble résoudre The Merge ressort plus complexe qu’il n’y paraît.
« Lorsqu’on évoque le mining, la première critique qui surgit porte généralement sur l’électricité consommée. Mais, les personnes qui crient au scandale énergétique bien souvent ne s’intéressent pas au monde des cryptos et ne peuvent pas être sensibles à leurs enjeux. […] Il est important de relativiser l’usage et son impact environnemental. Nous stockons tous des photos mal cadrées dans le cloud, par millions, sur des serveurs et dans data centers partout sur la planète. Personne ne s’offusque de cet usage énergivore », fait remarquer Monsieur TK. Cependant, on peut nuancer ce type d’arguments : le puit énergétique que représentent les data centers, servant à de nombreuses activités sur Internet, est un fait connu et régulièrement critiqué.
À cela, il conviendrait d’ajouter que les mineurs de crypto-monnaies ne correspondent pas forcément tous au portrait caricatural qui est souvent brossé d’eux. « La perception de cette activité reste beaucoup trop négative. Nos clients professionnels utilisent de la géothermie en Islande, de l’énergie fatale au Québec — c’est-à-dire de l’énergie produite, mais inutilisée –, aident des constructeurs de centrales hydroélectriques en Afrique à surmonter la problématique d’investissement dans ces infrastructures, en objectivant et rentabilisant la demande énergétique », souligne Julien Gourlet, laissant entendre que persiste un déficit de compréhension quant aux enjeux du minage. Cela dit, il faut rappeler que les initiatives pour réduire la dépendance aux énergies fossiles du secteur des crypto-monnaies sont peu nombreuses : moins de 1 % du hashrate du bitcoin n’utilise que des énergies renouvelables. La Chine et le Kazakhstan, qui représentent un énorme pôle de minage, n’utilisent pas d’énergie verte.
Compte tenu des considérations à l’encontre des mineurs et de l’indéniable urgence climatique, The Merge pourrait servir d’argument massue en faveur de l’interdiction pure et simple du minage. Une éventualité jugée probable dans les plus hautes sphères de l’UE, notamment à la Banque centrale européenne qui perçoit dans cette activité informatique un double risque, environnemental et économique.
« De toute manière, le minage de crypto-monnaies va continuer. Il reste énormément de cryptos basées sur le PoW et qui ne changeront pas de mécanisme, notamment le bitcoin qui demeurera a priori l’actif de référence au moins pour un certain temps », affirme le CEO d’Ilium. Il estime que l’écosystème pourrait désormais vérifier les défauts dans la proof-of-stake. « Il y avait jusqu’ici un manque de nuance prétendant que la PoS est géniale alors que la PoW est un gouffre énergétique. C’est une ânerie de dire que la PoS ne consomme rien. Elle utilise de l’énergie, mais considérablement moins », poursuit-il.
The Merge, test de résistance de la décentralisation et de la sécurité
Malgré d’importants efforts consentis pour garantir la sacro-sainte décentralisation des blockchains publiques, le problème d’accaparement persiste. Les contestataires de la migration d’Ethereum assurent que la centralisation du réseau ne fait que changer de mains, passant des pools de minage sous la PoW aux pools de staking sous la PoS.
« On critiquait jusqu’à il y a peu ces énormes fermes de minage qui faisaient la pluie et le beau temps sur Ethereum. Mais, ces acteurs-là, on pouvait encore espérer les concurrencer en achetant quelques machines. Désormais, ce sont, par exemple, des Coinbase, Kraken et Binance qui détiennent une énorme partie des ETH stakés et font tourner le réseau à eux seuls », observe Monsieur TK.
Une nouvelle donne qui alimente de nouvelles préoccupations. Si demain un gouvernement durcissait à l’extrême la réglementation sur les crypto-actifs, personne ne sait encore comment la nouvelle blockchain Ethereum résisterait à cette pression.
Autre source d’interrogations, la sécurité. The Merge crée un certain climat de confusion que les cybercriminels veulent mettre à profit. À l’inverse, certains acteurs déclarent que l’abandon du minage neutralise ou atténue toute une série d’attaques. « En outre, le coût d’une attaque en PoS est exponentiellement plus élevé en raison du slashing : la communauté pourrait décider d’exclure du réseau l’attaquant de force et de détruire ses ethers stakés », dixit CipherTrace, la firme américaine d’analyse blockchain forensique.
Le jeune industrie crypto dispose pourtant de moins de recul sur la proof-of-stake. Pour l’instant, aucune faille majeure n’est survenue sur de grandes blockchains. Reste à voir si ce sera toujours le cas avec Ethereum.
« Le réseau Bitcoin affiche un taux d’accessibilité de 99,8% depuis 2009, supérieur au taux de Google sur ces treize dernières années. Cela signifie que c’est un système qui est à toute épreuve. Tant que vous avez une connexion à Internet, Bitcoin est accessible. C’est un système extraordinairement résilient et performant. Obtiendrons-nous un tel niveau avec la PoS ? C’est à démontrer », épingle Julien Gourlet, le CEO d’Ilium.
Les mineurs piliers puis parias de la blockchain ?
Dans la communauté de Monsieur TK, de nombreuses personnes ne veulent plus entendre parler de minage qui était synonyme d’Ethereum jusqu’à il y a peu. La plupart ont débranché et revendent leur matériel. À l’inverse, d’autres membres de la communauté considèrent qu’une page se tourne, qu’Ethereum a formidablement fonctionné pendant sept ans, mais que l’histoire du minage se poursuit. « Avec l’abandon de certains mineurs, le marché de l’occasion des cartes graphiques fourmille de matos à bas coût. Certains s’équipent pour se lancer sur de nouveaux projets. »
Pas de sentiment de frustration chez les clients d’Ilium non plus. Le pragmatisme entrepreneurial a prévalu. Beaucoup d’utilisateurs d’Ilium sont des professionnels, fournisseurs de matériel ou de solutions de hosting, qui ont eux-mêmes des clients, particuliers et institutionnels.
« Il y a beaucoup de réflexion, de débats où l’on pose les équations pour obtenir la meilleure performance. Mais pas d’amertume. Cette migration était annoncée depuis le début, dès le white paper en 2014, c’était la vision. Ensuite, Ethereum reste LA plateforme technologique blockchain, même si d’autres comme Solana tirent leur épingle du jeu en termes de performances, aucune ne rivalise avec Ethereum en termes d’écosystème. Aucune n’est en mesure de fédérer autant de développeurs, de startups, de projets autour d’une blockchain. Pour rester cette référence, Ethereum devait migrer pour des raisons de scalabilité », insiste Julien Gourlet.
Chez Ilium, on a tout de même déjà une petite idée de quoi demain sera fait. Bénéficiant du statut de PSAN depuis mardi 13 septembre, le jeune prestataire officiel d’actifs numériques va proposer le staking d’ETH et d’autres crypto-monnaies avec un angle d’attaque fortement axé sur les mineurs.
« On envisage de créer une plateforme hybride de mining et staking où les utilisateurs pourront à la fois produire des crypto-monnaies et automatiquement les immobiliser, les faire passer en staking. On va cumuler les deux dimensions concurrentes dans le monde physique de la blockchain. Mais, en fait, les deux protocoles se complètent, s’additionnent en termes de gains que les utilisateurs peuvent en retirer », expose le superviseur d’Ilium.
Pour l’heure, cet événement historique tend à démontrer à quel point blockchain et crypto ont à peine dévoilé leur potentiel.
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