Les manifestations en Iran contre le pouvoir religieux ont déjà entraîné des dizaines de morts, à cause de la forte répression en cours. Le régime, pour limiter la capacité des contestataires de s’organiser, s’emploie depuis plusieurs jours à entraver les communications de la population. Des interruptions sont ainsi observées depuis le 19 septembre, quelques jours après la mort de Mahsa Amini. une jeune femme tuée par la police des mœurs parce qu’elle n’avait pas une tenue « appropriée ».
L’organisation NetBlocks documente ainsi depuis le 19 septembre ces entraves à l’accès à Internet en Iran — NetBlocks est une structure, née en 2017, qui observe justement la liberté d’accès à Internet dans le monde. L’organisation a ainsi partagé plusieurs constats concernant l’Iran, avec des chutes brutales de connectivité, aussi bien dans le fixe que dans le mobile. Elles ont depuis été rétablies, puis recoupées, au rythme des évènements.
Des plateformes sociales comme Instagram, qui étaient encore accessibles dans le pays (à la différence de Facebook, Twitter, Telegram ou YouTube), ont également été touchées. Il a été rapporté que WhatsApp, la messagerie instantanée chiffrée de bout en bout, a aussi été entravée. « Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir sur le plan technique pour maintenir nos services et permettre l’utilisation de tous les utilisateurs dans le monde », a réagi le service. LinkedIn et Skype ont suivi.
De nombreuses voix se sont élevées pour condamner les actions de Téhéran, à l’image de la branche iranienne d’Amnesty, qui a demandé à l’ONU d’intervenir. De son côté, Reporters Sans Frontières a exigé le rétablissement d’Internet dans le pays. Mais, il y a aussi des actions plus directes. Sur un plan diplomatique, les États-Unis ont ainsi pris des sanctions visant la police des mœurs iranienne et sa brutalité à l’égard des femmes. Et du côté de la « tech », la mobilisation s’observe aussi.
Signal veut maintenir les communications et demande l’aide des internautes
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L’application Signal, qui concurrence WhatsApp, a mis en place le 23 septembre un guide technique pour aider la population à se reconnecter à Signal (la messagerie chiffrée de bout en bout est aussi bloquée en Iran) en hébergeant un serveur proxy. L’application a sorti un guide en perse pour expliquer comment se servir d’un proxy. Elle propose des solutions pour récupérer l’application depuis un mail, via un fichier APK, ou depuis le site officiel. Et la version pour iOS a été mise à jour pour supporter les proxies.
Cette documentation est nécessaire pour aider les individus à gagner en autonomie, même si dans les faits les Iraniens et les Iraniennes connaissent déjà assez bien les moyens de contourner la censure, puisqu’ils y sont confrontés régulièrement, tout comme les autres populations confrontées à un régime autoritaire. « La plupart des Iraniens sont adeptes de l’utilisation de VPN et de logiciels qui les aident à contourner les filtres de l’État », indiquait plus tôt ce mois-ci le journaliste de la BBC Shayan Sardarizadeh.
Starlink se mobilise en Iran, avec l’accord de Washington
Dans un autre genre, les États-Unis ont pris la décision de modifier le périmètre de leurs sanctions contre l’Iran de manière à ce que Starlink — le fournisseur d’accès à Internet américain qui se sert de satellites pour connecter les individus — ait le droit d’opérer en Iran — et que les internautes ne puissent pas être coupés par le régime. Anthony Blinken, le ministre des Affaires étrangères américain, l’a confirmé le 23 et Elon Musk, le patron de Starlink, a dit que l’activation était en cours, le même jour.
Impossible évidemment de ne pas penser à ce qui a été fait du côté de l’Ukraine, où Starlink a aussi été mobilisé. Des milliers de kits de connexion ont ainsi été envoyés sur place. Concernant l’Iran, toutefois, il sera sans doute plus difficile de contourner la censure iranienne. Alors que l’Ukraine était demandeuse des kits, l’Iran ne l’est pas du tout. Faire entrer ce matériel dans le pays sera bien plus compliqué. Il faut en outre des stations terrestres opérationnelles dans les parages.
« Si l’on met de côté la nécessité de disposer d’équipements satellitaires spéciaux (dont il est peu probable qu’ils soient disponibles en Iran), leur utilisation peut s’avérer dangereuse en temps de guerre, comme le prouve l’histoire des États qui ont utilisé les signaux pour géolocaliser des personnes », a-t-il été rappelé. C’était un risque déjà identifié en Ukraine. Le média The Intercept considère aussi que Starlink ne résoudra probablement pas la question de la censure du net en Iran.
Outre les problématiques de couverture de l’Iran par des signaux satellitaires, la difficulté de faire entrer des kits de connexion dans le pays, mais aussi de s’en servir en toute sécurité, il y a aussi l’organisation du réseau dans le pays. Celui-ci est très centralisé, beaucoup plus que l’Internet français par exemple. De fait, il est plus facile de bloquer un service en Iran qu’en France ou en Europe, où les structures sont davantage décentralisées.
Des opérations plus offensives menées par des hackers
Le rétablissement de la connectivité et la lutte contre la censure et les interruptions de service ne sont pas les seuls axes d’action. Il y a aussi des opérations bien plus offensives qui commencent à être observées. Des attaques par déni de service distribuées (DDOS) auraient également touché des agences d’État et les sites des dirigeants iraniens, rapportait le journaliste Jeff Stone le 21 septembre. Et il y a aujourd’hui d’autres manœuvres signalées.
D’après les observations de Check Point Research, des groupes de pirates se servent de Telegram, Signal et du « dark web » pour aider les manifestants anti-gouvernementaux en Iran à contourner les restrictions du régime. Et ici, il ne s’agit pas de rétablir Internet, mais de prendre pour cible des cadres du régime et des personnes travaillant dans l’appareil d’État iranien. D’autres fournissent aussi des outils pour contourner la censure.
Sur Telegram par exemple, le groupe Atlas, qui rassemble 900 membres, se focalise sur la fuite de données, comme des numéros de téléphone et des mails d’officiels. Il est aussi question de plans des lieux sensibles. Idem pour Arvin, un autre groupe sur Telegram, qui réunit 5 000 personnes, ou RedBlue, qui compte 4 000 membres sur la plateforme. Les modes opératoires sont variés. Certains groupes cherchent aussi à tirer profit de la vente de données concernant le pouvoir iranien sur des sites pirates.
Les restrictions touchant l’Internet iranien sont considérées comme les plus sévères depuis 2019 — Téhéran étant déjà notoirement connu pour une forte censure : c’est le deuxième pays d’Asie pour le nombre de cas de restriction du net, selon Surfshark, une solution VPN. Reste une interrogation : ces initiatives hors d’Iran pour aider à distance la population arriveront-elles à faire la différence ? Et jusqu’où la révolte populaire comme la répression vont-elles aller ?
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