Elle est l’une des plus grandes peintres de l’histoire. La scène a donc de quoi faire frémir le monde de l’art : un collectionneur a brûlé un dessin de Frida Kahlo. Le but ? En faire un NFT, puisque l’œuvre a été entièrement scannée avant cet acte de destruction. C’est ce que rapporte The Art Newspaper, le 28 septembre dernier, après un premier reportage publié par le Mexico Daily Post.
Le dessin de la peintre mexicaine, baptisé Fantasmones Siniestros (« sinistres fantômes »), date de 1944. Il provient de son journal intime. Sa valeur initiale est de 10 millions de dollars. C’est dans une villa privée de l’entrepreneur et collectionneur Martin Mobarak que la scène a eu lieu, cet été. Dans la vidéo, prise sur le moment, on le voit sortir d’un sac le dessin encadré, avant de le placer sur un verre à cocktail. Puis il sort un briquet et l’on voit alors le dessin s’enflammer sur fond d’applaudissements du public. L’œuvre termine en cendres, dans le verre.
La démarche de l’entrepreneur vient avec un discours. Il n’estime pas qu’il s’agit là d’un acte de destruction, mais qu’il contribue au contraire à montrer l’œuvre au monde. « Transformer cette œuvre en NFT est la façon dont nous pouvons immortaliser les œuvres et sa vie, nous faisons le pont entre l’art traditionnel et le nouvel art, qui est l’art numérique », avance Martin Mobarak dans une interview datant d’août. « C’est quelque chose qui va générer une controverse, avec cela nous pouvons assurer le succès de ce projet. »
Le projet en question se nomme FridaNFT, un site créé par l’entrepreneur, et où l’on trouve une collection de NFT de Frida Kahlo. On y trouve une « collection limitée » de 10 000 jetons non fongibles de Fantasmones Siniestros à acheter dans la blockchain — une « connexion authentique à ce chef-d’œuvre » d’après le site.
Une enquête ouverte pour « destruction d’un monument artistique »
La destruction du dessin n’a pas seulement choqué les amateurs et amatrices d’art : la situation revêt un caractère légal. Peu de temps après la diffusion de l’information, le Mexican National Institute of Fine Arts (Institut mexicain des beaux-arts et de la littérature) s’est emparé de l’affaire en ouvrant une enquête pour « destruction délibérée d’un monument artistique ».
Dans le droit mexicain, les œuvres de Frida Kahlo ont un statut particulier comme monument artistique. Ce faisant, toute destruction, a fortiori volontaire, relève d’un crime. D’après les informations du Mexico Daily Post, toutefois, Martin Mobarak baserait sa défense sur l’idée que son acte ferait au contraire fructifier le patrimoine national. Les NFT de l’œuvre permettraient in fine de récolter 40 millions de dollars, qui pourraient aller selon lui à des institutions comme le Frida Kahlo House Museum. Le National Institute of Fine Arts and Literature of Mexico estime cependant que cette affirmation est fausse.
Le dessin brulé de Frida Kahlo était-il un faux ?
Néanmoins, il y a un twist, qui rend cette histoire encore plus étonnante : on ignore si Mobarak a brûlé l’original, ou bien une copie. C’est aussi ce que doit déterminer l’enquête ouverte par l’Institut mexicain.
« Il a détruit les preuves qui auraient pu déterminer si c’était réel ou non. N’est-ce pas pratique ? » interroge James Oles, spécialiste de l’art latino-américain, auprès du magazine Vice. Il s’avère que les faux de Frida Kahlo sont assez courants sur le marché — y compris les faux certificats.
Le témoignage d’une certaine Mary-Anne Martin ajoute des doutes à l’histoire de l’entrepreneur. Marchande réputée dans le domaine de l’art latino-américain, elle a participé à la vente du dessin concerné à deux reprises, en 2004 puis en 2013. Elle confirme à Vice qu’elle n’a jamais vendu le dessin à Mobarak lors de ces occasions, et qu’elle n’a jamais entendu parler de lui avant cette affaire. « Tout cela est très bizarre », confie-t-elle.
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