Les études se suivent, et se contredisent. Le 27 septembre 2022, les nouveaux chiffres de l’université de Cambridge démontraient que la production de bitcoin ne représentait que 0,10 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre, avec 48,35 Mégatonnes de CO2.
Le 29 septembre, c’était au tour d’une étude, publiée dans la revue scientifique Nature, de faire part de ses conclusions, à l’opposée de celle de Cambridge. Selon les chercheurs, le minage de bitcoin aurait un impact sur l’environnement semblable à celui de l’industrie de la viande de bœuf et de celle du pétrole brut.
Comment deux études, publiées par des instituts reconnus pour leur sérieux, peuvent-elles arriver à des conclusions à première vue complètement opposées ?
Des méthodologies différentes pour estimer la consommation du bitcoin
Ce ne sont pas les deux premières études qui se contredisent. La consommation en énergie du bitcoin est un sujet extrêmement sensible, qui déchaine les passions des pro et des anti-bitcoins. C’est une question pour laquelle il est ardu d’avoir une réponse claire et précise — et ce manque de précision alimente toujours plus les arguments de chaque camp. Afin de mieux comprendre comment on peut en arriver à des conclusions si divergentes, il faut regarder de plus près.
D’un côté, l’université de Cambridge a calculé la quantité d’énergie consommée par an par les mineurs de bitcoin, et la quantité de gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère. De l’autre, l’étude publiée dans Nature a cherché à quantifier « le coût des dommages infligés au climat par le minage de bitcoin ».
Ces deux approches différentes ont forcément des résultats différents, qui ne sont pas toujours comparables. L’université de Cambridge parle surtout de TWh consommés et de mégatonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère, tandis que l’étude de Nature parle du coût social du carbone lié à la production de bitcoin. Une étude parle en quantité, et l’autre s’exprime en prix.
Il est donc difficile de comparer ligne par ligne ces deux études, qui diffèrent dans leurs méthodologies autant que dans leur but. Surtout, elles ne s’appuient pas sur les mêmes chiffres : Nature a calculé le coût social du bitcoin en considérant que le bitcoin consommait 75,4 TWh d’électricité. Cambridge estime plutôt qu’il s’agit de 95,42 TWh. Si les données sont aussi divergentes, c’est parce que les chiffres sont encore très difficiles à avoir.
La guerre des chiffres
« L’estimation de la consommation en énergie des mineurs se base sur leur adresse IP. Or, cette adresse ne montre pas la réalité de l’endroit, et donc n’est pas forcément représentative du mix énergétique », rappelle Alexandre Stachtchenko, le cofondateur du cabinet de conseil dans les crypto-monnaies Blockchain Partner et directeur Blockchain & Cryptos chez KPMG France.
Un exemple souvent utilisé par l’industrie de la crypto pour illustrer cette différence est celui des énergies fatales, un terme décrivant les surplus d’énergie produits, mais non utilisés. Ces surplus sont parfois utilisés par des mineurs, notamment en Chine avec de l’énergie hydroélectrique. Pour ces mineurs, le calcul est faussé par leur adresse IP : la Chine étant le pays le plus pollueur au monde, ils seront comptabilisés comme ayant un mix énergétique plus carboné qu’il ne l’est en réalité.
L’inverse existe aussi : nombreux sont les mineurs qui changent la localisation de leur adresse IP afin d’apparaitre dans un autre pays. C’est notamment ce qu’a fait une partie des mineurs chinois pour se cacher lorsque les dirigeants du pays ont interdit leur activité.
Pour Hugues Ferreboeuf, qui dirige un projet d’étude de l’impact du numérique sur l’environnement, d’autres éléments rentrent en compte pour expliquer les différences. « Les émissions du bitcoin viennent aussi du fait que l’on produit des équipements pour le minage. » La création de bitcoins passe par la création de blocs. Pour créer ces blocs, il faut suivre un protocole de « proof of work » : les mineurs doivent répondre à des équations très complexes, et trouver en premier la réponse — en récompense de quoi, ils reçoivent des bitcoins.
« L’université de Cambridge ne juge que la consommation d’électricité des mineurs, mais c’est restrictif, parce que l’on peut dire qu’une bonne partie des mineurs de bitcoin qui ont investi dans des équipements ne l’auraient pas fait sans la crypto-monnaie », estime Hugues Ferreboeuf. La question des équipements fait polémique dans la communauté bitcoin, car les mineurs expliquent qu’ils peuvent garder leur machine pendant des années.
Il faut rajouter à tout cela les pertes d’électricité, explique-t-il. « Il y a une différence entre l’énergie consommée et l’énergie produite, car une partie se perd ». C’est un phénomène qui est connu depuis des années, et qui ne concerne pas que les mineurs de bitcoin : une partie de l’électricité se perd lors du transport entre le point de production et le point de livraison. « Donc, si l’on compte seulement celle qui est consommée, cela n’est pas forcément pertinent. » Surtout que les pertes peuvent être assez importantes : elles représentent entre 2% et 3% de l’électricité acheminée, selon RTE. Au final, même s’il y a des divergences entre les études, « cela ne veut pas dire que les résultats sont faux, cela veut dire que les paramètres sont différents », estime Hugues Ferreboeuf.
« Toutes les approches ont leurs défauts, conclut Alexandre Stachtchenko, et les hypothèses qu’elles vont générer peuvent montrer des chiffres très différents. Cependant, toutes les études ne se valent pas, certaines étant plus sérieuses que d’autres, comme celle de Cambridge. » Résultat, obtenir un chiffre fiable est encore un idéal, que les spécialistes cherchent toujours à atteindre. « Le bitcoin est nouveau et très dynamique, ce qui amène les chiffres à changer régulièrement. Même les meilleures estimations ne peuvent être considérées que comme des approximations, un ordre de grandeur plutôt qu’un chiffre absolu. »
C’est l’utilité du bitcoin qui fait débat
Finalement, selon Alexandre, le débat ne serait pas tant écologique qu’idéologique. « Si le débat était purement écologique, alors il y aurait une levée de boucliers contre l’utilisation des sèche-linges », des appareils électroménagers qui ont une forte consommation d’électricité comparée aux autres. « Le problème fondamental du bitcoin, c’est qu’il y a une mauvaise connaissance de son utilité. Il est traité de manière négative, parce que personne ne le comprend. »
Tant que les personnes qui dénigrent le bitcoin n’ont pas l’occasion de se servir des crypto-monnaies, cela restera compliqué de faire comprendre son utilité, estime-t-il. « Pour quelqu’un qui pense que le bitcoin est un casino géant qui permet juste de spéculer, c’est sûr que le bitcoin consommera toujours trop d’énergie ».
Doit-on juger le bitcoin sur son utilité, ou sur sa consommation énergétique ? Pour Hugues Ferreboeuf, la question n’est pas là : « Même en prenant les chiffres de l’université de Cambridge, et en considérant que le bitcoin représente 0,1 % du total des émissions, il faut arrêter de se poser des questions dans l’absolu, et juste réduire notre consommation. »
Dans un objectif de réduction globale les émissions à effet de serre, « un nouveau secteur comme le bitcoin, qui a augmenté sa consommation d’énergie de 40 % depuis 4 ou 5 ans, forcément, cela choque ». D’autant plus qu’avec la forte demande des mineurs en matériel, Hugues Ferreboeuf estime que le bitcoin empêche certains secteurs, comme l’informatique, de réduire ses émissions.
« Aujourd’hui, la situation écologique fait que l’on doit se poser la question de savoir si c’est une activité importante maintenant, pas dans le futur. Il va falloir que l’on fasse une distinction entre les services essentiels ou pas, et pour l’instant le bitcoin ne me parait pas essentiel. » Quoi qu’il en soit, les avis d’Hugues Ferreboeuf et d’Alexandre Stachtchenko continueront de diverger sur la question — et il y aura certainement encore d’autres études divergentes qui viendront appuyer leurs points de vue.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.