À quoi joue Meta ? Depuis son changement de nom en octobre 2021, le groupe de Mark Zuckerberg, que le monde connaît surtout sous l’identité de Facebook, semble tout miser sur ce qu’il appelle « métavers ». Meta est convaincu que le futur de l’humanité se passera dans une sorte d’Internet en 3D, accessible notamment depuis les casques de réalité virtuelle, comme ceux qu’il fabrique (les Oculus, renommés Meta Quest). Problème, la mayonnaise ne prend pas. Fin 2022, les résultats de Meta sont mauvais, tandis que pas grand monde ne semble s’intéresser au métavers (à vrai dire, la plupart des gens qui en parlent s’en moquent).
Meta s’est-il trompé de stratégie ? A-t-il plusieurs d’années d’avance sur le monde ? Ou est-il victime de sa mauvaise communication ? Selon nous, la troisième hypothèse est la bonne. Après un mois avec le casque Meta Quest Pro, incompris par certains, adoré par d’autres, il nous semble assez évident que le groupe de Mark Zuckerberg dispose d’une technologie en or… qu’il est incapable d’exploiter dignement. Dans ce test, nous allons donc dissocier trois choses : le casque, le métavers et la réalité mixte, qui a le potentiel de provoquer une révolution technologique aussi grande que le smartphone il y a 15 ans.
Ce test ne parlera pas de métavers
Au vu de la communication de Meta, il serait tentant de tester le Quest Pro en tant « qu’appareil pour accéder au métavers ». Numerama ne tombera pas dans ce piège. Pourquoi ? Parce que nous l’avons déjà fait. Tout au long de l’année 2022, vous avez pu retrouver plusieurs articles sur le sujet :
- Pendant une semaine, nous nous sommes interdits l’usage de la télévision et du smartphone à la maison. Cela nous a permis de vous présenter les applications de métavers disponibles sur le marché.
- Au lancement d’Horizon Worlds, le métavers officiel de Facebook, nous avons passé plusieurs heures à la rencontre des Français qui s’intéressent au concept.
- La dernière conférence de Meta était diffusée dans le métavers. Numerama a participé à cette expérience.
Selon nous, Meta fait fausse route en présentant le métavers comme la finalité ultime de ces objets de réalité virtuelle/mixte. En faisant passer ce message, la marque incite les testeurs à « dégommer » son métavers plutôt qu’à s’interroger sur le futur permis par ces technologies nouvelles. C’est ce qu’il s’est passé aux États-Unis, où plusieurs journalistes de renom ont été très sévères avec le Quest Pro, parce qu’ils l’ont vu comme un produit fini pour accéder à un métavers existant — ce qui n’est pas le cas. Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de vous parler de réalité mixte (et un peu du casque, à la fin).
La réalité augmentée, pour la toute première fois
Depuis plusieurs années, on entend régulièrement parler de la réalité augmentée. Apple, Google, Samsung ou encore Pokémon Go, tous utilisent cette technologie pour ajouter du virtuel au réel, à l’aide de l’appareil photo de votre smartphone. Bien sûr, leur objectif ultime n’est pas d’afficher un Pikachu sur un écran. Le rêve de ces entreprises est le même : concevoir des lunettes de réalité augmentée capables d’ajouter des éléments à votre vision. Comme dans un film.
Croyez-le ou non, le Meta Quest Pro permet déjà tout ça. Grâce à la réalité mixte, que Meta appelle « Color Passtrough », il est possible pour la première fois d’avoir un aperçu de ce futur dont toutes les marques rêvent. Il ne s’agit pas de lunettes de réalité augmentée à proprement parler puisque le casque n’est pas translucide. Il y a bien des écrans derrière chaque lentille, comme avec un casque de réalité virtuelle. En revanche, grâce à plusieurs capteurs situés tout autour du casque, dont des caméras capables de voir en couleur, Meta peut vous donner l’impression de porter des lunettes.
Quand on porte le casque Quest Pro, on voit le vrai monde, grandeur nature, avec les bonnes couleurs. C’est la première fois que cette technologie est amenée de manière aussi avancée. Et comme le casque n’est pas complètement fermé, il permet de voir dans les coins avec sa vraie vision, afin de renforcer l’illusion. Il n’y a aucun décalage entre le virtuel et le réel.
Bien entendu, tout cela est perfectible. En l’état, la vue dans le Quest Pro est difficilement comparable à celle de ses rétines. La faute à une image beaucoup trop bruitée, qui rend beaucoup trop de choses floues. Le Quest Pro doit être vu comme un aperçu du futur, et non pas comme sa concrétisation. En voyant les choses de cette manière, alors on ne peut qu’être bluffé. Afficher une interface moderne au milieu de sa vision, lancer des vidéos tout en cuisinant, travailler sur des moniteurs externes virtuels, jouer sans perdre de vue le vrai monde… Tout cela devient possible et c’est vraiment impressionnant. Encore plus quand on sait qu’il ne suffit pas de mettre deux caméras pour recomposer la vue humaine, qui est infiniment complexe. Il faut vraiment l’essayer pour se rendre compte de la prouesse.
On peut faire quoi en réalité mixte ?
Faut-il parler de réalité augmentée ou de réalité mixte ? Sur le papier, l’expérience proposée avec le casque correspond à de la réalité augmentée. Cependant, il s’agit d’une illusion, puisque le vrai monde n’est retranscrit que grâce à des caméras et des écrans. Dans la suite de cet article, nous allons donc opter pour le terme réalité mixte.
Du coup, que peut-on déjà faire en réalité mixte ? La liste est malheureusement courte, mais prometteuse. Ce sera ensuite aux développeurs d’inventer les usages de demain :
- L’interface de Meta supporte la réalité mixte. On peut afficher les icônes de ses applications au milieu de sa vue, faire glisser un navigateur web dans un coin, discuter sur Messenger ou regarder des vidéos sans perdre le vrai monde. On peut facilement garder le casque plusieurs heures sur sa tête pour regarder la télé avec tout en rangeant son appartement, par exemple. À condition de ne pas avoir envie de vomir (ça peut arriver, mais c’est rare par rapport aux anciens casques).
- Grâce aux navigateurs (Meta Browser ou Firefox Reality), on peut afficher n’importe quelle fenêtre en réalité mixte. Une vidéo YouTube, un match sur myCANAL, un article sur un site web… À vous d’épingler dans un coin de votre vision une fenêtre virtuelle.
- Un usage que nous n’avions pas imaginé est le sport. Il n’existe pas encore de vraies applications de fitness en réalité mixte (on imagine qu’Apple sera le premier avec Fitness+ sur son propre casque), mais on peut tout de même s’en sortir pas trop mal grâce au navigateur web. Pour quiconque suit des cours en vidéo, le Meta Quest Pro est un formidable outil. Le prof reste en face de soi, y compris lors des exercices allongés. C’est assez génial, même s’il faut supporter les 722 grammes du casque sur sa nuque.
- Travailler en réalité mixte s’est avéré très plaisant. Grâce à un petit logiciel à installer sur son ordi (Meta Quest Remote Desktop), on a la possibilité de virtualiser trois écrans géants au milieu de sa vision. Une partie de ce test a été écrite dans ces conditions, avec un MacBook posé sur les genoux et 3 écrans géants qui en sortent.
- Il existe aussi de premières applications de divertissement en réalité mixte. Puzzling Places permet par exemple de fabriquer des puzzles en 3D au milieu de son salon, Wooorld permet d’explorer la carte du monde avant de s’y téléporter grâce à Google Street View tandis que Figmin XR, dont le concept est plus abstrait, permet d’ajouter des objets en réalité augmentée et de dessiner. Il y a aussi Tribe, qui permet de prendre des cours de mix avec un DJ, ce qui ouvre la voie à de nouveaux types d’enseignement à distance. Toutes ces expériences ne se valent pas, mais elles restent futuristes. On a tellement hâte de pouvoir ajouter une table de ping-pong virtuel au milieu de son salon, plutôt que d’avoir à se téléporter dans un faux monde en réalité virtuelle.
Une des grosses limitations actuelles de la réalité mixte est qu’elle ne fonctionne pas en extérieur, puisque la lumière du soleil aveugle plusieurs capteurs du Meta Quest Pro. Autrement, il aurait été possible de s’en servir comme d’un GPS (à condition que la société accepte des individus avec de tels appareils sur la tête, ce qui est encore un autre débat). Autre limite : beaucoup d’applications, comme celle dédiée au contrôle de son ordinateur (Horizon Workrooms), vous obligent à utiliser les manettes. C’est dommage, puisque le contrôle avec les mains fonctionne très bien et permet d’utiliser le casque de manière transparente.
Sur plein d’aspects, Meta donne l’impression de ne pas mesurer le potentiel de son casque. Comment se fait-il que la marque communique autant sur la réalité virtuelle et le métavers alors qu’elle possède la première plateforme de réalité mixte du monde ? Meta nous donne l’impression de sous-estimer le potentiel de cette technologie, ce qui nous inquiète. Il n’a plus qu’à espérer que les développeurs comprennent que la réalité mixte peut séduire bien plus largement, et misent tout dessus.
Le suivi des yeux et des expressions impressionne
Il est temps de parler du casque. En plus d’être le premier capable de réalité mixte (enfin, le premier de cette ampleur. Il y en a d’autres, comme le français Lynx), le Meta Quest Pro introduit deux technologies extrêmement prometteuses :
- Le suivi des yeux, qui permet grâce à des caméras situées à l’intérieur du casque de savoir où l’utilisateur regarde. Cela permet d’améliorer la qualité de l’image et de retranscrire le regard dans les applications où tout est virtuel, comme les métavers.
- Le suivi des expressions du visage, là encore grâce à des caméras situées à l’intérieur. On peut sourire, bailler, cligner des yeux… Le casque le retranscrit et anime votre avatar.
À quoi cela sert-il ? Pour l’instant, à rien. Rares sont les applications qui utilisent ces capteurs, ce qui rend ces technologies ultra sophistiquées très limitées. Dans le futur, nul doute que ce que détient Meta l’avantagera. Les Animojis d’Apple avaient impressionné grâce à leur suivi des expressions, nul doute que Meta fera aussi bien dans son monde virtuel. On imagine mal Apple se lancer sur ce marché sans imiter le groupe de Mark Zuckerberg…
Enfin, on imagine une autre utilisation du suivi des yeux : l’orthoptie. Rééduquer des yeux en faisant suivre un point est possible grâce aux capteurs du casque, ce qui pourrait être une vraie prouesse médicale (si un développeur l’exploite).
Il vaut quoi ce Meta Quest Pro ?
Dans ce test, nous avons fait le choix de ne pas parler du Meta Quest Pro en tant que casque de réalité virtuelle. D’autres le feront mieux que nous, et il nous semblait important de parler de la technologie, alias la réalité mixte, plutôt que du produit.
À 1 799 euros, il nous semble de toute façon peu probable que le Meta Quest Pro devienne un immense carton. L’essentiel est que les développeurs s’équipent afin de préparer les expériences de demain.
Toutefois, comment finir ce test sans parler du Meta Quest Pro, qui a autant de qualités que de défauts ?
Sur beaucoup d’aspects, Meta nous a donné l’impression de ne pas avoir fini son produit. Caméras en réalité mixte trop bruitées, boutons de volume et d’alimentation trop petits, poids trop réparti à l’arrière, clavier pas facile à utiliser (alors qu’il suffirait de mettre ses doigts…), absence d’assistant vocal et, surtout, de nombreux bugs. Lors de nos longues sessions de tests, il a souvent fallu redémarrer 3 à 4 fois pour que les écrans arrêtent de scintiller ou que les manettes soient déconnectées. La dernière mise à jour a amélioré le tout, mais c’est tout de même étonnant à 1 800 euros. Le Quest 2, à 450 euros, n’a pas ces bugs. On aurait aimé un produit constamment réactif, et cela nous inquiète quand on sait qu’Apple va arriver prochainement avec ses super puces Apple Silicon.
On pourrait aussi reprocher le choix de Meta d’utiliser un écran LCD (mini-LED) plutôt qu’OLED, ce qui fatigue les yeux plus vite. Pour avoir déjà essayé des casques avec des écrans OLED ou micro-LED, on peut vous assurer que la différence est flagrante. Toutefois, la qualité est bonne au quotidien et les nausées provoquées par la réalité virtuelle sont rares. Le Quest Pro est l’un des produits les plus agréables à utiliser sur cette catégorie.
Quid de l’autonomie, décriée par certains ? Au vu des usages actuellement disponibles en réalité mixte, elle reste encourageante. Le casque tient environ 3 heures sur une charge, mais on le retire souvent bien avant. Pour travailler, il est possible de le connecter avec un fil. Bref, c’est un faux problème.
Enfin, comment ne pas critiquer le socle de recharge du Meta Quest Pro, qui permet d’alimenter magnétiquement le casque et les deux manettes (manettes vraiment superbes, d’ailleurs) ? Sa tolérance est si faible qu’il arrive plus souvent de mal poser ses appareils que l’inverse. On ne comprend pas comment Meta a pu valider cet accessoire. Heureusement, le casque a un port USB Type-C.
Le verdict
Meta Quest Pro
Voir la ficheOn a aimé
- OK, la réalité mixte est cool
- Le suivi des yeux et des expressions fonctionne bien
- Le design du casque est plutôt réussi
- Plein d’usages intelligents (écrans virtuels, sport, divertissement, jeux…)
On a moins aimé
- La réalité mixte est trop floue
- La station de recharge est affreuse
- Pas d’écrans OLED
- Pas mal de bugs au lancement
- Le prix, qui devrait être divisé par deux
Croyez-le ou non, le Meta Quest Pro est un aperçu du futur. Peu importe ce que vous pensez de Meta, du métavers ou même de Mark Zuckerberg, ce casque à 1 799 euros ne doit pas être jugé pour ce qu’il est aujourd’hui, mais pour ce qu’il montre de demain. Et la réalité augmentée, sous sa forme mixte, s’avère à la hauteur de nos rêves les plus fous. Cuisiner en regardant une vidéo projetée sur un mur, faire du sport avec un prof au milieu du salon, travailler sur plusieurs écrans géants en mobilité, jouer à des jeux sans avoir à investir dans du matériel coûteux… La réalité augmentée au milieu de sa vision est une incroyable promesse, à condition qu’elle évolue dans le bon sens.
Parce qu’en effet, le Meta Quest Pro est aujourd’hui un produit tout juste moyen. Bourré de bugs, d’une qualité visuelle nettement améliorable et pas encore assez léger pour être oublié, le Meta Quest Pro n’est pas un produit conçu pour toutes et tous, encore moins à son prix faramineux. Quoi qu’il en soit, ce qu’il montre est extrêmement alléchant. On a déjà hâte de découvrir son successeur et la proposition de la concurrence, en particulier celle venant d’un de ses voisins californiens.
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