Il est de ces figures de l’ombre méconnues du grand public, mais dont l’impact résonne toujours aujourd’hui. Le 11 janvier 2023, Aaron Swartz aurait eu 36 ans. Mais, il y a 10 ans, ce jeune Américain s’est donné la mort, écrasé par la pression d’un procès contre lui, qui allait s’ouvrir un mois plus tard autour de son hacktivisme en faveur du libre savoir.
La disparition brutale d’Aaron Swartz a constitué un choc parmi les internautes qui partageaient ses convictions, et même au-delà. Elle a surtout exposé au grand jour le débat sur l’accès sans contrainte aux connaissances scientifiques. Un débat qui reste toujours d’actualité aujourd’hui, et qui s’est depuis propagé à d’autres domaines, comme la culture.
Une figure tragique de « l’open access »
C’est justement son combat pour « l’open access » qui lui a valu de très fortes représailles judiciaires. C’est pour son engagement qu’il est considéré comme un « martyr du web ». Son principal fait d’armes a été d’avoir récupéré des articles universitaires en passant par une base de données depuis le réseau du Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Aaron Swartz, à l’époque, n’avait pas fait dans la demi-mesure : 4,8 millions de documents provenant de la bibliothèque numérique JSTOR (Journal Storage) avaient été aspirés, avec l’objectif d’en faire bénéficier le plus grand nombre. Un geste fort, mais qui avait conduit le jeune homme à percuter de plein fouet la législation américaine, intraitable en matière de copyright.
Dix ans après, beaucoup reste encore à faire pour le libre accès — preuve en est avec une foire aux questions du JSTOR, en 2017, qui rejetait l’idée de tout ouvrir sans contrepartie : « Nous ne pensons pas que, parce qu’une chose est dans le domaine public, elle peut toujours être fournie gratuitement ». Mais, l’activisme d’Aaron Swartz a aussi eu des victoires.
Cette empreinte-là du militant du net — il est décrit comme un pur enfant d’Internet dans un documentaire de 2014 qui lui est consacré — n’est peut-être pas la plus spectaculaire pour les internautes. C’est aussi à travers son action, entre autres, que l’on peut plus facilement accéder aux informations scientifiques sur Internet — et sans avoir à se soumettre à un péage à l’entrée.
Son apport au réseau des réseaux s’est avéré en fait bien plus vaste que cela. Il n’était en tout cas pas que le « pirate » du JSTOR, aux yeux de ses contempteurs, en témoigne sa présence dans de nombreux projets qui sont toujours vivaces en 2023. Si vous fréquentez le site web Reddit, par exemple, c’est aussi grâce à lui. Idem si vous utilisez les licences libres Creative Commons.
Un talent et une intuition précoces
C’est sa précocité, d’abord, qui étonne. Dès le début de l’adolescence, Aaron Swartz a été un pionnier et a fait preuve d’une lucidité remarquable. C’est, par exemple, à l’âge de 14 ans qu’il participe à l’élaboration de la spécification 1.0 du format RSS (Really Simple Syndication), un système qui permet de s’abonner au flux d’un site web pour recevoir ses dernières actualités.
Si les flux RSS sont tombés en désuétude (ils étaient populaires dans les années 2000 à l’ère des blogs), ils existent toujours et permettent de regrouper au sein de son navigateur tous les fils des sites que l’on fréquente. L’un des avantages du RSS ? Pas besoin de visiter le site pour savoir si un nouveau contenu a été publié : on est alerté directement par un petit signal.
C’est aussi à l’âge de 14 ans qu’on le retrouve dans la genèse des licences libres Creative Commons — qui sont les plus utilisées aujourd’hui. C’est à cette époque qu’il rencontre d’ailleurs Lawrence Lessig, juriste qui a façonné l’organisation qui chapeaute ces contrats, en opposition au copyright. Avec ces licences, des photos et des vidéos peuvent largement être partagées.
Faut-il vraiment s’en étonner ? Après tout, dès 12 ans, le jeune homme remportait un prix en informatique pour avoir créé une sorte de proto-Wikipédia. Cela s’appelait « The Info Network » et il s’agissait d’une encyclopédie collaborative. Nous sommes alors en 1999. Le Wikipédia que l’on connaît n’est lancé que deux ans plus tard, en 2001 (ou 2000 si l’on se réfère à Nupedia).
À 19 ans, il rejoint l’aventure Reddit, alors qu’elle vient à peine de se lancer. Nous sommes en 2005. Reddit, un site qui n’a cessé de gagner en fréquentation depuis, permet de se constituer des communautés autour de centres d’intérêt et de partager des actualités. Les internautes les commentent et les classent, ce qui permet de faire ressortir, en principe, les meilleurs sujets.
L’aventure Reddit ne durera qu’un temps. Il est parti un an plus tard, lorsque le site a pris un virage commercial avec la prise de contrôle de sa maison mère par Condé Nast, un groupe médiatique, en revendant ses parts. Déjà, ses convictions étaient très marquées. Elles se développeront encore dans les années à venir, notamment au fil de l’actualité législative américaine.
Un militantisme contre des dérives du net
Outre ses contributions techniques — il a aussi été un contributeur clé du langage Markdown et a rejoint l’organisme de normalisation W3C pour œuvrer dans le groupe de travail du standard RDF (Resource Description Framework) –, on l’a aussi vu descendre dans une arène plus politique. Cela dit, toutes ses contributions portaient déjà une vision politique du numérique.
Sur le terrain des libertés numériques et du respect des libertés fondamentales, il fonde le collectif Demand Progress. Celui-ci s’est engagé contre les projets de loi SOPA (Stop Online Piracy Act )et PIPA (Protect IP Act) aux États-Unis, qui n’ont jamais été promulgués. Elles étaient basiquement accusées de permettre de censurer le net au nom de la protection de la propriété intellectuelle.
Demand Progress, qui permet de lancer des pétitions, a depuis été engagé sur de nombreux autres sujets, allant du soutien en faveur du lanceur d’alerte Edward Snowden (dont les révélations ne seront jamais connues d’Aaron Swartz, mort quelques mois plus tôt) à l’abrogation du Patriot Act, texte sécuritaire américain né sur les cendres du 11 septembre 2001.
Aujourd’hui, Aaron Swartz n’est plus. Mais, dix ans après sa disparition, le web a gardé des traces toujours vivaces de son activisme. Que ce soit Reddit, les RSS, les licences libres Creative Commons, la lutte contre les lois SOPA et PIPA et sur les enjeux du libre accès aux connaissances scientifiques. Son héritage est toujours bien vivant, dix ans plus tard.
(mise à jour pour corriger une indication sur l’accès aux fichiers du JSTOR)
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