Dans le courant de l’après-midi, mardi 24 janvier, l’Assemblée nationale est susceptible d’opter pour une « punition » législative dont l’impact sera considérable pour « l’intégralité de l’écosystème blockchain et crypto français », avait alerté Owen Simonin, aka Hasheur, fondateur et CEO de la plateforme d’investissement crypto Meria (ex-Just Mining).
Cette actualité parlementaire qui donne des vertiges à la communauté crypto, c’est la surprise créée par le Sénat en obligeant, avant le 1er octobre prochain, la demande d’un agrément PSAN. Pionnière en matière de réglementation des actifs numériques, la France dispose d’un système à deux étages : un enregistrement obligatoire auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF), relativement accessible, et un agrément optionnel, dont la procédure se montre plus retorse.
On doit ce petit texte qui déchaîne les passions depuis la mi-décembre à Hervé Maurey, un sénateur de l’Eure (Normandie). Traditionnellement peu regardant sur les problématiques crypto, ledit sénateur Maurey avait déposé un amendement au code monétaire et financier pour sécuriser ce secteur du bitcoin « complexe et sujet à risques ». Un amendement consistant à insérer un article additionnel, qui impose à tout PSAN d’être agréé au préalable par l’AMF.
« La faillite récente de la société FTX a mis en lumière les risques inhérents à tout investissement dans des cryptoactifs, en particulier lorsque la société exerce hors de toute régulation », avait-il motivé, exhortant ses collègues à intervenir « pour éviter tout détournement du cadre règlementaire » actuel.
Au sévisse de la France ?
Le Sénat craint que de nouveaux opérateurs crypto ne se précipitent pour demander l’enregistrement en France afin de bénéficier de la clause d’antériorité prévue dans MiCA (Markets in Crypto-Assets). Ce règlement européen sur les marchés des cryptoactifs apportera une base légale commune à l’ensemble des 27 États membres. Il prévoit un agrément européen obligatoire, mais aussi une période de transition de 18 mois pour des acteurs déjà enregistrés.
Les sénateurs ont donc voulu couper l’herbe sous le pied des entreprises crypto qui auraient voulu profiter de l’enregistrement français, afin de continuer leurs activités sans agrément jusqu’en 2026. La plupart des PSAN seraient incapables de satisfaire les exigences de l’agrément, admettait Hervé Maurey.
Jean-Noël Barrot, le ministre délégué chargé de la Transition numérique, avait directement reconnu que l’initiative du sénateur était une « piqûre de rappel bienvenue », compte tenu de l’actualité du marché crypto. Néanmoins, il avait requis le retrait de l’amendement qui lui paraissait « excessivement restrictif du fait de contraindre les entreprises à l’agrément alors que l’écosystème qui s’est développé en France permet à notre pays d’être identifié en Europe comme étant attractif. »
Sur l’échelle de gravité, on peut certainement abaisser le curseur, dédramatise Hubert de Vauplane, avocat associé auprès du cabinet d’affaires américain Kramer Levin, interrogé par Numerama. Responsable du pôle Fintech & Crypto à Paris, il a évolué plus de 30 ans dans le secteur bancaire et financier, apporté son expertise au sein de grandes institutions. Il a personnellement piloté les démarches d’enregistrement d’exchanges crypto, auprès de l’AMF.
« Beaucoup d’émois et d’incompréhension. Tout prestataire crypto ne devra pas passer à l’agrément. Les règles n’ont pas été modifiées en plein jeu. Pour les acteurs déjà enregistrés, rien ne change sensiblement », ponctue l’avocat associé de Kramer Levin. Selon lui, cet émoi cache une autre inquiétude : la crainte que beaucoup de PSAN ne passent pas l’examen de l’agrément.
« Sur la soixante d’entreprises enregistrées, au moins une trentaine n’auront pas les moyens financiers, pas les moyens humains ou les moyens d’expertise. Pas tellement l’expertise crypto, mais de broker, des marchés financiers, l’expertise de la réglementation bancaire qui leur manquent. Un certain nombre d’acteurs vont disparaître, plusieurs étant déjà mal en point, voire à vendre », assure-t-il.
« Les acteurs crypto manquent de culture réglementaire »
Le trouble jeté proviendrait plutôt de l’approche de l’industrie crypto française, qui n’aurait pas considéré à sa juste valeur l’environnement réglementaire. « L’enregistrement PSAN était en fait une sandbox sophistiquée, offrant la possibilité d’agir dans un cadre limité et de façon temporaire. Il faut pouvoir en sortir et passer à l’étape supérieure. Cela amènera un grand nettoyage dans le secteur, ce qui est une bonne chose, car le marché ne peut pas travailler avec des acteurs qui n’ont pas la culture de la réglementation chevillée au corps », relativise Hubert de Vauplane.
Les entrepreneurs natifs de l’univers du bitcoin jonglent avec le codage, mais n’auraient pas les codes des marchés financiers traditionnels. Une culture que certains acteurs crypto se sont imposés par anticipation, mais que d’autres redécouvriraient parfois naïvement, s’inquiétant de devoir se plier à la marche forcée de la réglementation. Notamment en termes de coûts, présentés comme insurmontables.
« Globalement, entre vos coûts de fonctionnement, vos coûts réglementaires, le tout lissé sur trois ans en suivant le raisonnement du régulateur, cela représente 1 million d’euros environ, en fonction des fonds propres. Lever 1 million dans le milieu de la fintech, ce n’est pas compliqué, c’est de la love money. Le problème ne se situe pas au niveau du montant, du coût, mais plutôt du mindset, l’état d’esprit des acteurs », estime l’avocat d’affaires.
Le coût serait ajustable, cet argent partant en charges de fonctionnement, en capitaux propres, en matériels et logiciels informatiques divers.
Régulateurs « techniquement bons », mais gesticulation politique autour de la crypto
L’émoi parcourant l’écosystème crypto face à l’intervention des législateurs alimente une critique qui aurait perdu en pertinence : l’incompétence face à des technologies émergentes. « C’est un procès d’intention, en tous les cas pour les régulateurs français qui disposent de personnes objectivement et techniquement très compétentes. À l’AMF, à l’ACPR, à la Banque de France, surtout à la banque centrale d’ailleurs — à cause de ou grâce à la monnaie numérique — où ils sont obligés de se plonger dans les stablecoins, etc. », relate Hubert de Vauplane.
Pourtant, cette accélération du calendrier réglementaire, sorte d’exception culturelle française qui apparaît inutilement redondante avec le cadre européen, ressemble à de la gesticulation politique superflue. Elle n’aurait pas empêché et n’arrêtera pas de nouveaux FTX. Rappelons que même Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, qui rêve « la France en hub crypto », a exprimé son opposition à cet amendement.
Les porteurs des nouvelles technologies doivent composer avec le système traditionnel et le principe démocratique, voulant que des mandataires qui n’y connaitraient pas grand-chose aient la liberté de proposer des mesures saugrenues. Mesures soutenues, parfois, jusque dans les hautes sphères. Ainsi, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a affirmé que la déroute du marché du bitcoin démontrait la nécessité d’imposer l’agrément « aussi vite que possible ».
Entre-temps, l’amendement de toutes les peurs pour l’industrie crypto française a été débattue ce 17 janvier en Commission des finances de l’Assemblée nationale. Pour éviter les confusions, les députés ont proposé de reformuler le texte légal en exigeant que seuls les nouveaux opérateurs doivent déposer leur demande d’agrément au 1er janvier 2024.
« Nous fixons une contrainte sans laquelle certains opérateurs se contenteraient d’un enregistrement pour profiter de la ‘clause du grand-père’ permettant de poursuivre l’activité jusqu’au mois de mars 2026 », a expliqué le rapporteur de la Commission pour rassurer les acteurs français déjà enregistrés.
Mais que fait l’Europe ?
« Cet amendement n’est pas tout à fait stérile, il suit un objectif politique basique d’action dans l’intérêt public, en termes de protection des investisseurs et des consommateurs. Mais, j’aurais préféré une mesure plus efficace, au niveau européen, avec une accélération du calendrier MiCA dont la mise en œuvre va prendre deux ans », nuance l’avocat associé de Kramer Levin. « Ce qui aurait été bien plus impactant qu’un agrément PSAN obligatoire. Pourquoi ne s’active-t-on pas davantage dans les institutions européennes ? »
Le nouveau cadre légal de l’Union européenne MiCA aurait pu éviter des scandales comparables à FTX, croit-on à la Commission européenne. Ce cadre européen est considéré comme un standard appelé à influencer la réglementation des cryptos au niveau mondial. Or, MiCA s’inspire fortement des modalités françaises de régulation et reprend largement les conditions fixées pour… l’agrément PSAN.
En attendant, les procédures de l’UE exigent que les actes juridiques tels que MiCA, qui a été négocié en anglais, soient disponibles dans les 24 langues officielles de l’Union. Les législateurs européens ont approuvé le principe de la loi, mais le texte de près de 400 pages donnerait du fil à retordre aux traducteurs juridiques. Repoussant le passage de MiCA en plénière du Parlement européen en avril prochain.
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