L’usage de Midjourney, Dall-E ou Stable Diffusion dans l’industrie culturelle n’est pas forcément anodin : c’est un choix qui consiste à privilégier une image produite par un algorithme, plutôt que l’œuvre d’un ou d’une artiste. Sur ce constat, le monde artistique a fait une levée de boucliers — comme l’illustrateur François Baranger — en alertant sur l’atteinte aux droits d’auteur de ces algorithmes, mais aussi sur l’impact socioéconomique pour les artistes.
La question infuse aujourd’hui le monde de l’édition : peut-on utiliser une image produite via Midjourney pour illustrer la couverture d’un livre ? De premiers exemples de ce type existent déjà en France. Les éditions Michel Lafon l’ont utilisé pour Poster Girl, le dernier roman de Veronica Roth (Divergente), suscitant un vif débat sur les réseaux sociaux (la direction s’en était défendue).
Mais beaucoup ont aussi repéré que la dernière parution SF du Livre de Poche, La Fabrique des Lendemains de Rich Larson, début 2023, contenait de nombreuses absurdités graphiques typiques de Midjourney. Contactée par Numerama, la directrice artistique de la maison d’édition, Bénédicte Marchand, nous affirme qu’il s’agit d’une « erreur », que celle-ci est « malheureuse » et qu’elle n’adviendra plus.
« Tous ces problèmes d’images générées par des IA, c’est récent pour nous », nous explique-t-elle. « Si cela me paraît évident maintenant qu’elle a été générée par une IA, sur le moment [mi-2022] on ne l’imaginait même pas. » Et une chose est sûre : « On n’a pas envie de travailler avec ce type d’iconographies. On regrette de l’avoir fait à notre insu. »
Les IA sont exclues des banques d’images comme Getty
Bénédicte Marchand évoque un usage à « l’insu » de l’équipe en raison de la provenance de la production. Beaucoup d’éditeurs, comme le Livre de Poche, utilisent parfois des banques d’images — Getty, Shutterstock, Adobe Stock, 123RF, etc. Ils combinent alors plusieurs images pour en faire une composition. C’est ce qu’il s’est passé pour La Fabrique des Lendemains : un graphiste du Livre de Poche a trouvé, et acheté, deux images distinctes auprès de iStock (Getty), provenant d’un même contributeur, puis les a téléchargées pour les combiner. Il n’envisageait pas, en l’absence de mention sur le site, une provenance Midjourney.
C’est lors de l’envoi de la couverture à l’éditeur grand format (Le Bélial) que l’équipe du Livre de Poche s’est rendu compte pour la première fois d’un problème : les images avaient « disparu » d’iStock. Ce constat mis en relation avec les illustrateurs ayant remarqué les caractéristiques typiques d’une IA, la provenance devenait plus claire. « On pense qu’iStock a dû se faire avoir, le contributeur ayant mis en ligne des images qu’il avait faites sur Midjourney ou sur un autre service. Mais, nous, la couverture était déjà validée, l’impression lancée », explique Bénédicte Marchand.
Si les images ont été supprimées par Getty/iStock, c’est tout bonnement parce que les images générées par IA ont été totalement bannies de la banque fin 2022. C’est le cas pour de nombreuses plateformes similaires (Newgrounds, PurplePort, Affinity). « Il existe de réelles inquiétudes concernant les droits d’auteur de ce qui est produit par ces modèles (…) », a expliqué le patron de Getty à The Verge. Mais certaines banques, toutefois, comme Adobe Stock, acceptent ces contenus en demandant d’ajouter un label spécifique.
« Tout ce qu’il y a derrière, ça ne va pas »
La situation autour de cette couverture a eu le mérite d’amener le sujet sur la table, au Livre de Poche, afin d’adopter une position. Bénédicte Marchand a réuni son équipe — 6 personnes — pour en discuter concrètement. « Je leur ai dit qu’il faut bien se renseigner, avoir l’œil aguerri et savoir repérer des images de ce type », détaille-t-elle à Numerama. L’objectif est de bannir ces images produites par IA.
Une partie du public pourrait s’étonner d’un tel bannissement, ces images pouvant impressionner au début. Les erreurs y sont cependant légion, lorsque le regard s’y perd plus longuement, n’arrivant jamais véritablement à la cheville d’un artiste. Sans compter que les enjeux derrière sont nombreux : légales, politiques, sociales, artistiques. « Au premier abord, on peut se dire ‘woah, c’est génial, ça fait le job’. Mais tout ce qu’il y a derrière, ça ne va pas », estime la directrice artistique. « Ce n’est politiquement pas en adéquation avec nos valeurs et avec ce que l’on veut faire. Pour les artistes, pour les droits d’auteur… sans compter que ce serait nous tirer une balle dans le pied, que de faire appel à ce type de sites. »
L’usage d’algorithmes dans le graphisme existe certes depuis quelques années, pour nourrir des fonctions de Photoshop par exemple, mais un programme comme Midjourney ne relève pas d’un geste artistique, l’humain n’étant impliqué que par une seule commande textuelle (prompt) générant une image.
Si La Fabrique des Lendemains a été diffusé en librairies avec cette couverture, quid des réimpressions ? Bénédicte Marchand estime qu’il faudra être cohérent avec la politique de la maison : « Si on est logique avec nous-mêmes, il faut qu’on la change. Elle vient de sortir, elle a paru il n’y a que quelques semaines, on a du stock. Mais quand la réimpression arrivera, oui, il faudra qu’on la change. »
Le Livre de Poche appartient au groupe Hachette. L’initiative va-t-elle infuser dans toutes leurs maisons ? Contacté par Numerama, Hachette n’a pas souhaité confirmer ni infirmer une politique de ce type à l’échelle de tout le groupe.
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