Alors que Ratiatum était comme vous l’avez vu en pleine période d’inactivité dans la couverture des actualités, l’ADAMI présentait le 16 juin son projet de « licence légale » (notez les guillemets) censé apporter une solution au problème du Peer-to-Peer. Entre mensonges et désillusions, l’étude menée par un cabinet privé nous semble scandaleuse à plus d’un titre. Explications.

Savez-vous ce qu’est une licence légale ? Rassurez-vous si votre réponse est négative, l’ADAMI ne semble pas savoir non plus. A moins que l’utilisation de cette douce expression ne cache une vérité bien moins poétique. Lorsque l’on parle de licence, on parle d’un droit accordé à un utilisateur contre rémunération. Et il n’y a que le bénéficiaire de ce droit qui paye. L’exemple typique relève de l’article L.214-1 du code de la propriété intellectuelle qui accorde aux radiodiffuseurs la possibilité de diffuser ce qu’ils veulent sur les antennes, pourvu qu’ils payent les droits requis à la SACEM.

Ce que propose l’ADAMI (qui collecte les droits au nom des artistes interprètes), ça n’est pas la création d’une nouvelle licence légale comme leur expression le laisse entendre, mais l’extension du régime de rémunération pour copie privée au titre duquel nous payons tous 50 centimes sur nos CD vierges, quelle qu’en soit l’utilisation. La réforme voulue par l’ADAMI étendrait cette sorte de taxe aux fournisseurs d’accès à Internet, qui évidemment la répercuteront sur le prix de l’abonnement.

En échange, quels droits gagne l’abonné ? Aucun !

Tariq Krim, qui a préparé cette étude pour l’ADAMI, confiait ainsi à nos confrères de 01Net que « ça ne légaliserait rien, ça compenserait. Car ce à quoi il faut parvenir, c’est faire migrer les gens qui téléchargent illégalement, sur Kazaa par exemple, vers des services de peer-to-peer payants et légaux.« .

En plus clair, on vous donne d’une main le droit de télécharger sur eDonkey, mais on vous retire de l’autre le droit d’uploader. La conséquence est gravissime. Tout d’abord, celui qui se connecte sur Kazaa en pensant bénéficier de la (très mensongère) licence légale pour laquelle il paye un supplément sera toujours passible de 3 ans de prison et de 300 000 euros d’amende. Ensuite, même celui qui ne fait pourtant que télécharger sans uploader sera lui-même passible des mêmes peines, à cause d’un principe simple mais redoutable :

Fraus omnia corrumpit

Ces mots latins sortis du dialecte obscure du juriste amateur de langues mortes, ont une importance capitale dans la proposition de l’ADAMI. Vous connaissez sans aucun doute le fonctionnement des réseaux P2P. L’utilisateur qui télécharge met en partage ce qu’il a téléchargé, ce qui fait a contrario que ce qu’il télécharge est téléchargé chez quelqu’un qui le partage…

Télécharger n’est pas illégal, nous dit-on (copie privée oblige), mais uploader, si. Pourtant, fraus omnia corrumpit : la fraude corrompt tout. Ce principe veut qu’à partir du moment où une illégalité entre dans un mécanisme, c’est l’ensemble du mécanisme qui est entâché d’illégalité. Concrètement, si j’upload une chanson à quelqu’un qui pense en faire une copie pour son usage privé, le fait que mon upload était illégal (la fraude) rend sa copie privée illégale (corrompt tout). Subtile, mais au combien important.

Intérêts des artistes, ou intérêts de l’ADAMI ?

Ca n’est pas connu, et c’est pourtant dramatique : moins de 50% de la rémunération pour copie privée va aux légitimes ayants droits. Pourquoi ? Tout d’abord parce que la loi demande aux sociétés de gestion collective comme l’ADAMI de réserver 25% des sommes collectées aux actions culturelles. Or il semble que l’interprétation de cette règle soit très, très large (un rapport que nous tâcherons de publier de 1997 révélait de graves travers). De plus, pour pasticher les propos de Michel Charasse, « demande t-on aux chercheurs de financer la recherche ? ». En réalité, cette règle de 25% sert non pas les intérêts des artistes, mais les intérêts des sociétés de gestion et du ministère de la culture, qui peut ainsi prendre le prétexte des 25% pour ne pas financer lui-même certaines actions.
Plus grave, la rémunération pour copie privée ne bénéficie pas à de nombreux artistes étrangers, en particulier américains (pour des questions de pure technique juridique). Ces sommes pourtant collectées en leur nom, dites « irrépartissables », sont donc consacrées… eh oui… aux soit-disantes actions culturelles.

Et dès lors, vous l’aurez deviné, étendre le régime de la rémunération pour copie privée à Internet étendrait ces travers, et les artistes et les utilisateurs, eux, ne gagnent pas grand chose (même rien pour ces derniers).

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