Le Comité JPEG se réunissait mardi à Bruxelles pour discuter d’une proposition d’ajouter des DRM dans les fichiers .jpg, pour rendre leur lecture et leur manipulation impossible sans l’autorisation des ayants droit. Une mesure qui veut protéger à la fois les photographes professionnels et amateurs.

Le Web ouvert fait de copies et de partages sauvages que l’on a connu depuis plus de 20 ans est-il en voie de disparition, pliant sous le poids des considérations économiques et de problématiques nouvelles, telles que la protection de la vie privée ? Cette semaine, le Joint Photographic Experts Group (JPEG) se réunit à Bruxelles pour débattre d’une proposition qui pourrait profondément modifier la manière dont les internautes peuvent, ou plutôt ne pourront plus, copier des images du Web pour se les ré-approprier ou pour les modifier avant de les diffuser à leur tour.

Le Comité JPEG a décidé d’organiser à partir de cette semaine une série de rencontres et de débats qui visent à promouvoir la création d’un nouveau standard pour les fameux fichiers .jpg omniprésents sur nos écrans, qui ajouterait une couche de protection des droits à l’image. Avec l’ajout d’un DRM, les images et/ou leurs métadonnées diffusées sur Internet dans ce format deviendraient illisibles sans une clé de déchiffrement qui ne serait délivrée que par un serveur gérant les autorisations,

Un tel DRM est déjà intégré au format JPEG 2000 destiné aux professionnels, mais le Comité souhaiterait désormais qu’il soit possible sur les images réalisées à destination du grand public, voire par le grand public lui-même.

Une surcouche chiffrée

En pratique, le Comité JPEG propose de s’inspirer du format JPEG XT, qui étend le format originel pour ajouter notamment le support du HDR, la compression sans perte ou encore les canaux alpha qui permettent de réaliser des images transparentes. Pour assurer la rétrocompabiltié les images en JPEG XT sont en fait constituées de deux couches, l’une contenant un fichier JPEG traditionnel qui peut être affiché par les décodeurs non compatibles avec le XT, et l’autre les données étendues.

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L’idée serait donc d’associer les deux couches pour réaliser un DRM. La première couche pourrait être une image de qualité dégradée ou carrément illisible, tandis que la seconde couche, chiffrée, contiendrait les informations qui permettent de rétablir une image lisible. Chaque fois qu’un logiciel ouvrirait un fichier JPEG protégé avec le DRM, il aurait l’obligation d’aller vérifier dans la seconde couche les droits associés  à l’image pour, par exemple, ne pas permettre que des données sur l’auteur soient effacées, ou même ne pas autoriser qu’une image soit recadrée, copié-collée dans un montage, imprimée, etc., etc.

Non seulement l’auteur de la photo aurait les droits accordés par la loi, mais la technologie viendrait y ajouter une surcouche de protection, elle-même protégée par la loi en vertu de la protection accordée aux DRM. Une protection au cube redoutablement efficace du point de vue des ayants droit, mais terriblement dangereuse du point de vue des libertés individuelles, puisque le droit d’auteur n’est pas absolu et connaît un certain nombre d’exceptions que les algorithmes ne peuvent prendre en compte.

Protégér les photographes et la vie privée

Comment Photoshop, par exemple, pourrait-il reconnaître qu’une image est ouverte pour en réaliser un montage parodique, autorisé par la loi même si l’auteur n’est pas d’accord ? Ou comment savoir si la peinture numérisée n’est pas dans le domaine public ?

Pour vendre l’idée, le JPEG Group met en avant la protection de la vie privée. Car l’idée est notamment de chiffrer les informations contenues dans les données EXIF, qui peuvent comprendre la date et l’heure de capture d’une image, l’appareil utilisé, voire même le lieu précis si un capteur GPS est activé sur l’appareil photo. Avec le DRM, l’utilisateur pourrait choisir à qui il donne la possibilité de lire ces informations, qui sont souvent effacées dans la version publique affichée par les réseaux sociaux, mais conservées et analysées par les réseaux eux-mêmes.

Il est même possible qu’un tel DRM permette de s’assurer qu’une image destinée à un réseau social, réservée à des amis, ne puisse pas être copiée et reproduite sur des canaux extérieurs. Le revenge porn et autres tromperies malsaines, volontaires ou involontaires, deviendraient alors plus difficiles à mettre en oeuvre — à condition de croire en l’efficacité technique de tels procédés, bien sûr.

Mais l’Electronic Frontier Foundation (EFF), qui doit ménager sa défense de la vie privée avec son opposition de principe aux DRM qui brident la liberté d’expression et de création, estime qu’il suffirait alors de conserver un principe de chiffrement des métadonnées, sans chiffrer le contenu de l’image lui-même. Une position avec laquelle les ayants droit de la photographie sont bien en entendu en désaccord complet, puisqu’ils cherchent à préserver le monopole d’exploitation accordé à des agences ou à des banques d’images comme Fotolia, iStockPhoto, Getty ImagesCorbis et d’autres.

Le Comité JPEG qui se réunissait mardi à Bruxelles n’a pas encore pris de décision, et a programmé une nouvelle réunion à San Diego, en février 2016.

Le retour des DRM

Doucement mais sûrement, les DRM que l’on croyait enterrés par un constat d’inutilité font ainsi leur grand retour en force, 7 ans après qu’Apple a convaincu l’industrie musicale de les abandonner. Il y a d’abord eu le streaming, qui a remplacé le contrôle de l’autorisation d’ouvrir des fichiers téléchargés par un contrôle du droit d’accéder aux plateformes qui diffusent des contenus. Et depuis peu, il y a l’avènement des DRM sur des standards du Web.

Il faut faut dire que certaines digues sautent, à l’image de Mozilla qui a laissé ses vieux principes idéalistes de côté pour rejoindre le camp des pragmatiques avec le support de certains DRM dans Mozilla,

Le Web pourra-t-il être encore le Web s’il devient ainsi verrouillé de toutes parts ? L’avenir le dira. Il est permis d’en douter.

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