Tourner une roue de la Fortune, cultiver des fruits virtuels entre amis ou encore s’occuper d’un poisson pixelisé pour gagner des cadeaux… On ne dirait pas, mais vous êtes bien en train de faire votre shopping en ligne. Alors que la plateforme de vente en ligne Temu a été lancée il y a à peine six mois, ses jeux addictifs ont contribué à faire d’elle l’application la plus téléchargée aux États-Unis, devant Amazon, Instagram ou encore TikTok.
« De l’usine au consommateur »
À première vue, Temu (à prononcer « ti mou ») n’est pas sans rappeler les autres géants chinois de la vente en ligne, Ali Express, Wish ou encore Shein. Ce site d’e-commerce, orienté vers la mode et la beauté, mais où l’on trouve de tout, tire son nom du diminutif de « Team Up, Price Down ». On peut y commander, en vrac et à des tarifs dérisoires, des crayons à yeux multicolores pour 79 cents, des écouteurs à 1,50 dollar, des gants chauffants pour 6, des copies de baskets de la marque Yeezy pour un vingtième du prix des vraies, ou encore des canards en plastique à l’effigie de Donald Trump pour moins de 4 dollars.
Pour tirer ses prix vers le bas, le site utilise des chaînes d’approvisionnement chinoises, sur le principe « de l’usine au consommateur », comme l’a analysé Rest of World. Car, bien que basé à Boston aux États-Unis, Temu est la filiale d’une holding qui opère sa version chinoise, Pinduoduo. Ce site d’e-commerce fondé en 2015 s’est hissé en quelques années devant Alibaba en termes de nombre de clients en ligne en Chine, et compte aujourd’hui 750 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. De son côté, la copie américaine de Pinduoduo a de son côté dépassé les 24 millions de téléchargements en l’espace de six mois.
Pêche aux nouveaux utilisateurs
Pour atteindre ces chiffres, Temu a poussé à fond la carte de la « gamification » — un principe qui consiste à appliquer des mécanismes issus des jeux vidéo à d’autres secteurs. À travers des jeux qui permettent de gagner des récompenses, les clients potentiels sont incités à revenir régulièrement et à s’attarder sur l’application, mais aussi à en parler autour d’eux. Fish Island permet, par exemple de remporter des cadeaux en élevant des poissons virtuels, en obtenant de quoi les nourrir en échange de clics sur des liens de parrainage.
Le mélange entre divertissement et shopping (ou « shopatainment ») est efficace, mais il a de quoi soulever des inquiétudes en matière d’addiction aux jeux et d’achats compulsifs. Des internautes chinois se plaignent aussi de se faire harceler de propositions de parrainage vers Temu de la part de leur famille et leurs amis, comme l’a remarqué Rest of World.
Une stratégie pas non plus si novatrice : de nombreux sites d’e-commerce ont déjà recouru à ce type de procédés, mais pas de façon aussi massive. Le site Shein, temple de l’ultra-fast-fashion, proposait par exemple de tourner une roue virtuelle pour obtenir des réductions. D’autres procédés apparentés se sont généralisés depuis longtemps, comme les compteurs de temps pour signaler des soldes bien souvent quasi-permanentes. En 2020, 88 % des Américains disaient avoir déjà collecté des coupons de réduction, une forme de quête ludique élevée au rang d’art de vivre par certains.
Matraquage publicitaire
Pour se faire connaître, Temu a aussi misé sur une stratégie marketing agressive, en investissant massivement dans la pub. Les semaines suivant son lancement en septembre 2022, l’application a publié plus d’un millier de publicités sur Facebook et Instagram, en anglais et en chinois, alors que ses concurrents Shein ou AliExpress se contentaient d’une douzaine, d’après les données de Meta citées par le MIT Technology Review.
Le slogan de l’application (« shop like a billionaire » ou « achetez comme un milliardaire ») a aussi été scandé pendant leur première pub diffusée à la mi-temps du Superbowl de février, illustrant l’image d’une jeune femme s’achetant une robe écarlate pour à peine 10 dollars.
Tout comme Shein, Temu a aussi misé sur les influenceurs, dont les « déballages » en vidéo, sponsorisés ou non, fleurissent actuellement sur la toile. « Ils m’envoient un email tous les jours depuis des mois pour me proposer de collaborer », explique ainsi, preuve à l’appui, une youtubeuse américaine, qui finira par tester leurs produits – sans partenariat affiché.
Appâter un grand nombre de clients, et leur proposer un large choix d’articles, c’est aussi une façon d’affiner rapidement les recommandations basées sur les achats passés, note Connie Chan sur le site du fonds d’investissement Andreesen Horrowitz. Un atout capital pour un site basé sur la découverte permanente de nouveaux produits, où les utilisateurs peuvent scroller sans fin et toujours trouver un nouveau gadget à acheter — un peu comme la suite infinie de vidéos qui se déroule sur TikTok. C’est pourquoi, ajoute l’investisseuse, ce genre de site ajoute des milliers d’articles chaque jour, afin de nourrir l’algorithme de recommandation. Au final, plus de choix signifie, là encore, plus de temps passé sur l’application… et davantage d’achats.
Temu ne compte pas s’arrêter au marché américain. Après son lancement au Canada le mois dernier, l’application est aujourd’hui disponible en France, bien que la livraison reste pour l’instant uniquement possible vers les Etats-Unis.
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